Edouard Pignon peint l'accident à la mine

05 juillet 1966
05m 06s
Réf. 00012

Notice

Résumé :

Édouard Pignon évoque ses débuts, les réunions d'artistes qui voulaient s'engager dans un art pour les ouvriers dans l'objectif de diffuser des idées révolutionnaires. Opposés à la peinture réaliste, ils voulaient exprimer le symbole de la réalité, de la lutte pour la conquête du pouvoir. Édouard Pignon a peint deux toiles sur un accident à la mine. Interviewé dans une rue d'une cité minière au 2 de Marles, un mineur exprime son émotion après avoir vu L'Ouvrier mort qui lui a rappelé un accident similaire dont il avait été témoin.

Type de média :
Date de diffusion :
05 juillet 1966
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans la vie de la communauté minière, la crainte de l'accident est présente à tout moment. Édouard Pignon, artiste-peintre, est né en 1905 à Bully-les-Mines dans une famille de mineurs. Il a vécu son enfance à Marles-les-Mines et a commencé sa vie professionnelle comme galibot à l'âge de 14 ans. Il fut marqué, dès son plus jeune âge, par la catastrophe de La Clarence (Pas-de-Calais), au cours de laquelle 79 mineurs trouvèrent la mort. Attiré par le dessin et la peinture, il s'inscrit aux cours du soir et après son service militaire, il se rend à Paris où il devient ouvrier chez Citroën puis Renault où il s'engage dans la lutte syndicale. Édouard Pignon découvre la peinture et le milieu artistique qui gravite autour de Montparnasse. Il fait la connaissance de Pablo Picasso, avec son ami le peintre Georges Dayez. Il s'inscrit à la revue Monde d'Henri Barbusse et il adhère à l'Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), où il rencontre de nombreux peintres, notamment Jean Hélion, Auguste Herbin, Manessier, Vieira da Silva... mais aussi des écrivains comme Louis Aragon et André Malraux. Inspiré par Fernand Léger il peint la mine, les travailleurs et les usines, les meetings, et expose en 1932 au Salon des Indépendants.

Il adhère en 1933 au Parti Communiste au moment où, dans le sillage de celui de l'Union Soviétique (URSS) celui-ci encourage les artistes à promouvoir le courant dit du "réalisme socialiste". Édouard Pignon souhaite, lui aussi, donner à ses œuvres un "aspect social", "s'adresser au prolétariat" par l'utilisation d'un "langage populaire" qui favorise les luttes et la "conquête du pouvoir", mais il veut le faire de manière plus personnelle et moins démagogique que celle prônée par l'URSS. Dans cette période, il peint Les Fusillés, Hommage aux mineurs des Asturies, et en 1936 son premier Ouvrier mort, inspiré par le coup de grisou de La Clarence.

Après la Libération, il se rend régulièrement dans sa famille à Marles-les-Mines. Ces séjours inspireront sa femme, l'écrivain Hélène Parmelin, qui dépeindra la vie des mineurs et de leurs familles dans Léonard et l'autre monde (1957). C'est la période des séries de dessins et de peintures sur les mineurs dont le Jeune mineur à la cigarette (1949). C'est au cours d'un séjour chez Picasso à Valauris en 1951, qu'il entame les études pour son deuxième Ouvrier mort (1). Cette version grandiose de trois mètres de long dont Picasso dira qu'elle est "le Guernica" de Pignon, juxtapose la mort et la maternité, dans des tonalités de bleus, gris et bruns. Elle sera critiquée parce qu'elle ne répondait pas surtout à l'esthétique réaliste socialiste prônée par le Parti communiste et son chef de file, le peintre André Fougeron.

Les liens de Pignon avec le pays minier seront réguliers dans son œuvre. Dans l'année 1958, il se rend très régulièrement à Marles pour assister aux combats de coqs qui deviennent un des thèmes centraux de sa peinture jusqu'à la fin des années 1970. En 1977, il réalise un Combat de coqs pour la ville de Marles-les-Mines.

