La forêt landaise en péril

08 novembre 2009
12m 19s
Réf. 00609

Notice

Résumé :

Reportage dans les Landes sur l'avenir de la plus grande forêt d'Europe, après les dégâts occasionnés par les tempêtes de 1999 et 2009

Type de média :
Date de diffusion :
08 novembre 2009

Éclairage


Réalisé sept mois après la tempête du samedi 24 janvier 2009, ce reportage saisit non seulement l’importance des dégâts et les effets économiques de l’ouragan, baptisé Klaus  par les  météorologistes, mais aussi le désarroi et les fragiles espoirs du monde de la sylviculture qui s’interroge sur l’avenir de la forêt.

Faisant suite à la mémorable et grosse tempête de la fin décembre 1999 qui avait balayé la France en suivant un  axe principal Nord-Gironde/Saintonge-Périgord, ravageant notamment la forêt médocaine, le terrible ouragan de janvier 2009 a frappé de plein fouet le département des Landes. Cette fois ci, le phénomène a progressé sur un front majeur allant du Pays de Born au Seignanx et sur un axe nord-ouest-sud-est, s’étendant d’ailleurs bien au-delà, en Gascogne et pays du Languedoc. C’est assurément une catastrophe forestière, agricole et économique sans précédent que connaît ainsi une région de la zone dite « tempérée » présentée jadis comme celle des contrées à la modération exemplaire et enviable…   

Est-ce un indice supplémentaire du contexte de dérèglement climatique qui semble se confirmer en ce début du troisième millénaire ? D’autant que, ponctuellement, des « mini tornades » ont affecté la zone littorale landaise, en 2003 et 2006 notamment du côté de Biscarrosse et Sanguinet (1). Dans une perspective environnementale, cette (première ?) tempête du troisième millénaire paraît compromettre l’avenir du massif des Landes de Gascogne dans ses fonctions de « piège à carbone », si utile dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement ou du moins le changement climatique.

Sur le terrain, grâce aux moyens modernes d’observation et de comptage, on évalue assez vite les dégâts. Grâce, en particulier, à une estimation établie par la DRAAF (Direction régionale de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt), avec l’appui des services du CRPF (Centre régional de la propriété forestière) et de la DFCI (Défense des forêts contre l'incendie), au moyen de 14 000 relevés GPS au bord des routes, complétés par des photos aériennes. Les communes les plus touchées, où le pin maritime a été détruit à plus de 60 %, sont situées au centre de la Haute-Lande : Arengosse, Arjuzanx, Garrosse, Luglon, Morcenx, Sabres, Solférino, Labrit, Vert. Leurs proches voisines sont  atteintes entre 40 et 60 %. (2)

Début mars 2009, on estime la perte de bois à 40,1 millions de m³ dans tout le massif, dont 37,1 de pins maritimes. En 1999, la tempête avait détruit –« seulement » - 28 millions de m³ de bois. Dès lors, des questions urgentes se posent à la sylviculture et aux collectivités locales.

D’abord, comment dégager et traiter au mieux les volumes gisant et enchevêtrés par milliers dans les pinhadars dévastés ? Énorme est le chantier, rendu très compliqué car les parcelles ne sont plus facilement accessibles, d’autant que bien des arbres ont été sectionnés à mi hauteur du fût ; ce qui rend le travail délicat et dangereux. En outre, le temps presse car un pin gisant au sol est atteint par le champignon qui fait bleuir  le bois et le prive de ses qualités de bois d’œuvre, de « bois noble » pour la charpente, le lambris ou le parquet. D’où la baisse considérable des cours : une aubaine assurément pour les papeteries qui ont un surcroît d’offres en bois de trituration (3) mais un accablement pour les propriétaires qui voient avec angoisse et amertume leur capital déprécié, les efforts de toute une vie, voire de deux générations anéantis.

Or, un malheur arrivant rarement seul, les insectes xylophages, en particulier les scolytes  tel le bostryche typographe (Ips typographus) , vont trouver dans les arbres fragilisés ou en état de mort lente, un terrain de choix pour se multiplier. Au printemps 2010 – le reportage de septembre 2009 ne peut évidemment le prévoir – le fléau des scolytes va aggraver la situation, intensifier la nécessité de nettoyer au plus vite les parcelles atteintes et mettre en relief  les dangers de la monoculture du pin sans respect suffisant pour les feuillus.

La réponse des milieux sylvicoles, en concertation avec les collectivités locales et territoriales et l’État, consiste  à prendre des mesures spectaculaires et inédites : obtenir certes des crédits  (415 millions d’euros sur cinq ans) pour intensifier les aides au bûcheronnage (mécanisé), au débardage, au transport et au stockage (4), mais également envisager l’avenir.

