Langue : lecture et compréhension des paysages
Introduction
Dans les Landes, les noms de communes et les noms de lieux qui apparaissent sur les cadastres sont à 99 % gascons. Comment donc "comprendre" ce pays si on ne possède pas ce référent ?
C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, la toponymie est de plus en plus sollicitée pour vulgariser l'histoire de l'occupation du sol.
Mais qu'est ce que la toponymie ? Que représente le gascon dans le corpus des langues de France ?
Toponymie ou étude des noms de lieux
De même que l'archéologie fait parler le passé, de même les noms de lieux (rivières et montagnes, communes et lieux-dits) permettent de lire les strates d'occupation du sol qui font l'histoire d'un territoire. Faisant appel à la Linguistique et aux données de l'Histoire et de la Géographie, la toponymie est une discipline qui met en œuvre des connaissances et des méthodes spécifiques : vérification des sources anciennes, des formes orales, étude rigoureuse de l'évolution des noms depuis ses origines, consultation de cartes et visites sur le terrain parfois.
Le gascon dans l'espace occitan
L'aire occitane ou de langue d'òc [1] comprend quatre vastes sous-ensembles : le gascon, le languedocien central, le nord-occitan (Limousin, Auvergne, Dauphiné) et le provençal. Elle couvre un ensemble de 32 départements.
La "Gascogne linguistique", telle qu'on peut l'étudier avec précision dans l' Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne [2], couvre un domaine vaguement triangulaire délimité en gros par le littoral atlantique entre l'Adour et la Pointe de Grave, par les crêtes pyrénéennes au sud entre Pays Basque et Val d'Aran, et par la vallée de la Garonne à l'est, débordant un peu au-delà, dans le Couserans ariégeois et dans la Guyenne girondine (Entre-deux-Mers, Benauge).
Dans le cadre des États français et espagnol, cette Gascogne linguistique recouvre les départements du Gers, de la Gironde, des Landes et des Hautes-Pyrénées dans leur entier ; les Pyrénées-Atlantiques pour leur partie béarnaise, l'ouest du Lot-et-Garonne, la région de Beaumont-de-Lomagne en Tarn-et-Garonne, le pays du Comminges en Haute-Garonne, et l'arrondissement de Saint-Girons dans l'Ariège ; enfin, le Val d'Aran qui est englobé dans la Generalitat de Catalunya .
Dans l'ensemble des pays de langue d'oc, la zone dialectale gasconne s'identifie par des traits phonétiques particuliers :
- La transformation en [h] du [f] initial latin, alors que le languedocien ou le provençal le conservent : farina > haria, filha > hilha, font > hont, fuèlha > huèlha .
- La lettre [r] se déplace à l'intérieur de certains mots (métathèse) : cabra > craba, cambra > cramba, paure > prauve .
- Les mots commençant par un [r] étymologique redoublent ce [r] et développent, à l'initiale, un [a] « prothétique » : rat > arrat, ren > arren, riu > arriu, ròda > arròda .
- Placé entre deux voyelles, le [n] disparaît dans la majeure partie de l'aire concernée : esquina > esquia, farina > haria, luna > lua, menar > miar, una > ua .
- L'évolution particulière de la géminée latine [ll] : en finale, [-ll] > [-th] : bellum > bèth, capellum > capèth, castellum > castèth, vitellum > vetèth . À l'intervocalique, [-ll-] > [-r-] : bella > bèra, capella > capèra, gallina > garia, illa > era .
- La chute du [b] et du [d] dans les groupes [mb] et [nd] : camba > cama, entendre > enténer, landa > lana, palomba > paloma, prendre > préner .
Par ailleurs, quelques formes propres au gascon intéressent la conjugaison (imparfait et parfait notamment) et surtout le lexique qui garde trace d'un fonds "aquitano-pyrénéen" très ancien, que Gerhard Rohlfs [3], le premier, a mis en exergue.
Dès lors, on comprend que la toponymie gasconne soit marquée d'une certaine originalité par rapport à l'ensemble occitan, en raison du "substrat" aquitanique qui l'imprègne et du fait de ses traits phonétiques spécifiques.
Et l'Histoire explique cette originalité. Quand les Romains conquièrent la Gaule, ils imposent progressivement le latin aux Gaulois qui parlent une langue celtique. En Gaule, du Ier au VIe siècle, on parle donc un latin populaire teinté d'accent gaulois : c'est le gallo-roman.
