La route de la lande
Notice
Au fil de leurs rencontres et des reportages, Eric Lopez et Mélody Vilbert nous invitent à découvrir l'écomusée de Marquèze et la vie dans la Haute Landes au XIXème siècle.
Éclairage
Comme tout ensemble dépendant du cycle de la nature, l'airial de la Grande Lande "vit" surtout l'été. Les "travaux et les jours" se découvrent donc à la belle saison, pendant la période touristique, dans le "quartier" de Marquèze [1], à Sabres, au cœur du Parc naturel régional des Landes de Gascogne. Au début des années 1970, en pleine déprise rurale, on y reconstitue donc un "quartier" pour ne pas oublier modes de vie et savoir faire ancestraux dans une société qui s'urbanise.
Marc Casteignau, directeur de cette entreprise, l'explique : ici, on montre une société "dans sa globalité", à travers la réinterprétation d'un lieu tel qu'il se présentait jusqu'à la fin du XIXe siècle. Pour ce faire, les archives - le cadastre napoléonien de 1836 en particulier - permettent, en amont, de comprendre l'environnement et d'essayer d'en restituer, en aval, la physionomie originelle. Un travail de patience, de précision qui requiert des compétences très particulières.
Durant des années, la restauration du site conjugue donc la restructuration des éléments en place, le transfert de bâtiments disparus et la recréation de certains espaces.
La maison de Marquèze, maison de maître ou de laboureur au sens noble, signalée par un pin "franc", est ainsi remise en valeur avec la maison de berger qui en dépend ; appelée aussi maisoet, "petite maison", ou "maison du brassier", elle est dotée d'un petit lopin de terre. Plus loin, au fond de l'airial, la maison du résinier, plus simple que celle du maître, mais relativement confortable, est également réhabilitée alors que la maison dite du Mineur [2] est une "pièce rapportée", entièrement remontée en 1971.
Le moulin enfin, et la maison du meunier, depuis longtemps disparue, sont remplacés quelques années plus tard par un ensemble cohérent importé de Vert et de Geloux. Ainsi revit l'un des huit moulins qui jalonnaient autrefois le petit affluent de l'Eyre.
Les chargés de mission du parc ont donc parfaitement su mettre à profit les trésors des archives pour réhabiliter l'airial, mais ils ont aussi compris l'intérêt d'utiliser la voie ferrée existante, rendant attractif l'accès au site tout en préservant l'environnement immédiat du "quartier". Là est aussi, en bonne partie, le succès de cette initiative. C'est donc le train qui, depuis 40 ans, convoie quelque 100 000 visiteurs annuels, vers ce lieu de mémoire. Le passionné de mécanique peut ainsi apprendre, en bavardant avec chauffeurs et mécaniciens, l'histoire du macha-cuu [3], classé monument historique [4]. Doté de wagons verts caractéristiques, empruntés à l'ancien train de Palavas-les-Flots, il enchante les touristes qui découvrent, au bout d'un trajet de 4 km, l'airial, ancien élément de boisement dans la lande dénudée devenu, à la suite de la plantation de la forêt de pins, simple clairière dans le pinhadar.
Là, attendent les explications des animateurs qui s'attardent sur chaque détail, présentant la chaîne de la vie dans cette Grande Lande qui vit, pour une bonne part, en autarcie. Les visiteurs y apprennent tout du troupeau de moutons pourvoyeur de laine, de viande mais aussi de fumier nécessaire à l'amendement des sols pauvres et acides, à la fabrication de la miche de pain chaude tout juste sortie du four commun, confectionnée avec la farine du seigle produit sur place : un bref raccourci de la fonction de l'airial toujours tributaire de terres bien drainées, proches d'un cours d'eau qui prend ici le nom d'Escamat [5].
Marquèze rassemble ainsi une élite consciente de transmettre in extremis des savoirs et des savoir-faire prêts à disparaître. En cela, le travail amorcé par les promoteurs de l'écomusée, à la fin des années 1960, prolonge l'œuvre immense de Félix Arnaudin (1844-1921) qui consacra toute sa vie à sauver l'image de la Lande ancienne "d'avant la plantation du pin", avant que la vie des Landais ne bascule dans un autre monde avec la loi de 1857... Aurait-on pu, sans lui, savoir avec autant de précision, ce qu'il fallait présenter ici ? La matière eût assurément fait défaut ! Car l'ethnologue a tout recueilli : contes, proverbes, chants, lexique local du gascon "noir", anecdotes diverses de la vie quotidienne, mais aussi toute l'âme d'un pays consignée dans quelque 2600 fichiers et des milliers de clichés. Monicien, le fils de l'un de ses métayers qui fut aussi l'un de ses informateurs, s'en souvient [6].
Ainsi, de la maison du "pèc de Labouheyre" [7] à la restauration du vieux parc à moutons de Callen, aux confins des Petites Landes, se lit le travail du Parc naturel, mais aussi "culturel", des Landes de Gascogne. Soucieux de sauver le concret à travers restauration et réhabilitation du bâti, mais aussi à travers traditions et gestes anciens, il fait œuvre pédagogique lors des journées consacrées à la maiada [8], à la bugada [9], à la tonte des moutons, aux semailles ou aux journées du patrimoine destinées à un public curieux de comprendre, "d'entendre" et de "saisir" le pays.
[1] Marquèze est une altération graphique du prénom gascon Marquesa, porté jusqu'au XVIIIe siècle.
[2] Cet appellatif renvoie au nom du lieu de l'implantation initiale de la maison. Le "mineur" désigne ici un jeune qui n'a pas atteint l'âge de la majorité. Le gascon emploie plutôt le mot minur, qui est un gallicisme, avec le même sens.
[3] Littéralement "mâche-cul", par allusion à l'inconfort des sièges de bois. Cette desserte locale empruntait la voie ferrée "économique" reliant Sabres à Labouheyre où elle rejoignait le grand axe Bordeaux-Hendaye ; édifiée en 1890, elle convoyait résiniers, voyageurs et marchandises, le bois de pin en particulier.
[4] Cf. le site Voies ferrées des Landes (V.F.L.) consacré à l'historique du petit train de Marquèze.
[5] L'adjectif gascon escamat a le sens de "amputé"ou "boîteux". Le ruisseau est nommé ici par l'intermédiaire d'un sobriquet.
[6] ARNAUDIN, Félix, Œuvres complètes, Belin-Belliet : Parc Naturel des Landes de Gascogne, Bordeaux : éd. Confluences, 1994-2007, 9 volumes.
[7] L'adjectif gascon pèc peut se traduire par "stupide, idiot" mais, dans ce contexte, il signifie plutôt "original".
[8] Coutume qui consiste à planter un pin décoré devant la maison d'une jeune fille, en son honneur, en principe le jour du premier mai.
[9] Mot gascon, d'origine germanique, désignant la "journée de lessive".