Ensuite, plus largement et très légitimement, la filière bois s’interroge sur l’avenir de ce type de sylviculture.  Faudra-t-il diversifier les plantations, changer les méthodes pour mener correctement une parcelle de pins maritimes jusqu’à son terme normal ? Doit-on rechercher des variétés plus adaptées aux coups de vent très forts comme celles qui, au sud des Etats-Unis d’Amérique affrontent les cyclones violents arrivés du Golfe du Mexique ?

Si le reportage se centre surtout sur le désarroi des propriétaires sylviculteurs, il faut aussi songer à la façon  dont les communes forestières, tirant jusque là une bonne partie de leurs ressources des ventes de bois, vont équilibrer leur budget et réaliser leurs projets ? (5)

Certes, la catastrophique tempête du samedi 24 janvier 2009 a sans doute provoqué une désolation pire que les plus grands des incendies, ceux de l’été 1949 notamment. Cependant les vieilles familles de forestiers, quoique tentées par les centrales photovoltaïques, ont la plupart du temps foi, malgré tout, dans l’avenir de leurs chers pinhadars. D’aucuns peuvent redire comme Bernard Manciet le prête aux vieux Landais à la fin de son ouvrage Landes en feu (Éditions Sud Ouest, 1989): « Mais, enfin, on va replanter cette année… »

Jean-Jacques Fénié



(1) Voir, entre autres, les travaux de l’historien Emmanuel Garnier et notamment : « Cinq siècles de tempêtes dans les forêts françaises » dans Tempêtes sur la forêt landaise. Histoire et mémoires, L’Atelier des Brisants, 2011, p. 53-64.

(2) La cartographie détaillée des dégâts établie en février 2009 sur le site du CRPF :

http://www.crpfaquitaine.fr/docs/20090218_carte_taux_degats_pin_maritime_communes_dif.pdf
Jean-Jacques Fénié