Mais, au couchant de la Garonne, dans une région peu celtisée, occupée par les "Vascons", les Romains se heurtent à des populations qui parlent une langue différente, comme le notent César et Strabon [4]. Cette langue, que les linguistes appellent "aquitanique" ou "proto-basque" imprime ses caractères phonétiques à la langue des nouveaux arrivants qui est adoptée, engendrant l'aquitano-roman qui explique le substrat toponymique le plus ancien dans toute la Gascogne et au-delà, dans toute la chaîne des Pyrénées.
Au Ve siècle, le nord de la Gaule est envahi par des tribus germaniques franques. Ces derniers modifient par leurs apports le gallo-roman "du Nord", future langue d'oïl, qui se départit des parlers du Sud demeurés très proches du latin. Très peu germanisée, cette koinè devient la "langue d' òc " ou "occitan", après le Xe siècle, tandis que les parlers d'oïl s'éloignent progressivement de leurs origines, ce qui fait dire à Benard Cerquiglini que le français "provient du latin populaire mêlé de gaulois et de germanique [...] la moins latine des langues romanes" [5].
Longtemps appelé "patois" - comme les autres langues de France - le gascon est une langue écrite, officielle, avec le latin, dans les actes concernant l'Aquitaine [6].
Langue administrative jusqu'au XVIe siècle, le gascon, comme les autres dialectes occitans, possède une graphie spécifique reprise en 1945 par les universitaires de l'IEO [7]. Cette graphie est donc historique et parfaitement adaptée à notre langue. Elle permet l'intercompréhension entre les grands dialectes, "le catalan, le languedocien"...
Les temps ont changé. L'occitan, dans toutes ses variantes est aujourd'hui reconnu et enseigné [8]. Plus qu'un "sursaut" c'est un véritable "retour aux sources" pour ceux qui ont conscience qu'il sont "détenteurs d'un patrimoine". Dans les Landes, le Conseil général participe largement à sa protection, jouant le rôle de "mainteneur" en menant des actions culturelles qui visent à valoriser ce vecteur de la culture landaise transmis aux générations suivantes par le biais d'écoles bilingues.
Dans certaines familles enfin, on prend conscience de l'urgence de sauver une langue classée en 2009 par l'UNESCO, parmi les 3000 langues du monde en danger, patrimoine culturel immatériel de l'humanité.
Les cours de gascon pour adultes et enfants à Sabres
En Haute-Lande, une poignée de passionnés se bat pour la survie de la langue gasconne. A Sabres, des cours du soir sont proposés pour les adultes ainsi que des cours d'initiation pour les plus jeunes. Par ailleurs, le Parc régional des Landes de Gascogne propose, durant la saison estivale, des visites guidées en gascon de l'écomusée de Marquèze.
Le gascon à l'école
Depuis la rentrée de septembre 2000, l'école de Montfort-en Chalosse propose, outre l'enseignement traditionnel, un enseignement bilingue français-gascon, dès la maternelle. Une vingtaine d'enfants, âgés de trois à cinq ans, viennent ainsi d'être inscrits dans cette section pilote dans les Landes.
Quand les hommes éprouvent le besoin de nommer les lieux, ils en donnent les ressources ou en signalent les dangers. La toponymie est ainsi, avant tout, pragmatique.
Nature du sol, qualité des eaux, relief, végétation, faune constituent donc les premiers registres avant que les noms de personnes ne s'attachent aux lieux.
Dans les Landes, comme partout, certains noms de paroisses remontent donc aux strates les plus anciennes - aquitanique et latine - mais c'est le fonds dialectal qui fournit, à partir du Xe siècle, le lot le plus important de toponymes.
En effet, à l'importante série de paroisses qui apparaissent au début du second millénaire, dans une période de remarquable expansion démographique et économique, s'ajoutent les milliers de noms de hameaux, appelés localement "quartiers" liés à un territoire caractérisé par un habitat dispersé. L'appréhension de ce legs passe donc, évidemment, par la connaissance de la langue sur un territoire où l'histoire est écrite en gascon, langue véhiculaire et culturelle d'un pays "de Gascogne" qui n'existe que par son marqueur linguistique...
Les Landes
L'incendie de 1949, le musée Napoléon III à Solférino, la dégustation des palombes à la ficelle, le rugby et la légende des frères Boniface, le respect des anciens et la sorcellerie, et enfin une présentation de la Chalosse par André Dussel : tel est le panorama des Landes qui nous est ici présenté, au travers de nombreux témoignages.
