Les Alliés à Rennes et à Laval

Ce reportage d’une durée de presque 6 minutes est représentatif d’un genre aujourd’hui disparu : les actualités cinématographiques. Il s’agissait de courts métrages, constitués d'un montage d'informations documentaires retraçant les principaux événements de la semaine écoulée. Ils étaient projetés dans les cinémas juste avant les longs métrages à l'affiche et connurent leur âge d'or pendant toute la première moitié du XXe siècle. En période de guerre, ils constituaient un outil de propagande. Dans la décennie 1960, la concurrence de la télévision entraîna leur disparition. Le journal Le Monde libre est diffusé par l’Office français d’information cinématographique (OFIC), créé en 1943 sous contrôle britannique, américain et français. En l’occurrence, cet épisode intitulé « La bataille de France » est réalisé par une société de production américaine, mais n’a jamais été projeté sur les écrans français. Il alterne des images terrestres de blindés, d’impressionnantes vues aériennes de bombardements et des scènes de l’accueil des soldats par la population locale. La bande audio est composée du son d’origine des véhicules militaires, agrémenté par moment d’un habillage musical discret et d’une voix off qui commente les images. Une véritable attention est portée à l’écriture du texte et à son adéquation avec les images, par exemple lorsqu’un portrait de Hitler est brisé. De même, l’expression « s’en aller en fumée » fait référence au sens propre à une bombe qui éclate et au sens figuré aux espoirs de victoire nazis. Ce montage rassemble 4 séquences.

La première dure 1 minute et demie et illustre une page d’histoire : la bataille aérienne que les Alliés mènent contre les Nazis en appui aux combats au sol. Depuis le Débarquement en Normandie (6 juin 1944), Britanniques, Canadiens, Américains et Français cheminent vers Paris, qu’ils libéreront entre le 19 et le 25 août. Une phrase dans le reportage mérite une explication : vous êtes justifiés d’avoir espéré, combattants de la montagne, du maquis, de l’usine, des faubourgs. Elle rend ainsi hommage aux Résistants français qui, au péril de leur vie, ont mené la vie dure à l’occupant et sauvé des victimes (voir la vidéo Retrouvailles de Juifs accueillis à Fougerolles-du-Plessis).

La séquence suivante est à peine plus longue. Elle se déroule à Rennes où deux mondes s’opposent. En effet, l’accent est mis sur le contraste, du point de vue de la population locale, entre l’attitude des GI Américains le 6 août 1944 et celle de l’occupant nazi depuis 1940. Les images parlent d’elles-mêmes : on y voit des scènes d’épuration sauvage à l’encontre des collabos d’hier, pris à partie par une population qui les lyncherait volontiers. Parmi eux, des combattants de la « Milice française », créée par le régime de Vichy début 1943, et des sympathisantes de « l’Ordre nouveau », mouvement qui adhère au projet nazi. On rapporte que ces groupes se sont récemment rendus coupables de dénonciations de Résistants ayant conduit à des exécutions. Par une juxtaposition saisissante, des scènes de liesse spontanée se produisent, où des drapeaux américains sont brandis et des drapeaux nazis détruits, des rondes s’improvisent dans la rue, femmes et enfants embrassent les GI comme leurs libérateurs.

S’ensuit une séquence de 37 secondes, qui débute par un jeu de mot entre le nom de la ville de Laval et le nom de Pierre Laval, homme de confiance de Pétain, qui cumule d’avril 1942 à août 1944 les fonctions de chef du gouvernement (Premier ministre), ministre des Affaires étrangères, ministre de l'Intérieur et ministre de l'Information. Cette séquence présente surtout l’entrée des GI ainsi que la distribution de vivres à la population en liesse.

Une dernière séquence d’un peu plus d’une minute et demie conclut le montage. Les Nazis sont encerclés sur terre et chassés dans les airs. Les avions britanniques Hawker Typhoon ont justement été conçus à la fois pour intercepter les avions allemands volant à basse altitude et pour pilonner les blindés avec des roquettes anti-char RP-3. Le film se clôt sur une citation extraite du fameux Appel du 18 juin du Général de Gaulle : Il faut que la France, ce jour-là, soit présente à la victoire ; c’est un moment historique qui se prépare, et fera entrer dans une nouvelle ère. Mais le reportage est de parti pris. Il passe par exemple sous silence les importants dégâts subis par la ville de Mayenne au même moment, en dépit de l’acte héroïque du GI James Mac Racken qui a épargné le pont de la ville – qui depuis porte son nom – permettant ainsi la libération de la ville.

Sources archivistiques
Photographies de la Libération en Mayenne

• Archives départementales de la Mayenne, 20 Fi : Archives iconographiques / Armées et conflits / 50 photographies militaires américaines issues des collections des Archives nationales américaines (1944) [https://archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ead.html?id=FRAD053_FI_EF&c=FRAD053_FI_EF_de-20&qid=eas1661752966151].
• Archives départementales de la Mayenne, 21 Fi : Archives iconographiques / Armées et conflits / 60 photographies militaires américaines issues des collections de l'Imperial War Museum de Londres (1944) [https://archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ead.html?id=FRAD053_FI_EF&c=FRAD053_FI_EF_de-21&qid=eas1661752966151].
• Archives départementales de la Mayenne, 43 Fi : Archives iconographiques / Armées et conflits / Album de 68 photographies de Francis Trouillet sur la seconde guerre mondiale à Laval (destructions après les bombardements, Américains à Laval, venue du Général de Gaulle et de Michel Debré à la mairie de Laval, 1944-1945) [https://archives.lamayenne.fr/archives-en-ligne/ead.html?id=FRAD053_FI_EF&c=FRAD053_FI_EF_de-43&qid=eas1661752966151].