Transcription

Intervenant 1
Mimizan, on décolle de la position, décollage dans 5 secondes.
Journaliste
En cette fin d’après-midi d’automne, cap sur la forêt des Landes neuf mois après la tempête. À bord, Sophie Gaston, exploitante forestière. Elle est ici à notre invitation, c’est la première fois qu’elle voit du ciel, le désastre.
(Bruit)
Sophie Gaston
Moi, j’ai les tripes à l’envers, c’est vrai que je ne pensais pas que ça donnerait ce résultat vu d’en haut le fait de voir tous ces arbres allongés, cassés. On prend toute la mesure de la catastrophe.
Journaliste
À perte de vue, des arbres vrillés, sectionnés, arrachés, 200 000 hectares ravagés, près d’un quart de la forêt des Landes. Sylvie Gaston n’oubliera jamais cette nuit du 24 janvier dernier.
Sylvie Gaston
On sentait au sol l’impact des arbres qui tombaient, le sol vibrait et ça remontait dans les jambes. On n’entendait pas de craquement, si ce n’est le vent très fort.
Journaliste
La tempête Klaus, des vents de plus de 180 km/h. Les arbres tombent comme des fétus de paille. C’est le chaos, identique à celui vécu 10 ans plus tôt lors de l’autre grande tempête de décembre 99. Près de Mimizan, les dégâts sont considérables, c’est malheureusement ici que Sophie Gaston possède l’essentiel de sa propriété forestière, 700 hectares, détruits à 80 %.
Sophie Gaston
C’est l’écœurement, parce que tant d’années de travail pour avoir un résultat aussi triste, c’est dur.
(Musique)
Journaliste
Le lendemain, nous la retrouvons sur une de ses parcelles dévastées, ou plutôt sur ses abords, car il est encore impossible, neuf mois après la tempête, d’y pénétrer. Au bout de quelques mètres, le chemin devient impraticable. Les arbres ont formé à terre un mikado géant.
Sophie Gaston
Avant la tempête, on avait une parcelle de 35 ans qui était de très très belle venue avec de beaux arbres bien réguliers, qui n’avaient absolument pas été touchés par la tempête de 99.
Journaliste
Sophie Gaston aurait dû couper ces pins dans 15 ans, ils auraient eu alors 50 ans. La culture des pins, c’est une affaire de temps, de patience et de risque. Entre la plantation et les premiers revenus, plusieurs dizaines d’années s’écoulent. Une catastrophe naturelle, un incendie, et c’est la perte sèche.
(Musique)
Journaliste
Dans la forêt, une course contre la montre s’est engagée. Il faut évacuer tous les pins abattus par la tempête. Mais le temps presse, on manque de grues, de camions, et les aides de l’État ont mis du temps à venir. Les jours, les semaines, les mois passent, et le bois pourrit. Ce jour-là, Sophie Gaston vient contrôler du bois de 55 ans, victime de la tempête avec une certaine inquiétude.
Intervenant 2
Bonjour Madame Gaston.
Sophie Gaston
Bonjour, vous allez bien ?
Intervenant 2
Ça va bien.
Sophie Gaston
Alors, la parcelle ?
Intervenant 2
Bientôt finie, celle-là.
Sophie Gaston
Et là, qu’est-ce que vous avez ?
Intervenant 2
C’est tout bleu.
Sophie Gaston
Tout bleu ?
Intervenant 2
Oui !
Journaliste
Le bleu, c’est la hantise du forestier.
Sophie Gaston
C’est dommage, et puis le bleu, il est bleu, bien bleu, il y en a partout.
Journaliste
Le bleu, c’est un champignon qui attaque le bois resté trop longtemps par terre à l’humidité. Ce bleu n’altère pas ses qualités, mais esthétiquement, c’est une autre histoire.
Sophie Gaston
Et ce bleu est refusé par la plupart des clients, par la plupart des entreprises. De ce fait, au lieu de partir pour du parquet et du lambris, il va partir pour de la pâte à papier. Donc, c’est un déclassement complet de ces bois, c’est une parcelle qui avait 55 ans, donc des bois de qualité, beaucoup de bois d’œuvre. Là, résultat de la tempête, huit mois après, ça va partir à 2 euros la tonne pour la papeterie, au lieu de, on va dire, 30 euros en gros avant tempête. Donc, c’est une chute énorme, et un manque à gagner fabuleux.
(Musique)
Journaliste
Quant au bois non tâché, il est l’objet de toutes les attentions, arrosé nuit et jour pour le conserver en bon état. 25 zones de stockage comme celle-ci ont été aménagées. Le bois peut ainsi se conserver plus d’une dizaine d’années. Replanter, refaire vivre la forêt, ce n’est pas l’envie qui manque chez les propriétaires landais, mais ils s’interrogent sur leur avenir.
(Bruit)
Journaliste
Sophie est la présidente de l’association des producteurs de la région. Aujourd’hui, c’est l’assemblée générale. Elle va chercher à rassurer ses amis très inquiets de la situation.
Intervenante 1
Et moi, j’ai de la propriété à Sanguinet, à Sanguinet, on a eu une tempête en 1996, on a eu une tempête en 1999 bien évidemment. En 2003, ça a été un ouragan où il y a eu des morts dans les campings à Sanguinet et Biscarosse. On en a eu une en octobre 2006, et on en a une en 2009. Pensez-vous réellement que nous allons continuer ?
Sophie Gaston
Je sais que beaucoup sont désespérés, ne savent pas s’ils vont repartir. Je vois des têtes qui hochent dans la salle. On est des forestiers, donc il faut prendre beaucoup de recul, il faut repartir.
Journaliste