[1] C'est le grand poète italien Dante Alighieri (1265-1321) qui a déterminé un classement des langues romanes suivant la façon de répondre "oui". Se détachent ainsi 3 groupes : les langues de Si (du latin sic), la langue d'Oc (du latin hoc) et la langue d'Oïl (du latin hoc ille).
[2] SEGUY, Jean, avec la collaboration de ALLIERES, Jacques et RAVIER, Xavier, Atlas Linguistique de la Gascogne (ALG), Toulouse : Centre régional de documentation pédagogique, 1914-1973.
[3] ROHLFS, Gerhard, Le gascon. Étude de philologie pyrénéenne, Pau : éditions Marrimpouey Jeune, 1977.
[4] CESAR, Jules, Commentaires sur la guerre des Gaules : Gallos ab Aquitanis Garumna flumen dividit, «la rivière Garonne sépare les Gaulois des Aquitains".
STRABON, Géographie, IV, 2,1 : "Les Aquitains diffèrent des peuples d'origine gauloise (...) par la langue qu'ils parlent".
[5] CERQUIGLINI, Bernard, Une langue orpheline, Paris : éditions de Minuit, 2007.
[6] Le premier texte administratif rédigé en gascon, connu à ce jour, concerne les coutumes de Corneillan (Gers).
SAMARAN, Charles, Les coutumes inédites de Corneillan (5 février 1142-1143 n.s. [ ?]). Traduction, commentaire et glossaire, Bibliothèque numérique de l'École des Chartes, cote 8 DEL520 (8).
[7] Institut d'Estudis Occitans
[8] Site en ligne de Cap Sciences Bordeaux. Exposition virtuelle : "Au rendez-vous des langues" . Les Langues d'Aquitaine.
Nature du sol et des eaux
Les eaux vives, cours d'eau et sources, justifient ainsi légitimement la dénomination des premiers bourgs : Aire, évolution phonétique régulière de Atura, nom antique de l'Adour, et Dax qui rappelle le syntagme latin Ad Aquis, "aux eaux", tout d'abord. Puis viennent Larrivière et Hontanx, du gascon arribèra et hontan, "rives d'un cours d'eau" et "lieu pourvu de sources" alors qu'Eugénie-les-Bains est toujours nommée localement Las Aigas, "les Eaux".
Précise, la toponymie - qui interfère avec la patronymie - indique les caractéristiques des cours d'eau : sur arriu, "ruisseau", se déclinent ainsi, par exemple, Darrieulat (arriu lat, "ruisseau large"), Darrieumerlou (arriu merlós, "ruisseau marneux"), Darrieusec (arriu sec, "ruisseau sec") ou Darrieutort (arriu tòrt, "ruisseau tortueux") qui ont donné bon nombre de noms de familles tandis que les formes médiévales de Canenx-et-Réaut révèlent l'étymon rivus albu s, "ruisseau clair" et que Horssarieu, altéré par une graphie fantaisiste, émane de horcs arriu, "confluence".
Les sites marécageux, mal égouttés, sont si nombreux dans les Landes que l'on ne peut en donner une liste exhaustive mais on reconnaît aisément les lieux et les patronymes fondés sur augar, barrèira, brau, cròt, gorc ou gorga, estanh, hangar, lagüa, lamon, marla ou merla, morar, palu ou sanha dans Lauga, Barreyre, Braou, Lacrotte, Gourgue, Estagnot, Hanga, Laguibe, Lamon, lagune du Merle ou La Merleyre, Moura, La Palue et Sagne.
Gamarde enfin, se rattache à la forme basque de Camou (en Soule), Gamarte en basque, signalant la présence d'eaux thermales et de boues, comme à Dax, Préchacq, Saubusse ou Tercis, révélant ici la proximité du substrat aquitanique évoqué précédemment.
La station thermale de Préchacq-les-Bains
Le calme et la tranquillité règnent dans l'établissement thermal de Préchacq-les-Bains. Chaque année, entre les mois de mai et d'octobre, de nombreux curistes viennent profiter des bienfaits des cataplasmes de boue et de l'eau sulfureuse pour soigner maladies respiratoires ou rhumatologiques.
