Edouard Pignon peint l'accident à la mine
Notice
Édouard Pignon évoque ses débuts, les réunions d'artistes qui voulaient s'engager dans un art pour les ouvriers dans l'objectif de diffuser des idées révolutionnaires. Opposés à la peinture réaliste, ils voulaient exprimer le symbole de la réalité, de la lutte pour la conquête du pouvoir. Édouard Pignon a peint deux toiles sur un accident à la mine. Interviewé dans une rue d'une cité minière au 2 de Marles, un mineur exprime son émotion après avoir vu L'Ouvrier mort qui lui a rappelé un accident similaire dont il avait été témoin.
Éclairage
Dans la vie de la communauté minière, la crainte de l'accident est présente à tout moment. Édouard Pignon, artiste-peintre, est né en 1905 à Bully-les-Mines dans une famille de mineurs. Il a vécu son enfance à Marles-les-Mines et a commencé sa vie professionnelle comme galibot à l'âge de 14 ans. Il fut marqué, dès son plus jeune âge, par la catastrophe de La Clarence (Pas-de-Calais), au cours de laquelle 79 mineurs trouvèrent la mort. Attiré par le dessin et la peinture, il s'inscrit aux cours du soir et après son service militaire, il se rend à Paris où il devient ouvrier chez Citroën puis Renault où il s'engage dans la lutte syndicale. Édouard Pignon découvre la peinture et le milieu artistique qui gravite autour de Montparnasse. Il fait la connaissance de Pablo Picasso, avec son ami le peintre Georges Dayez. Il s'inscrit à la revue Monde d'Henri Barbusse et il adhère à l'Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), où il rencontre de nombreux peintres, notamment Jean Hélion, Auguste Herbin, Manessier, Vieira da Silva... mais aussi des écrivains comme Louis Aragon et André Malraux. Inspiré par Fernand Léger il peint la mine, les travailleurs et les usines, les meetings, et expose en 1932 au Salon des Indépendants.
Il adhère en 1933 au Parti Communiste au moment où, dans le sillage de celui de l'Union Soviétique (URSS) celui-ci encourage les artistes à promouvoir le courant dit du "réalisme socialiste". Édouard Pignon souhaite, lui aussi, donner à ses œuvres un "aspect social", "s'adresser au prolétariat" par l'utilisation d'un "langage populaire" qui favorise les luttes et la "conquête du pouvoir", mais il veut le faire de manière plus personnelle et moins démagogique que celle prônée par l'URSS. Dans cette période, il peint Les Fusillés, Hommage aux mineurs des Asturies, et en 1936 son premier Ouvrier mort, inspiré par le coup de grisou de La Clarence.
Après la Libération, il se rend régulièrement dans sa famille à Marles-les-Mines. Ces séjours inspireront sa femme, l'écrivain Hélène Parmelin, qui dépeindra la vie des mineurs et de leurs familles dans Léonard et l'autre monde (1957). C'est la période des séries de dessins et de peintures sur les mineurs dont le Jeune mineur à la cigarette (1949). C'est au cours d'un séjour chez Picasso à Valauris en 1951, qu'il entame les études pour son deuxième Ouvrier mort (1). Cette version grandiose de trois mètres de long dont Picasso dira qu'elle est "le Guernica" de Pignon, juxtapose la mort et la maternité, dans des tonalités de bleus, gris et bruns. Elle sera critiquée parce qu'elle ne répondait pas surtout à l'esthétique réaliste socialiste prônée par le Parti communiste et son chef de file, le peintre André Fougeron.
Les liens de Pignon avec le pays minier seront réguliers dans son œuvre. Dans l'année 1958, il se rend très régulièrement à Marles pour assister aux combats de coqs qui deviennent un des thèmes centraux de sa peinture jusqu'à la fin des années 1970. En 1977, il réalise un Combat de coqs pour la ville de Marles-les-Mines.
Le mineur interviewé évoque le choc qu'il a ressenti après avoir vu la toile de L'Ouvrier mort (certainement celle de 1952). La vue de celle-ci lui a rappelé un accident dont il avait été témoin. Le réalisme, assumé, de l'artiste dans la représentation de la mort accidentelle d'un ouvrier au fond est tel, que ses pairs s'y reconnaissent et ressentent, en regardant le tableau, une très forte émotion qui leur rappelle des moments vécus de leur dangereuse vie professionnelle, mais aussi la douleur des familles et des camarades de travail face à la mort de l'un des leurs. Même accroché à une cimaise sur un mur de musée, l'impression demeure forte comme le peintre l'a voulue.
(1) La toile de 1936 est exposée au Musée National d'Art Moderne à Paris, la toile de 1952 est au Centre Georges Pompidou. Quelques dessins préparatoires réalisés à Valauris sont déposés au Musée de l'Hospice Saint-Roch d'Issoudin.