Une question est dans toutes les têtes, comment se prémunir face à de telles tempêtes ? Faut-il imaginer des plantations moins denses pour favoriser un meilleur enracinement, et donc des arbres plus solides ? Doit-on privilégier un autre type de pin venu des États-Unis, plus résistant au vent que celui des Landes ? Pourquoi ne pas limiter la monoculture du pin en favorisant d’autres espèces comme les feuillus ? Ou alors, question de moins en moins tabou, pourquoi ne pas se lancer dans une voie radicalement différente ? C’est le choix envisagé par Dominique Ribero, une exploitante de l’est des Landes.
Dominique Ribero
Les climatologues s’accordent à dire que les changements climatiques vont provoquer des catastrophes naturelles, comme celles qui se sont produites en 99 et en 2009. Et on ne peut pas laisser pousser des arbres pendant 30 ans et de n’en tirer aucun revenu. Donc, il faut se diversifier.
Journaliste
Elle mise sur l’énergie solaire.
(Musique)
Journaliste
Sur la commune de Losse en plein cœur des Landes s’élève actuellement la plus grande centrale photovoltaïque d’Europe ; 3 kilomètres carrés de panneaux solaires entièrement financés par EDF énergie nouvelle. À terme, la centrale fournira l’électricité à plus de 40 000 foyers. Dominique aujourd’hui a rendez-vous avec le maire de Losse, elle vient visiter la centrale pour se faire une petite idée.
Serge Jourdan
Tu sais combien il y en aura, de panneaux ? 1 100 000 apparemment, c’est des rangées de 10.
Journaliste
Le maire est ici comme chez lui, cette centrale, c’est son œuvre.
Serge Jourdan
Ça va vite quand même.
Dominique Ribero
Et là, tu me dis qu'il y a combien ?
Serge Jourdan
Là, je crois que…, non, cette rangée fait 600 mètres. Après, lorsque toutes les tranches seront réalisées, il devrait y avoir 600 ou 700 mètres de plus en longueur. Donc, c’est assez conséquent. Depuis trois mois, je reçois beaucoup d’appels téléphoniques pour me demander des rendez-vous, que ce soit des collectivités, des maires des Landes, de la Gironde et d’autres régions ; qui n’ont pas souffert de la tempête. Mais j’ai surtout beaucoup de propriétaires forestiers de la région qui étudient ou regardent comment réaliser chez eux des projets photovoltaïques pour s’assurer des revenus réguliers.
Journaliste
Les revenus, en louant le terrain à la compagnie d’électricité, 2 500 euros l’hectare à l’année. La forêt elle, en rapport 25 fois moins.
Dominique Ribero
Ben, ça m’intéresse parce qu’on est huit mois après une tempête qui a dévasté pas mal de forêts, et notamment chez moi, pas que dans les propriétés communales. Voilà, donc je n’ai pas trop envie de tout miser sur de la forêt de nouveau, mais il faut que j’en parle autour de moi et à ma famille. Et il me reste à les convaincre, les amener peut-être ici. Mais je trouve que c’est tout à fait convainquant de venir ici, c’est propre, esthétique. Ce qui me plaît, c’est que toute cette zone soit cernée par des arbres. Tu peux faire tout le tour, donc c’est invisible.
Serge Jourdan
Oui, c’est très bien dans le paysage landais.
Journaliste
Dominique souhaiterait installer sur la propriété de la famille une petite centrale. Mais il faut convaincre son père, et ce n’est pas gagné.
Dominique Ribero
Toute sa vie, il s’est sacrifié un peu pour cette forêt, donc en coupant très peu pour nous laisser…. Sa fierté, c’était de nous laisser un gros patrimoine. C’est donc ça qui a été terrible pour lui et pour nous.
(Bruit)
Dominique Ribero
Papa !
(Bruit)
Journaliste
Cet homme, âgé de 87 ans, supervise lui-même l’évacuation de ses pins.
Dominique Ribero
Vendredi, depuis vendredi, il est là ? Sur ce petit bout, c’est lent, non ?
Pierre Darroussat
Ben, il a fait à peine trois hectares.
(Bruit)
Journaliste
Pierre Darroussat avait planté cette forêt en 1949. Ces pins avaient plus de 60 ans.
Pierre Darroussat
Et il en reste à peu près 10 %, 20 % à tout casser. Et le soleil que l’on voit là, on ne le voyait pas avant, lorsque la forêt était intacte là. Maintenant, le soleil, il brille là. Lui, il continue, mais la forêt est morte.
Dominique Ribero
Là, ça fait vraiment de la peine là.
Journaliste
La fille amène le père un peu plus loin sur une autre parcelle. Elle a été entièrement dévastée par la tempête. Dominique verrait bien ici dans quelques années sa centrale photovoltaïque.
Pierre Darroussat
Je ne serais pas trop d’avis là, parce qu’il va y avoir déjà 300 hectares sur la commune d’un seul tenant. Alors bon, si on fait des petites centrales d’une vingtaine d’hectares ou partout sur la commune, bon, ça ne sera plus la forêt telle qu’elle était, ça ne le sera plus jamais de toute façon.
Dominique Ribero
Mais il est bien évident papa que c’est un moyen évidemment de rentabiliser un peu mieux une partie des terres et pour revaloriser tout le reste.
Pierre Darroussat
Mais oui, mais je suis d’accord.
Dominique Ribero
Et le patrimoine familial, et avoir encore de plus belle forêt, de rénover les maisons qui sont dessus. Ça permettrait au moins de faire tout ça, et de pouvoir vivre ici.
Pierre Darroussat
Oui, mais je suis bien d’accord.
Journaliste
Les propriétaires forestiers le savent, si un autre ouragan survenait ces prochaines années, la forêt des Landes, déjà à moitié dévastée, ne s’en remettrait pas. Tempêtes à répétition, sécheresse, risque d’incendie, la forêt landaise n’est-elle pas la première victime française du réchauffement climatique ?