Nécessaire au développement des premiers ateliers de potiers, l'argile est recherchée et signalée dans la toponymie. Elle explique Argelos et Argelouse tandis que Carcarès, Cauna et Cauneille rappellent des carrières de pierre : le gascon carcarés nomme ici carrières calcaires et fours à chaux tandis que Cauna et Cauneille (caunar et caunelha) évoquent des "grottes", des "cavités" (caunas) liées à une activité de carriers, tout comme certainement Peyrehorade pèira horada, "pierre creusée".
Aujourd'hui dans les Landes
Deux jeunes filles découvrent les Landes. En Chalosse, un Landais leur propose une visite guidée qui les mène de Sorde-l'Abbaye à Saint-Sever. Direction ensuite, le Parc naturel régional des Landes de Gascogne où elles rejoignent un groupe d'amis, pour des balades en bicyclette, cheval et canoë.
Le relief
En dépit d'un cliché largement répandu, le département des Landes n'est pas une vaste plaine ; au contraire, il est marqué par un relief varié : plateau landais profondément entaillé par le réseau hydrographique, cordon dunaire côtier, vallonnements des coteaux de Chalosse et du Tursan fournissent ici une "oronymie" [1] précise et variée.
Les vallons et vallées ou simple dépressions se signalent à Arboucave (Orbacava en 1274), "ravin ténébreux, obscur" [2], les vallées entaillant les bassins versants expliquent Baigts et Bats (gascon vath), Beylongue et Belhade (vath longa et vath lada), "vallée allongée" et "vallée large" alors que Bas, coma et lèta précisent, sur les cadastres, des dépressions de moindre importance.
Sans jamais dépasser une altitude de 200 mètres, le département des Landes compte bon nombre de noms de hauteurs. On pourrait presque parler d'oronymie landaise : Biscarrosse, d'origine prélatine, rappelle ainsi le cordon dunaire de la "montagne" [3] tandis que Mont-de-Marsan (Lo Mont) est une bastide liée au site primitif de Saint-Pierre-du-Mont, Montaut, comme Clermont, reposent sur mont, "promontoire" avec un sens similaire aux dérivés du latin podium qui se lisent dans Pouydesseaux (Poi de Sauç) [4], Pujo-le-Plan (Pujòu) et Puyol-Cazalet (Pujòl), formes diminutives issues de podiolum, ou Serres-Gaston apparenté à toutes les "serres" qui décrivent des hauteurs allongées (latin serra).
Émaillant çà et là les cartes, tous les lieux Coum, Soum, Tuc, Tuquet, Turon traduisent également des hauteurs, dunes fossiles ou simple promontoire quand les Platiet ou Plata marquent les interfluves dépourvus de relief, souvent transformés en champs de maïs.
Promenade en Chalosse
Carte postale présentant différents aspects de la Chalosse : les richesses de son terroir, la vie tranquille de ses habitants, les lacs d'Halco et d'Hagetmau qui participent au développement touristique du sud-est des Landes et enfin l'étendue de son patrimoine artistique et historique que représentent les églises romanes.
[1] Nomenclature des noms de hauteurs, de montagnes.
[2] Le déterminant représente le latin médiéval orbus, "ténébreux" qui prend parfois le sens de "aveugle", comme à Fonsorbe (Haute-Garonne) indiquant une fontaine tarie.
[3] Nom donné par les locaux à l'espace dunaire couvert de pins constituant depuis le Moyen Âge une forêt usagère.
[4] En fait, deux paroisses regroupées : Pouy et Saus que l'on peut interpréter comme un promontoire (poi < latin podium) dépendant de Sauç, "saule ou saulaie" (< latin salice).
La végétation
Bois
La toponymie se révèle par ailleurs bien utile pour déterminer les paysages anciens et donner des informations sur leur évolution. Ainsi se détachent en filigrane de la nomenclature actuelle les anciens boisements et défrichements livrant une multitude de renseignements sur l'environnement naturel dans le segment chronologique qui correspond à l'implantation de nouveaux bourgs au début du second millénaire.
Les occurrences médiévales permettent donc d'établir que Boos (Bost au XIe siècle) est un ancien bois, Castagnos et Castandet des châtaigneraies, Le Frêche, une frênaie, Hagetmau une hêtraie et que Saubusse (Sabuce au XIe siècle) émane du latin Sambucea, "lieu où abonde le sureau".
