Les landes d'oc de Manciet

10 avril 1993
09m 23s
Réf. 00003

Notice

Résumé :

Rencontre à Sabres avec l'écrivain et poète gascon Bernard Manciet qui nous parle de son art, de son inspiration qui naît de son admiration pour l'univers ainsi que de la richesse de la langue gasconne, et nous propose la lecture de quelques vers de L'enterrement à Sabres, accompagné par le musicien basque, Beñat Achiary.

Type de média :
Date de diffusion :
10 avril 1993
Source :
France 3 (Collection: Hebdo )
Personnalité(s) :

Éclairage

Bernard Manciet, né à Sabres, dans les Landes, le 27 septembre 1923, mort à Mont-de-Marsan le 3 juin 2005, est un écrivain gascon dont la renommée passe les frontières après la publication de L'Entèrrament a Sabres, en 1996, dans une édition bilingue. À l'occasion de la sortie de cette œuvre majeure – 5000 vers gascons – Jean-Louis Ezine écrit, dans Le Nouvel Observateur : "Une œuvre hors norme, à la fois poème théologique, testament en majesté et cosmogonie vivante, élaborée sur le modèle des cérémonies funèbres dans le monde latin antique".

Tout est dit dans ces quelques mots. L'homme y est présenté comme un monument d'érudition, un humaniste au plein sens du terme, un personnage atypique qui se moque des conventions, travaillant en dehors des modes, loin des circuits établis de l'édition grand public. Convaincu de la valeur universelle de la civilisation occitane il ne cesse d'écrire dans son gascon de la Grande Lande, ce parler "noir" que certains linguistes nomment "occitan de l'extrême" et qu'il considère comme une "langue de seigneurs".

Selon l'expression chère aux félibres, il "maintient" la langue d'oc ; c'est un mantenèire. Plus que cela, il l'exhausse ! Bien au dessus des critiques et propos narquois de l' "establishment" franco-français et des autochtones que sa langue désarçonne parfois, il va son chemin, la tête dans les étoiles "qui s'admirent entre elles". Car cet éternel adolescent ne cesse de s'émerveiller devant la Vie et devant les ressources que lui procure, dans l'écriture, sa langue maternelle, non apprise. Un peu à la façon de Montaigne qui disait "Que le gascon y aille si le français n'y peut aller", il se plaît à souligner la souplesse et les ressources de cette "langue animale au sens noble du terme"qu'il associe au champ lexical du latin animus, "esprit, souffle, principe vital" ; en cela, pour lui, c'est une langue qui respire, vivante, contrairement au français, "langue de juriste, un peu figée".

Modeste mais conscient de la supériorité du poète, il n'hésite pas à évoquer le daimôn de Socrate, esprit familier, guide, ange - au sens grec du terme - envoyé par les dieux pour lui inspirer sa poésie, le poiein. Mais Bernard Manciet est aussi un fils de la terre, héritier de propriétés que lui laisse son père, entrepreneur de maçonnerie. Il connaît l'histoire de son terroir et le cœur des hommes qui l'habitent.

La crise sociale des années d'avant-guerre et l'atmosphère pesante de certaines familles bourgeoises le marquent et il sait parfaitement en rendre compte dans sa trilogie, Lo Gojat de noveme, La Pluja et Lo Camin de tèrra.

Mais son intérêt ne se limite pas au village qui l'a vu naître et à ses habitants dont il s'est fait le chantre. L'homme est curieux et la geste de la Gascogne lato sensu l'intéresse aussi. Après la publication du Triangle des Landes (1981) qui évoque l'unité et l'unicité de la forêt de pins, de la pointe de Grave à Bayonne et jusqu'à la flexure de la Garonne du côté de Lavardac, le poète de Trensacq parcourt, dans un ouvrage entre histoire et légende, Le Golfe de Gascogne (1987), de la Saintonge jusqu'à a la Galice : "...Et ce qu'on appelait l'Autre Golfe des Galates devint comme une absence dans la conscience des peuples d'occident. Rien, siècle après siècle, n'aura cogné plus en vain que ces inimaginables vagues qui retombent, avec des claquements d'élastique, des gravités concaves, de grands chuintements de lessive, sur ces espèces de déserts sans histoire...".

