Le musée de plein air de Marquèze
Notice
Le musée de plein air de Marquèze est en voie d'achèvement. A travers son airial et son sentier d'initiation à la nature, il permettra aux visiteurs, venus à bord du petit train reliant Sabres à Labouheyre, de découvrir l'environnement de l'homme landais au XIXe siècle. Rencontre avec messieurs de Vilmorin et Bellot.
Éclairage
Avant la loi de 1857 relative à l'assainissement des Landes de Gascogne [1], les "quartiers" ou hameaux sont plus importants que les bourgs dans la Grande Lande [2]. L'habitat dispersé prévaut dans ce secteur géographique composé de landes couvertes de sables podzolisés recouvrant un horizon constitué d'alios [3] dans les secteurs mal drainés.
Largement conditionnée par la nature du sol et surtout par son degré d'humidité, la lande se divise, de fait, en trois parties : la lande sèche où dominent les bruyères, le genêt et l'ajonc, la lande mésophile, milieu intermédiaire, domaine des fougères mais aussi d'essences caractéristiques des deux autres secteurs, et enfin la lande humide signalée par l'omniprésence de la molinie.
Marqueurs des paysages, les sols décident ici peut-être plus qu'ailleurs, dans cet univers plutôt hostile, de l'installation des hommes. La nécessaire présence de l'eau conjuguée à l'obligation de se tenir à l'écart des zones marécageuses des interfluves explique l'implantation des premiers bourgs et quartiers en tête de vallon, ce dont rendent clairement compte les cartes de Cassini et de Belleyme de la fin du XVIIIe siècle.
C'est dans ce cadre que se structure, probablement dès le Moyen Âge, une société fondée sur l'économie agro-pastorale [4] regroupant, dans un système économique original, propriétaires et métayers. Organisées en tinels, les familles vivent en autarcie dans un espace valorisé propice à la vie et aux cultures.
L'élément fondamental en est l'airial [5] issu du défrichement d'espaces boisés naturels situés en bordure de ruisseaux. Élément identitaire d'une grande partie du "Triangle des Landes" [6] il se développe en une harmonieuse composition d'éléments bâtis (maisons d'habitations, granges, fournil, poulaillers, soue, moulin) qui se répartissent sur une vaste pâture ouverte au bétail, ombragée de chênes. Aux confins de cet espace, champs de céréales adaptées aux conditions locales (seigle, millet) et parcelles vouées aux cultures textiles (lin, chanvre) sont circonscrits par des haies protectrices poussant sur des talus nommés dogas (dougues) [7].
Situé au bord du ruisseau de l'Escamat, sur un plateau convenablement drainé, l'airial de Marquèze, un modèle du genre, devient un écomusée en 1969. Situé sur la commune de Sabres, aux limites de Labouheyre, il est traversé depuis la fin du XIXe siècle par une voie ferrée construite pour les besoins de la forêt industrielle émergente.
Sa vocation consiste donc à transmettre ce que fut le fonctionnement de la société agro-pastorale traditionnelle et sa mutation vers un nouveau système où prévaut la sylviculture. Sa reconstitution a conjugué la restauration in situ, le transfert de bâtiments manquants et la reconstitution d'espaces disparus. Le visiteur peut donc y observer les quatre unités paysagères fondamentales : l'airial, le champ, la rivière et la lande gagnée par la forêt de pins ou pinhadar.
Forts de cette réalisation, les pionniers de cette entreprise se sont attachés à faire comprendre l'originalité de cet héritage. Comme l'avaient souhaité ses concepteurs, l'endroit devient à la fois lieu d'observation et d'apprentissage : on y découvre, grâce aux clichés de l'ethnologue Félix Arnaudin [8], les travaux du quotidien, les gestes anciens ; on y apprend, avec le concours d'un personnel qualifié, héritier de la tradition, comment couvrir un toit de chaume, confectionner un torchis ou fabriquer de la chaux ou, plus simplement, teiller le chanvre, cuire le pain au four à bois, fabriquer du savon à l'ancienne ou tresser une "croix de Saint-Jean". En deux mots, on y découvre le cycle vertueux de l'autarcie, la quintessence de l'écologie qui se définit bien comme "l'interaction entre les êtres vivants et leur milieu", ce que l'on appelle aussi un "écosystème".
Depuis sa création, l'écomusée de Marquèze - un prénom féminin gascon qui connut une destinée hors du commun par le truchement du toponyme - a accueilli des centaines de milliers de visiteurs que l'on peut diviser en deux catégories : les touristes "passifs" satisfaits de découvrir et de comprendre un biotope qui leur était étranger mais aussi des visiteurs locaux qui se sont inspirés de ce modèle pour sauvegarder leur propre patrimoine. Ainsi se reconstituent aujourd'hui des centaines d'airiaux dans le respect des règles prônées à l'écomusée.
Les instances les plus haut placées avaient vu juste en inscrivant le site, dès 1970, dans la liste des réalisations pilotes de l'année européenne de la Protection de la Nature tandis que, l'année suivante, les Nations Unies le promouvaient au titre de l'année de l'Environnement. Des récompenses suivies d'effets...
[1] Cette loi oblige les municipalités à aliéner leurs landes communales, à assainir en drainant et en plantant du pin maritime (Pinus pinaster).
[2] À l'origine, la Grande Lande ou Lana gran est une notion géographique que l'on doit au folkloriste Félix Arnaudin reprenant la perception des bergers béarnais. Elle correspond, en gros, à un vaste quadrilatère marécageux limité par les communes de Captieux, Luxey, Lencouacq et Losse mais ses limites sont variables. Elle représente plutôt, de nos jours, le bassin versant de l'Eyre dans sa partie landaise.
[3] Formation gréseuse caractéristique du sous-sol des landes sablonneuses, l'alios ou lapàs, est une concrétion résultant de la cimentation des grains de sable par des oxydes de fer notamment.
[4] Modèle économique associant élevage et culture.
[5] Forme francisée du gascon airiau : "pelouse ombragée de chênes qui précède toute habitation landaise située hors des bourgs".
[6] MANICET Bernard, Le Triangle des Landes, Serres-Morlaàs : éd. de l'Atelier in8, décembre 2005, 260 pages (première édition en 1981).
[7] La dougue (doga) est une levée de terre limitant un champ. Elle provient de l'excavation d'un fossé appelé crasta ou varat. Parce qu'ils sont indissociables l'un de l'autre, un proverbe dit : On i a crasta, i a varat , "Où il y a un fossé, il y a une levée de terre".
[8] Né et mort à Labouheyre (Landes), Félix Arnaudin (1844-1921) consacre son existence à fixer les éléments d'une mutation majeure, le passage du système agro-pastoral ancestral à la sylviculture naissante. Le Parc naturel régional des Landes de Gascogne et les éditions Confluences ont publié toute son œuvre en 9 volumes.