Maints lieux-dits indiquent par ailleurs bois et bosquets avant les grands défrichements ou, au contraire, ce qui restait après les défrichements des Xe-XIIIe siècles : bòsc, "bois" (d'origine germanique) vient en tête avec les nombreux Bouscaut, Bosredon ou Capdebosc traduisant respectivement des lieux boisés, des bois "ronds" et des limites forestières. Mais d'autres mots aident à préciser la nature du secteur boisé : Breuil (du gaulois * broglio) signale un hallier, Hourc, Hourquet et Hourcade des bosquets, Sègue un bois destiné à être coupé, une "coupe", alors que Dehès (du latin defensum) et Bedat (du latin vetatum) renvoient au système antérieur à la loi de 1857, indiquant des "défens", des "pacages interdits" dans un système de vaine pâture.
Les vieux mots latins lucus, "bois sacré", et saltus ont donc été supplantés par des apports ultérieurs mais ils ont eu le temps de donner Liposthey et Lucbardez [1], Lucmaysouau, "bois lié à une maison", Lucbernet, "bois d'aulnes", Lugaut, Lucats ou La Lucate, "étendues boisées", Licaougas, "bois marécageux, couvert de molinie" (luc augar), Lucbon, "bon bois", Lucarré, "bois situé à l'ouest" (luc arrèr), Lucgarrier, "bois de chênes" à l'instar de Cassiède ou Cassiet, et enfin, sans épuiser une liste très longue, Lutilhous, "bois de tilleuls".
Saltus, inconnu des parlers actuels, explique Sault-de-Navailles, aux confins du Béarn, à la limite de terres nouvellement cultivées (las navalhas) et de bois, tandis que Sauméjan (saut mejan) nomme un "bois du milieu, mitoyen, servant de limite".
[1] Le déterminant appartient ici à la famille de barda, "boue", qui a donné, entre autres, le verbe bardinar ou bardissar, "enduire de terre glaise un torchis".
Forêts
Les noms de lieux montrent ainsi, dans les Landes, un boisement occasionnel, bien délimité, circonscrit aux espaces propices à la végétation, exempts de vastes couverts que l'on appelle ailleurs sèuva ou sauva (du latin silva) ou horest [1].
Les grands défrichements associés aux abbayes, Sauvelade en Béarn, Lasseube-Propre au nord de la Gironde, La Sauve Majeure ou Pleine Selve dans l'Entre-deux-Mers ne sont pas dans les Landes. Car la carte d'un boisement révélé par la toponymie se lit aussi en négatif...
[1] Du latin de basse époque forestis [ silva ]), attesté dans les Capitulaires de Charlemagne, désignant la forêt royale, et plus précisément une forêt "relevant de la cour de justice du roi" (de forum, "tribunal").
Landes : l'exemple du "Lanagran"
La végétation de lande, dominante sur substrat sableux, se lit dans les noms de Lanas (Port-de-Lanne) et de Gastes (Gastas) qui rappelle des terres incultes (du latin vastas). Mais si les termes chers à Félix Arnaudin, rasa et esplanduda, ne se retrouvent pas sur cartes et cadastres, Lanusse et Lanot (lanuça et lanòt), formes augmentatives et diminutives de lana fournissent bon noms de lieux et de patronymes.
Saussaies et boulaies s'y développent par ailleurs éclairant les lieux nommés Sausset (Saucet), Les Saous (Los Sauç), lagune de la Saoussie (Lagúa de la Sauçia), Le Saucissé (Lo Saucissèr) ou Boutoura (Botorar), altérés par une graphie française erratique, voire erronée.
Balade en forêt landaise
A l'occasion d'une balade, une jeune guide nous propose de découvrir les particularités de la forêt landaise, à travers son histoire et la présentation des plantes qui constituent son sous-bois. La promenade s'achève sur les bords de l'étang Bourg Vieux, une réserve d'eau douce naturelle qui abrite nombre d'espèces sauvages animales et végétales.
La strate herbacée
Qu'ont en commun les bourgs de Bastennes, Gabarret, Gibret, Heugas, Lauret, Laurède, Sanguinet, Sarraziet ou Uza ? Ils renvoient tous à l'environnement végétal qui fait le caractère de la lande.
Dans l'ordre, ils s'expliquent par le gascon d'origine prélatine bastena, fondé sur basta, et gavar, dont gavarret est une forme collective, "lieu couvert d'ajonc épineux". Vient ensuite gebra, forme gasconne de genebra (du latin populaire geniperu), qui annonce un "lieu couvert de genévriers" alors que heugar et huusar, à l'origine de Heugas et Uza (Husar en 1280), indiquent des "fougeraies" si utiles à la constitution du soutrage. Les formes fréquentatives composées avec le suffixe latin -etum / -eta, sont enfin reconnaissables dans Laurède fondé sur laur, "laurier", Sanguinet construit sur sanguin, "sanguine ou cornouiller", et enfin sarrasiet à l'origine de Sarraziet qui pourrait indiquer un lieu marécageux au bord du Bas, caractérisé par la présence de typha ou massette d'eau.