Éclectique, il évoque par ailleurs, dans un magnifique poème, traduit en basque et en castillan, la bataille de Roncevaux (articles parus dans Sud-Ouest-Dimanche pendant l'été 2003), parle également des palombes ou de la cuisine dans quelques ouvrages rangés par les libraires au rayon "régional" et fait, somme toute, œuvre mémorielle en évoquant la tristesse mais aussi l'opiniâtreté des Landais face aux incendies ravageant les pinhadars dans Landes en feu (1989).

Il s'intéresse aussi au théâtre et ses pièces sont jouées à Bordeaux ou dans la région. Certains considèrent d'ailleurs que cet homme original, parfois tranchant voire "insupportable" [1], nourri de culture classique et de solides convictions chrétiennes, est extrêmement moderne, tant dans sa prose française que dans ses écrits gascons. Ses petits textes parus notamment dans Reclams sont souvent des monuments de concision, de légèreté, à l'image de ses talents, moins connus, de dessinateur de sanguines ou de sépias.

Comment enfin ne pas signaler que Bernard Manciet a indéniablement joué un rôle dans une originale renaissance poétique ? Avec le musicien de jazz d'Uzeste, Bernard Lubat, il s'adonne maintes fois, à partir des années 1985, à la déclamation publique, ce qui contribue à élargir la notoriété de cet épicurien catholique quelque peu libre-penseur.

De fait, il reste avant tout un homme libre : "Je n'aime pas être propriété de quelqu'un. Propriété de l'Occitanie, je ne le serai jamais, pas plus que celle des Français ou des Espagnols". (1997, Entretien avec Marc Blanchet).

