Les Landes
Notice
L'incendie de 1949, le musée Napoléon III à Solférino, la dégustation des palombes à la ficelle, le rugby et la légende des frères Boniface, le respect des anciens et la sorcellerie, et enfin une présentation de la Chalosse par André Dussel : tel est le panorama des Landes qui nous est ici présenté, au travers de nombreux témoignages.
Éclairage
Juste avant la "chienlit" [1] de 1968 qui va malmener les grandes villes de l'Hexagone, annonçant une ère nouvelle sur le plan social, au cœur des Landes de Gascogne, le temps semble s'être arrêté en ce mois d'avril 1967.
Sur la côte, on se tourne résolument vers le tourisme, soutenus par les grands plans nationaux - la MIACA [2] en particulier - mais, alors que l'écomusée de Marquèze, à Sabres, est en gestation, l'airial vit encore et le cœur de la Lande conserve son authenticité : le gascon est la langue véhiculaire de toutes les générations nées avant guerre, les femmes - souvent absentes de la table - s'affairent aux fourneaux quand les hommes se réservent la préparation du gibier, et quelques paires de bœufs sont encore à l'ouvrage dans les lieux les plus isolés.
L'année du lancement du premier sous-marin nucléaire Le Redoutable, dans le cadre d'une politique globale du général de Gaulle qui prône "une certaine idée de la France", pays puissant et non assujetti, les Landes sont donc encore imprégnées de leur propre histoire. Les grands incendies d'après-guerre qui ont tant changé la donne économique et l'attachement à un certain mode de vie qui s'estompe alimentent les conversations des plus anciens qui savent bien que l'évolution est inéluctable.
Conscients de cette "révolution", tous ceux qui animent ce documentaire ethnologique prennent conscience que leur monde se fond dans l'universel. Même les femmes ont obtenu, depuis deux ans, le droit de gérer leurs biens, d'ouvrir un compte en banque et d'exercer une activité professionnelle sans l'autorisation de leur mari ! Un peu partout se développent les chantiers de "maisons de retraite" ou "foyers-logements" qui signent la fin d'un système inter-générationnel et trahissent le vieillissement d'une population qui ne fait que se confirmer aujourd'hui. Les "vieux" ne sont plus "sacrés" pour longtemps...
À travers le ton badin et la faconde gasconne des intervenants perce donc une réelle nostalgie ; celle d'un monde qui disparaît dans une période de déclin démographique sévère. Si la classe d'âge du "baby boom" constitue alors les forces vives du département et du pays tout entier, ici, au cœur des Landes, elle s'exile vers Bordeaux, conséquence des grandes mutations opérées sur le territoire après les incendies. Les revenus de la forêt, en partie décimée, déclinent, la gemme ne rapporte plus et les grands champs de maïs, peu pourvoyeurs de main-d'œuvre, mitent le pinhadar que le sylviculteur "aime comme ses enfants".
De ces cartes postales, que reste-t-il donc aujourd'hui ? Un musée "Napoléon III" pillé et laissé à l'abandon, à Solférino, dans une période où Natura 2000 [3] cherche plutôt à valoriser et protéger les zones humides qu'à les assécher et les mettre en culture comme le souhaitaient les physiocrates ; un grand musée, le "Pavillon", à Sabres, consacré à la Grande Lande au seuil du XXIe siècle et qui évoque, entre autres, les rites anciens et croyances populaires comme choses du passé.
Dans un contexte qui a évolué très rapidement, la raison et le progrès ont effectivement gagné mais les fontaines "sacrées" continuent d'être discrètement fréquentées et si les posoèrs [4] ne sont plus consultés, les personnes qui guérissent le zona sont parfois encore le dernier recours des médecins...
Dans la plupart des petites communes, le "rugby des villages" résiste à la professionnalisation et continue d'unir des équipes de joyeux drilles qui pérennisent l'esprit gascon.
Enfin, éco-responsabilité et retour à la nature obligent : le vélo de Félix Arnaudin, abandonné dans un coin du musée de Solférino, aurait eu de l'avenir sur les quelque 200 km de pistes cyclables du département...
[1] Mot employé par le général de Gaulle en 1944 puis dans un discours du 19 mai 1968. Perdu dans l'usage, ce terme, d'abord masculin, désignait un personnage burlesque propre au carnaval parisien. Féminisé, il est synonyme de désordre, d'excès et profusion désordonnée.
[2] Mission d'Aménagement de la Côte Aquitaine, fondée en 1967.
[3] Natura 2000 est un réseau européen qui a pour mission de préserver la bio-diversité et de valoriser le patrimoine naturel.
[4] Posoèr est un mot gascon désignant un "empoisonneur".