L'occupation du sol ou l'aménagement du territoire
Défricher pour conquérir un bout de terre !
On l'a déjà dit, les "Landes" sont paradoxalement le domaine d'une "forêt immémoriale". Même si cette couverture végétale est discontinue, grandement dépendante de la nature du sol et du niveau des nappes phréatiques, il a fallu défricher pour faire émerger des bourgs et gagner des terres cultivables en période d'expansion démographique. Et cette partie de la Gascogne n'échappe pas à la règle : entre le Xe et le XIIIe siècle, le réseau paroissial s'étoffe, et jusqu'au XVe siècle où finissent de se développer les "quartiers", des toponymes liés à l'essartage se multiplient.
Labatut et Lesperon émanent ainsi du même champ lexical : l'abatut traduit un endroit où il a fallu "abattre" les arbres, tout comme esperon, perdu dans le lexique actuel, mais très probablement apparenté au verbe esperoar, "défricher", encore employé en vallée d'Aspe (Béarn).
À l'origine de nombreux écarts, une série de termes issus du vieux fonds lexical prélatin, du latin, voire du germanique, rappellent ces terres gagnées sur le forêt.
Il en est ainsi de l' airiau (du latin area) issu du défrichement de chênaies en bordure de cours d'eau mais aussi de tous les Anglade (anglada) et Cournau (cornau) indiquant un "angle, un coin" de bois éclairci tandis que artiga (mot prélatin), bodiga (du gaulois bodica), hodin (d'origine germanique), treitin (du bas latin * tractinare) ou roncau (du latin médiéval runcare) signalent des lieux destinés à la culture ou à l'établissement de hameaux identifiables dans Anglade ou Langlade, Cournau ou Ducournau, Artigue ou Lartigue, Boudigue, Laboudigue ou Bouigue, Houdin, Treytin et Rouncaou.
Architectures rurales : l'airial du Rouncaou
A quelques kilomètres de Taller se trouve l'airial du Rouncaou, propriété des Seguin, anciens métayers, transformée depuis peu en chambres d'hôtes et camping. Dans ce lieu chargé d'histoire, exemple type de l'architecture paysanne landaise, Marie-Thérèse Seguin raconte la vie d'autrefois pendant qu'à l'extérieur les hommes s'adonnent à des activités d'un temps révolu.
Les terres nouvelles gagnées sur l' èrm, le "désert", ou la forêt sont alors circonscrites par des toponymes spécifiques : Caplane, Capdebosc ou Navailles qui se traduisent par "bout de la lande", "limite du bois" ou "terres nouvelles", autant de confins entre l' ager et le saltus, les espaces demeurés sauvages et les terres cultivées.
Brûlées volontairement par écobuage ou accidentellement, certaines parcelles se nomment Les Bluhes, Les Burles, La Crémade ou Les Uscles ou Usclades, altération de bluha, burla, cremada ou uscla et usclada .
Limitées par des fossés ou des pierres servant de bornes, ces parcelles sont annoncées par des crastas et barrats, des "fossés", ou des pierres plantées ou "fichées" en terre qui se retrouvent dans tous les lieux La Craste, Le Barrat ou La Barrade, Peyrehite et La Hite. Entre deux communautés, de très anciennes limites (latin fines) se devinent dans Hinx.
Les terres vouées à la culture et à l'élevage
Une fois défrichées, les terres mises en culture sont la plupart désignées sous les termes camp ou pèça, "champ" et "pièce [de terre]". Forme et vocation sont souvent associées à la simple mention du lopin. Ce type de formation se trouve à l'origine de Campet, "petit champ", Coudures ou Coutures (du latin culturas), "cultures", Cazaux et Cazalis (du latin casale) indiquant de vastes domaines mis en valeur tandis que Linxe (Linsa au XIe siècle), Pomarez ou Le Vignau annoncent la production de lin, de pommes ou des vignobles.
Encore plus précise, la microtoponymie indique la forme du champ : Campardon (camp redon) ou Courrèges (corrèja) décrivent un champ "rond" ou allongé, en forme de "courroie" (latin corrigia).