[1] Selon l'écrivain occitan Robert Lafont dans le numéro 513 (9 juin 2005, page 8) de l'hebdomadaire occitan La Setmana après la mort de Manciet.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
Bernard Manciet
L’univers ça ne se mesure pas. L’univers ça s’admire. Mon maître étalon. Pour l’univers, pour le soir, la nuit, c’est l’admiration. Et je crois d’ailleurs que l’univers ne tient ensemble que par admiration. Les étoiles s’admirent entre elles, les cellules, tout ça s’admire. Il faut répondre à l’admiration par l’admiration. Je ne me sens toujours pas mieux, je me sens toujours un adolescent de la poésie, je serais toujours émerveillé comme à 15 ans, 16 ans même avant, comme à 11 ans 12 ans par tout ce qu’il y a de poétique dans ce monde qui est merveilleux.
(Bruit)
(Musique)
Bernard Manciet
Je n’ai jamais écrit par insatisfaction, j’ai écrit par débordement, lorsque c’est trop beau, lorsque c’est trop riche, mais ça déborde. Je laisse faire l’ange qui est derrière moi et qui me dira ce que je dois faire. C’est tout mais je ne demande rien, je me laisse faire, je suis un simple médium si vous voulez. Toujours écouter l’ange qui me dit maintenant tu vas écrire même quand je dis je ne veux pas, il me secoue les puces il me dit, il faut. Et je m’y mets et puis après ça démarre, quelque fois, il me réveille la nuit en me disant tu vas écrire ça demain matin même tout de suite parce que tu vas l’oublier ; et à vrai dire j’ai la flemme de me lever et puis les idées passent, je les oublie et le lendemain matin, il ne veut plus être là, j’ai tout oublié, j’ai dit pourtant cette nuit c’était merveilleux et tant pis pour toi, tant pis pour moi. Après il me reprend dans la journée, c’est tout, quand il a envie. Je n’ai pas dit que c’est le Daemon de Socrate mais, vous savez derrière les évangélistes dans les anciens tableaux, il y a toujours l’ange qui dicte, l’ange qui dicte à Saint-Luc, qui dicte, puis un taureau à côté enfin, ce n’est pas lui qui dicte, lui il subit, mais l’ange derrière dicte. Les ombres d’os pour remplir ton trop-plein, les pleins phares pour vérifier tes landes, ma vue dans les épaisseurs trouve son éclat. Où pourrais-je fuir, où pourrais-je m’acagnarder ? Les pas des os les pas des gens, te sont louange. Les Landes sont couvertes de nos marches forcées, j’entends l’ombrage de midi parler de toi.
Journaliste
L’Enterrement à Sabres , vous en avez entendu parler ?
Inconnue 1
Non, je n’en ai pas entendu parler, on ne connait pas du tout.
Inconnue 2
J’ai lu un petit peu mais enfin, j’ai feuilleté un petit peu comme ça le livre mais c’est tout.
Journaliste
Qu’est-ce qu’on pense ici de Manciet ?
Inconnue 2
Ah, je ne sais pas.
Inconnu 1
C’est un homme qui est instruit, qui est intelligent, oui.
Inconnue 3
Oh, j’en ai entendu parler de réputation mais sinon je ne connais rien.
Inconnu 2
Cet homme est de l’âge de ma sœur, c’est pour ça que je le connais très bien.
Inconnue 4
Eh ben, qu’est-ce que vous voulez que j’en pense.
Journaliste
Vous connaissez son œuvre ?
Inconnue 4
Oui.
Inconnue 5
Je ne veux rien dire.
Inconnue 6
Je suis parisienne mais je connais Bernard Manciet pour avoir lu quelques livres de lui.
Journaliste
Par exemple.
Inconnue 6
Le triangle des Landes , voilà et puis quelques écrits sur la vie des Landes.
(Musique)
Bernard Manciet
Les premiers poèmes sont en gascon et le resteront, certains. Et mes derniers seront en gascon tout simplement parce que le français est pour moi une langue apprise et non pas une langue d’instinct. C’est ma langue animale au sens noble, celle de la peau, celle de la respiration.
(Silence)
Journaliste
Et j’ai compris avec L’Enterrement à Sabres qu’on arrivait à dire des choses avec la phrase gasconne, avec une ambigüité et une complexité qui ne peuvent pas s’exprimer en français.
Bernard Manciet
Et oui, parce que le français est une langue de juriste, une langue linéaire. C’est une langue un peu figée, une langue artificielle figée. Elle n’a pas les ressources de l’instinct, de l’impromptu, du saugrenu, du rire, qui jaillit tout seul. C’est une langue artificielle pour moi. Si on examinait bien par palimpseste, notre langue gasconne, on serait étonné des richesses archaïques qui s’y trouvent dedans. Moi je me sens archaïque bien sûr, comme les pierres, comme les cailloux dans le sable.
Journaliste
Vous êtes un [incompris], une sorte de seigneur.
Bernard Manciet
Je ne suis pas [incompris], je ne suis pas seigneur, je suis fils d’ici. Je suis fils de ce peuple. Je suis fils de ce peuple c’est tout, il n’y a rien de dominateur que je sache.
Journaliste
Quelles que soient ses origines, le poète est un seigneur.
Bernard Manciet
Ah si ça va par là, oui. Le logos, le poiein, l’affrontement avec la parole divine, oui, c’est sûr. Ça suppose une noblesse intérieure, mais ça ne suppose pas du tout une noblesse sociale. Non, une noblesse intérieure, oui mais ça il faut l’obtenir. Je crois que tout être humain d’ailleurs devrait accéder à cette noblesse intérieure. Et il peut. Le dernier des derniers peut. Les tempéraments populaires, on ne peut rien contre eux. On ne peut rien contre les pauvres, je vous l’ai déjà dit, contre les masses pauvres.
Journaliste
Donc vous êtes immortel.
Bernard Manciet
Ah, ça c’est vous qui le dites. Mais en tout cas le désir que vous trouverez dans mon écriture, on le trouvera certainement après moi, dans d’autres écritures, on le trouvera dans le gascon, je crois, à la force du gascon. Parce qu’il y a les périodes où le gascon disparait vous savez. Il disparaît 100 ans.
Journaliste
Mais vous survivrez.
Bernard Manciet
Le gascon survivra. Puis s’il ne survit pas, personne n’en mourra. Vous savez mourir on n’en meurt pas.
(Musique)