L’épuration en Mayenne

• Archives départementales de la Mayenne, 250 W : Archives du Comité départemental de libération (CDL), déportés, épuration (1944-1947).
• Archives départementales de la Mayenne, 1188 W : Archives de l’Inspection académique, dossiers des instituteurs, sanctions, épuration, amnistie liée à la guerre (1938-1953).

La capitulation allemande vue de Laval

• Félix Desille, journaliste et dessinateur lavallois, raconte la journée de l’armistice, le mardi 8 mai 1945 à Laval libérée depuis 9 mois : Après midi, chaleur magnifique. À 15 h, annonce de la capitulation de l’Allemagne. Manifestation à 17 h au monument aux morts et défilé des sociétés et de trois sections de l’armée, une centaine de soldats, sous les bravos enthousiasmés de la foule ! Sportifs de tous âges, séminaristes, lycée, collège, défilent devant le préfet et les autorités, dont le docteur Le Basseur [sic] qui est arrivé ces jours de sa captivité en Allemagne avec Hardy le garagiste. Et maintenant ? L’Union française doit se réaliser ! Mais il nous faut occuper l’Allemagne afin que CELA ne recommence pas. CAVEANT CONSULES ! … Source : Arch. dép. Mayenne, CN 143.
• Lire aussi Joël Surcouf, L’Occupation et l’après-guerre à Laval. Journal de Félix Desille, 1939-1952, Laval, Archives départementales de la Mayenne, 312 p. [Arch. dép. Mayenne, MB 495].
• Francis Le Basser : médecin à Paris puis à Laval, médaillé de la Croix de Guerre pendant la Première Guerre mondiale, président du Stade lavallois omnisports (1934-1974). Par ailleurs engagé en politique, il participe à la Résistance ce qui lui vaut d’être déporté (1944-1945) ; à son retour il est décoré de la médaille de la Résistance et élu conseiller municipal. Par la suite, il devient maire de Laval (1945-1946 et 1956-1971), puis président du Conseil général de la Mayenne (1946-1973) et enfin sénateur de la Mayenne (1948-1965).

L’Appel du 18 juin

• L’affiche dite de l’Appel du 18 juin, Paris, Musée de l’Armée, s.d., fiche pédagogique, 3 p. [https://www.musee-armee.fr/fileadmin/user_upload/Documents/Support-Visite-Fiches-Objets/Fiches-1939-1945/MA_fiche-objet-affiche-18-juin.pdf].
• Franck Mazuet et Pascale Goetschel, « Les Actualités Françaises (1945-1969) : le mouvement d’une époque », Antract, 11 juillet 2019 [https://antract.hypotheses.org/127].

Bibliographie

Un ouvrage de synthèse incontournable :

• Francis Robin, La Mayenne sous l'Occupation : déportations, internements, fusillades, Laval, Imprimerie administrative, 1966, 32 p. [Arch. dép. Mayenne, MF 292].
• Francis Robin, La Mayenne de 1940 à 1944 : Occupation, résistance, libération. Tableau historique, Laval, Préfecture de la Mayenne, 1973 [Arch. dép. Mayenne, AC 1376].
• Francis Robin, La Mayenne de 1940 à 1944 : Occupation, Résistance, Libération, Laval, Archives départementales de la Mayenne, 1998, 180 p. [Arch. dép. Mayenne, MB 270].
• Francis Robin, La Mayenne de 1940 à 1944, Laval, Archives départementales de la Mayenne, 2003, 179 p. [Arch. dép. Mayenne, MB 476].

Les lycéens réinterprètent la Libération de la Mayenne

• Libération 6 juin-6 août 1944. Histoire et art séquentiel. Planches de bande dessinée, photographies, photomontage, exposition en partenariat avec le lycée Douanier-Rousseau de Laval, Laval, Archives départementales de la Mayenne, du 18 septembre 2019 au 17 janvier 2020 [https://archives.lamayenne.fr/article/liberation-6-juin-6-aout-1944-histoire-et-art-sequentiel].
• Libération 6 juin-6 août 1944 : histoire et art séquentiel, Laval, Imprimerie départementale (Lycée Douanier-Rousseau et Archives départementales), 2019, 71 p. [Arch. dép. Mayenne, MC 614 et MF 2050].

La Libération de la Mayenne

• Augustin Ceuneau, L'été de la Libération à Couptrain, Rennes, La Voix de l'Ouest, 1945, 56 p. [Arch. dép. Mayenne, MF 270].
• La libération de Château-Gontier : 6 août 1944, s.l., multigr., 1984, 112 p. [Arch. dép. Mayenne, MC 90].
• Pierre Guilloux, « La libération de la Mayenne par l'armée des États-Unis (août 1944) : les opérations militaires », Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1984, n° 7, p. 183-195 [Arch. dép. Mayenne, BC 78-51].
• Laurent Robène, « La Libération à Meslay-du-Maine », L'Oribus, 1985, n° 19, p. 40-44 [Arch. dép. Mayenne, BC 101-3].
• Jules Marcheteau, « La libération de Laval par les Américains », L'Oribus, 1988, n° 26, p. 22-33 [Arch. dép. Mayenne, BC 101-5].