L'Armagnac d'Ognoas
Légué à l'Eglise en 1824 par Etienne de Lormand, le domaine d'Ognoas est aujourd'hui propriété du département des Landes et représente 300 ha de forêt et 25 de vignes. Ici, l'armagnac est distillé dans un alambic datant de 1804. Vieillie ensuite dans des barriques de chêne, l'eau de vie développe alors tous ses arômes et sa couleur ambrée.
Dans le système agro-pastoral traditionnel, les terres vouées aux cultures fourragères l'emportent bien évidemment sur les surfaces réservées aux productions vivrières et textiles. Nombreux sont les noms de bourgs et de quartiers qui rappellent ce mode de vie ancestral où le bétail, fondement de la richesse [1], prévaut dans l'économie familiale.
L' "arbre d'or", le pin, ne recouvre pas encore de sa chape uniforme le "triangle landais" ; les terrains de parcours et les pegulhèirs [2] sont les traits d'union entre les lieux de vie que constituent les quartiers regroupant une population supérieure à celle du bourg proprement dit.
Au hasard de la lecture des cartes on relève ainsi : Clèdes (Cledas), Estibeaux (Estivaus), Montsoué (Mont soèr) et Pécorade (Pecorada), littéralement "parc à brebis, enclos", "pâturages", "colline des porcs" et "lieu d'élevage". Partout les lieux-dits indiquent prés, prairies et bergeries mais aussi les terrains de vaine pâture et les défens : arribèir et arribèra, "praire au bord d'un cours d'eau", coderc et padoens, "pacages communaux, vacants", prat et pradèra, "herbages", dehés ou vedat (du latin defensum et vetatum), "pacages ou bois défendus", donnant, par exemple, les patronymes Harribey, Couderc, Duprat et Dubedat.
À l'abri des prédateurs, le bétail est regroupé dans des barguèiras, des bòrdas et parcs tandis que le berger se retire dans le cojalar, l' ostalòt ou l' ostalet . Parsemés sur les cartes et cadastres modernes, ces simples noms de lieux rappellent le quotidien de jadis, le fondement d'une économie destinée à être bouleversée après la loi de 1857 sur l'assainissement des Landes de Gascogne.
L'arbre d'or
En 1857, la loi d'assainissement des Landes de Gascogne, initiée par Napoléon III, aboutit à la plantation massive de pins maritimes mettant à mal les anciennes structures du système agro-pastoral. L'espace boisé devient ainsi le théâtre de graves incendies, dont celui de 1949, point de départ d'une politique de prévention et d'expérimentation sur la réhabilitation d'anciennes fermes.
[1] L'adjectif français pécuniaire dérive ainsi du latin pecunia fondé sur pecus, "bétail".
[2] Pegulhèir, "chemin pour les troupeaux", repose également sur pecus, "bétail".
L'habitat
Civil ou militaire, le patrimoine bâti prend une grande place dans la nomenclature des cartes et cadastres. Il a servi à former des noms de paroisses, de la simple grange ou masure au château-fort.
L'unité de base, la "maison", se décline en Aquitaine en trois mots issus du latin : casa (de casa), ostau (de hospitale) et maison (de mansio). La plupart du temps, dans une banalité affligeante, ces bâtisses sont simplement qualifiées de "neuves", "vieilles", "bonnes" fournissant tous les Casenave et sa variante Cazenave, Maisonnave, Maisonnabe, Maisonbielle, Bonnemason, Loustau, Loustalot ou Loustaunau ...
Maisons et fermes ruinées, parfois vestiges antiques se lisent enfin dans Mazères et sa forme diminutive Mazerolles mais aussi dans Pardies, de l'ancien occitan * pardinas issu du latin classique parietinae, "murs en ruines".
Plus que le bâti proprement dit, la répartition et l'organisation de l'habitat dans son cadre naturel permet une lecture rapide de l'occupation du sol sur un territoire donné.
La "bastide" [1] au plan régulier, annonce ainsi un projet homogène, pensé, dans un segment chronologique précis. Édifiées entre les XIe et XIIIe siècles, elles assurent le développement de secteurs laissés en friche. Annoncées par une terminologie spécifique, elles rappellent tout simplement leur statut de "ville neuve", le nom de leur fondateur, un site défensif ou bien le nom d'une cité prestigieuse dans le cadre de leur promotion.
