Les landes d'oc de Manciet
Notice
Rencontre à Sabres avec l'écrivain et poète gascon Bernard Manciet qui nous parle de son art, de son inspiration qui naît de son admiration pour l'univers ainsi que de la richesse de la langue gasconne, et nous propose la lecture de quelques vers de L'enterrement à Sabres, accompagné par le musicien basque, Beñat Achiary.
Éclairage
Bernard Manciet, né à Sabres, dans les Landes, le 27 septembre 1923, mort à Mont-de-Marsan le 3 juin 2005, est un écrivain gascon dont la renommée passe les frontières après la publication de L'Entèrrament a Sabres, en 1996, dans une édition bilingue. À l'occasion de la sortie de cette œuvre majeure – 5000 vers gascons – Jean-Louis Ezine écrit, dans Le Nouvel Observateur : "Une œuvre hors norme, à la fois poème théologique, testament en majesté et cosmogonie vivante, élaborée sur le modèle des cérémonies funèbres dans le monde latin antique".
Tout est dit dans ces quelques mots. L'homme y est présenté comme un monument d'érudition, un humaniste au plein sens du terme, un personnage atypique qui se moque des conventions, travaillant en dehors des modes, loin des circuits établis de l'édition grand public. Convaincu de la valeur universelle de la civilisation occitane il ne cesse d'écrire dans son gascon de la Grande Lande, ce parler "noir" que certains linguistes nomment "occitan de l'extrême" et qu'il considère comme une "langue de seigneurs".
Selon l'expression chère aux félibres, il "maintient" la langue d'oc ; c'est un mantenèire. Plus que cela, il l'exhausse ! Bien au dessus des critiques et propos narquois de l' "establishment" franco-français et des autochtones que sa langue désarçonne parfois, il va son chemin, la tête dans les étoiles "qui s'admirent entre elles". Car cet éternel adolescent ne cesse de s'émerveiller devant la Vie et devant les ressources que lui procure, dans l'écriture, sa langue maternelle, non apprise. Un peu à la façon de Montaigne qui disait "Que le gascon y aille si le français n'y peut aller", il se plaît à souligner la souplesse et les ressources de cette "langue animale au sens noble du terme"qu'il associe au champ lexical du latin animus, "esprit, souffle, principe vital" ; en cela, pour lui, c'est une langue qui respire, vivante, contrairement au français, "langue de juriste, un peu figée".
Modeste mais conscient de la supériorité du poète, il n'hésite pas à évoquer le daimôn de Socrate, esprit familier, guide, ange - au sens grec du terme - envoyé par les dieux pour lui inspirer sa poésie, le poiein. Mais Bernard Manciet est aussi un fils de la terre, héritier de propriétés que lui laisse son père, entrepreneur de maçonnerie. Il connaît l'histoire de son terroir et le cœur des hommes qui l'habitent.
La crise sociale des années d'avant-guerre et l'atmosphère pesante de certaines familles bourgeoises le marquent et il sait parfaitement en rendre compte dans sa trilogie, Lo Gojat de noveme, La Pluja et Lo Camin de tèrra.
Mais son intérêt ne se limite pas au village qui l'a vu naître et à ses habitants dont il s'est fait le chantre. L'homme est curieux et la geste de la Gascogne lato sensu l'intéresse aussi. Après la publication du Triangle des Landes (1981) qui évoque l'unité et l'unicité de la forêt de pins, de la pointe de Grave à Bayonne et jusqu'à la flexure de la Garonne du côté de Lavardac, le poète de Trensacq parcourt, dans un ouvrage entre histoire et légende, Le Golfe de Gascogne (1987), de la Saintonge jusqu'à a la Galice : "...Et ce qu'on appelait l'Autre Golfe des Galates devint comme une absence dans la conscience des peuples d'occident. Rien, siècle après siècle, n'aura cogné plus en vain que ces inimaginables vagues qui retombent, avec des claquements d'élastique, des gravités concaves, de grands chuintements de lessive, sur ces espèces de déserts sans histoire...".
Éclectique, il évoque par ailleurs, dans un magnifique poème, traduit en basque et en castillan, la bataille de Roncevaux (articles parus dans Sud-Ouest-Dimanche pendant l'été 2003), parle également des palombes ou de la cuisine dans quelques ouvrages rangés par les libraires au rayon "régional" et fait, somme toute, œuvre mémorielle en évoquant la tristesse mais aussi l'opiniâtreté des Landais face aux incendies ravageant les pinhadars dans Landes en feu (1989).
Il s'intéresse aussi au théâtre et ses pièces sont jouées à Bordeaux ou dans la région. Certains considèrent d'ailleurs que cet homme original, parfois tranchant voire "insupportable" [1], nourri de culture classique et de solides convictions chrétiennes, est extrêmement moderne, tant dans sa prose française que dans ses écrits gascons. Ses petits textes parus notamment dans Reclams sont souvent des monuments de concision, de légèreté, à l'image de ses talents, moins connus, de dessinateur de sanguines ou de sépias.
Comment enfin ne pas signaler que Bernard Manciet a indéniablement joué un rôle dans une originale renaissance poétique ? Avec le musicien de jazz d'Uzeste, Bernard Lubat, il s'adonne maintes fois, à partir des années 1985, à la déclamation publique, ce qui contribue à élargir la notoriété de cet épicurien catholique quelque peu libre-penseur.
De fait, il reste avant tout un homme libre : "Je n'aime pas être propriété de quelqu'un. Propriété de l'Occitanie, je ne le serai jamais, pas plus que celle des Français ou des Espagnols". (1997, Entretien avec Marc Blanchet).
[1] Selon l'écrivain occitan Robert Lafont dans le numéro 513 (9 juin 2005, page 8) de l'hebdomadaire occitan La Setmana après la mort de Manciet.