Scierie Labadie : le stockage du bois par aspersion d'eau
Notice
Quelques mois après le passage de la tempête Martin, la scierie Labadie à Roquefort se lance dans le stockage du bois par aspersion d'eau ; une première dans la région et sur le pin maritime qui constitue un pari à la fois financier et technique. A Mimizan, un site permettant le stockage de 300 000m3 de bois grâce au même procédé devrait également être aménagé.
Éclairage
À l'origine, la forêt landaise est exploitée pour la chimie. De ces pins, quand ils sont saignés, coule une substance collante : la résine, ou gemme, qui au début de son exploitation, est utilisée tel quel sous le nom de brais ou poix. Elle est exportée depuis le port de La Teste-de-Buch, sur le bassin d'Arcachon.
Sous Louis XIV, le goudron, obtenu lors de la carbonisation des souches de pins, remplace la poix pour calfater les bateaux de la marine royale. La résine ou gemme est distillée et donne de la térébenthine et de la colophane pour une industrie chimique naissante. Le bois des pins, quant à lui, est utilisé en planche pour les œuvres vives des navires. Pour des raisons de transport, ce produit reste cependant d'un usage limité à la région.
Transformé en charbon, le bois sert également à alimenter les hauts-fourneaux des forges d'Abbesse, près de Saint-Paul-lès-Dax et d'Uza. Pendant l'hiver, le travail se fait en flux tendu, le bois n'étant pas stocké. L'été les forges cessent leur activité par manque d'énergie, faute d'eau dans les ruisseaux.
La réussite de l'extension de la forêt en 1857, sous Napoléon III, est en grande partie due au besoin européen en térébenthine et colophane. Les États-Unis d'Amérique, grands fournisseurs de ces produits, sont en guerre. La forêt des Landes de Gascogne devient alors un eldorado.
Dans les parcelles les plus éloignées des scieries et des ports, les pins morts, après un gemmage intensif, sont abandonnés sur place, faute de moyens de transport. Ils sont la cause de l'aggravation des incendies. En 1873, une enquête conduite par Henri Faré [1], directeur national des forêts, met en évidence ce problème et préconise la construction de routes et de voies ferrées pour évacuer les fûts de résine, mais surtout le bois.
Poteaux de mine, traverses de chemin de fer, charbon de bois pour les forges, vont circuler à travers tout le massif sur des bros, le charroi landais, mais aussi et surtout en train. Le stockage du bois n'est toujours pas mis en place. Aussitôt arrivé à destination, le bois brut est transformé puis exporté.
Dans les années 1920, l'industrie papetière vient compenser la réduction des commandes de résine de pins concurrencée par les dérivés du pétrole, de traverses de chemins de fer et de poteaux de mines. L'exploitation du bois se fait en continu, toujours à flux tendu.
Dans les années 1960, le gemmage disparaît. La production de bois s'intensifie et une industrie de transformation se développe. Aux trois papeteries landaises déjà existantes – Gascogne emballage à Mimizan et les deux papeteries du groupe Saint-Gobain à Tartas et Roquefort – viennent s'ajouter trois usines de panneaux de particules à Rion-des-Landes, Linxe et Saint-Vincent-de-Tyrosse.
Ces entreprises, ainsi que les scieurs locaux, les entreprises de parquets et les caisseries, tournent toujours à flux tendu. Les stocks restent sur pied après achat et sont exploités au fur et à mesure des besoins. Dans les années 1980, une organisation de gestion du flux très performante est mise en place pour réduire les coûts de transport.
Les tempêtes de 1999 et 2009 et la prise de conscience d'un nécessaire stockage du bois
En 1999, la tempête Martin met au sol près de 25 millions de mètres cubes de pins dans le nord du massif gascon, dont 5 dans les Landes. Les industriels et sylviculteurs se retrouvent face à un nouveau problème. Deux solutions s'offrent alors à eux : vendre vite, mais à très bas prix, ou stocker sans perdre la qualité des bois.
Dans le nord de l'Europe, les bois sont stockés sous aspersion par les entreprises, depuis longtemps. Un scieur landais, Philippe Labadie, conscient qu'il manquera de bois dans quelques années, décide de mettre en place chez lui le même procédé.
De son côté, la commune de Mimizan propose aux entreprises forestières de réaliser un tel stockage en bordure d'une zone industrielle. Sur 30 hectares sont stockées 300 000 tonnes de bois. Aménagé par une filiale du BRGM (Bureau Recherche Géologique et Minière), ANTEA, il est géré par la CAFSA (Coopérative Agricole et Forestière Sud Atlantique).
A l'épuisement du stock, l'aire de stockage est démontée. Les élus ont proposé le maintien du dispositif à condition que les sylviculteurs et les industriels le prennent totalement en charge. Or, l'idée de stockage en amont de la production est vite abandonnée et les entreprises tournent à nouveau à flux tendu.
En 2009, une nouvelle tempête s'abat sur la forêt des Landes. Forts de l'expérience de 1999, les sylviculteurs veulent mettre en place des aires de stockage. Mais un imbroglio administratif et financier, à Paris, retarde leurs installations. Des bois sont vendus à 1 euro la tonne à travers toute l'Europe. Très vite, des industriels locaux réalisent que cette bonne affaire risque, au final, de leur coûter très cher ; 4 à 5 années de production de bois sont à terre. Avec plusieurs mois de retard, 21 aires de stockages par aspersion ouvrent, certaines pour la durée d'exploitation des bois stockés, d'autres pourraient être permanentes. À Solférino, lors de l'ouverture de l'aire de stockage de la forestière de Gascogne, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, la pérennisation du stockage est envisagée. Sur 50 ha 730 000 tonnes de bois sont à disposition des industriels de la région.
[1] FARE, Henri, Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Paris : Imprimerie nationale, 1873,- XLVIII-417 p. : tableaux ; 28 cm.