Sur la trentaine de bastides landaises plus ou moins abouties, on citera pour exemples La Bastide-d'Armagnac, Villeneuve-de-Marsan ou Villenave, Hastingues ou Geaune et Grenade qui rappellent les prestigieuses cités italienne et espagnole de Gênes et Grenade. S'ajoutent à cette liste non exhaustive tous les Castelnau ou "châteauneuf". Quand la toponymie conte l'Histoire...
Identifiés par leur position dominante, tous les sites fortifiés défensifs se lisent au premier coup d'œil dans Bonnegarde, Lamothe, Montfort, Montgaillard ou Roquefort.
Habitat groupé et habitat dispersé apparaissent par ailleurs spontanément sur les cartes mais la toponymie peut préciser la datation d'un hameau ; c'est le cas dans les secteurs où certains quartiers homonymes sont précédés de la mention "grand" et "petit" indiquant le développement d'un noyau d'habitation secondaire.
[1] Le terme occitan bastida, comme le verbe français "bâtir" sont tirés du germanique * bastjan, "tresser, former un plessis avec des branchages". Une allusion aux constructions primitives, majoritairement en bois.
L'espace vécu
Certains noms de lieux sont un peu déroutants car ils ne marquent rien de concret mais renvoient plus ou moins confusément à une "perception" de l'environnement.
Les points cardinaux, par exemple, nécessaires en l'absence de tout autre repère, revêtent des noms différents suivant les lieux. Au pied des Pyrénées, on se fie à la montagne et capsús peut indiquer l'amont mais aussi le Sud, antonyme de capvath, littéralement "vers la vallée" et donc vers le Nord. Ils traduisent les très nombreux Capsus et Capbat des cartes qui prennent cependant le sens de "levant" et de "couchant" dans la plaine tandis que le Nord et le Sud y sont généralement mentionnés bisa et mijorn, Bise et Mijourn sur les cadastres...
Aux lieux plus ou moins répulsifs représentés par tous les Bouheben de Gascogne, "lieux exposés au vent" ou encore Minje-profit, Brame-hame, minja-profit et brama-hama, "terres maigres et peu productives" où on "criait famine" s'opposent villages et hameaux bien en vue et bien exposés, les "bons lieux", Bonloc ou Belloc (bèth lòc) mais aussi, avec le sens de "Beauvoir", tous les bèth véder ou bèth véser qui se retrouvent par exemple dans Betbezer-d'Armagnac et dans le patronyme béarnais Beigbeder, dans le même champ lexical que tous les Clermont.
Bien choisir un lieu, en amont de la fondation, c'est veiller à son ensoleillement, ce que traduit le gascon arrajada (de arrai, "rayon de soleil"), solana en montagne, "adret, côté exposé au soleil" et còsta cauda, "coteau réchauffé, ensoleillé", par exemple. C'est aussi acheter une terre au meilleur prix et de bon rapport comme l'indiquent les amusants lieux-dits La Croumpe, Plancroumpat (crompa, "achat", plan crompat, "bien acheté"), La Pleyteyade (pleitejada, "discussion") en Armagnac et Paguetout (paga tot, "paie tout") à Sabres.
Conclusion
La nomenclature française des communes et des milliers d'écarts et lieux-dits qui constituent un maillage plus ou moins serré sur les cartes géographiques permet donc d'éclairer le passé d'un territoire et d'en évaluer les mutations.
Les quelque 60 000 noms regroupant communes et localités moins importantes de l'Hexagone apportent déjà des informations qui sont affinées ensuite par 2 millions de lieux-dits recensés par l'Institut Géographique National (IGN). Cet immense legs s'est formé peu à peu ; il est l'œuvre de générations successives qui ont occupé notre sol, depuis les populations les plus anciennes qui ont nommé relief et cours d'eau jusqu'à nos contemporains qui continuent de forger tous les jours de nouveaux toponymes dans la langue dominante, celle qui a homogénéisé le territoire, le français.
Bien que négligeable, ce dernier contingent participe de l'évolution du patrimoine onomastique local, dans l'espace mouvant entre le singulier et l'universel, « tourné de manière à ne former qu'un tout ». Car c'est la vocation de la toponymie que de véhiculer des notions qui émanent d'une conscience et de nécessités communes dans une langue identitaire mais toujours ouverte aux nouveaux apports qui la rendent vivante.
En cela, il ne faut pas la négliger ; elle est un précieux auxiliaire pour l'étude de l'histoire d'un territoire.