Le mineur interviewé évoque le choc qu'il a ressenti après avoir vu la toile de L'Ouvrier mort (certainement celle de 1952). La vue de celle-ci lui a rappelé un accident dont il avait été témoin. Le réalisme, assumé, de l'artiste dans la représentation de la mort accidentelle d'un ouvrier au fond est tel, que ses pairs s'y reconnaissent et ressentent, en regardant le tableau, une très forte émotion qui leur rappelle des moments vécus de leur dangereuse vie professionnelle, mais aussi la douleur des familles et des camarades de travail face à la mort de l'un des leurs. Même accroché à une cimaise sur un mur de musée, l'impression demeure forte comme le peintre l'a voulue.

(1) La toile de 1936 est exposée au Musée National d'Art Moderne à Paris, la toile de 1952 est au Centre Georges Pompidou. Quelques dessins préparatoires réalisés à Valauris sont déposés au Musée de l'Hospice Saint-Roch d'Issoudin.

Diana Cooper-Richet

Transcription

Edouard Pignon
Après mes heures de travail, je fréquentais les cours du soir et dans ces cours du soir, j’ai rencontré des jeunes gens comme moi qui venaient d’horizons différents évidemment. Et dont un particulièrement qui était très lié, il s’appelait Dayez qui est un peintre qui est resté mon ami, que je vois très souvent ; qui est membre du comité du Salon de Mai comme moi. Et on a commencé à s’intéresser à un certain aspect social de la peinture à travers des écrits que des artistes beaucoup plus vieux que nous avaient fait, n’est-ce pas. Et on s’intéressait à une sorte de désir de retrouver un langage, enfin, plus populaire. Pas plus populaire dans le sens de la technique mais plus populaire, c’est-à-dire un langage qui s’adresse au prolétariat dans ses idées profondes c’est-à-dire dans sa lutte pour sa libération ; et devenue une connaissance à travers Monde à l’époque, qui était le journal d’Henri Barbusse, qui conviait quelques peintres, à un certain..., à se réunir. Et nous sommes allés d’ailleurs à une réunion qui avait lieu d’ailleurs à Montparnasse, ici, et j’ai rencontré là quelques artistes très jeunes ; à peu près, ils tournaient entre 25, 27 ans ; et nous avons discuté de cette recherche, enfin, d’un langage enfin, commun entre les artistes et le prolétariat. Le prolétariat dans ses idées révolutionnaires, n’est-ce pas. Nous avions une sorte de, pas de haine mais un grand mépris pour tout ce qui est peinture qu’on appelait à l’époque peinture réaliste. Nous voulions exprimer une sorte de symbole de la réalité, ce n’est pas l’étude cézanienne de la pomme, n’est-ce pas ; ou nous voulions exprimer le symbole, n’est-ce pas, de la lutte pour la conquête du pouvoir, n’est-ce pas. Et c’était toujours ces idées, n’est-ce pas, qui étaient une sorte de réalité politique, disons, et je dois dire que Picasso a exprimé magnifiquement ça avec Guernica qui n’est pas une peinture réaliste mais il y a mis là, n’est-ce pas, une forme, il a concrétisé n’est-ce pas ce que les jeunes peintres de l’époque, n’est-ce pas, cherchaient avec plus ou moins de bonheur, n’est-ce pas. Il faut voir que c’était un peu dans l’enfance de ces choses-là. Et L’ouvrier mort, qui soit celui de 52, en tout cas, celui de 35, c’est quand même dans cette atmosphère et celui de 52 était quand même une redite ou tout du moins, il avait baigné dans cette sorte de poésie, en ce sens de l’idée révolutionnaire.
Intervenant
Il a peint L’ouvrier mort , alors quand j’ai aperçu ce tableau-là, instantanément, j’étais parti ailleurs, j’ai redescendu au fond, en voyant cette toile, n’est-ce pas, j’ai redescendu au fond, j’ai, au fond à 263. A 263, on dépouillait un corps de veine qui s’appelait Eugénie. Et à Eugénie j’ai eu un accident de la même façon que Pignon a exprimé sa toile L’ouvrier mort . L’ouvrier mort était comme ça que il était, il foudroyait, il foudroyait les mines, c’est-à-dire il foudroyait, le foudroyage avec des dames articulées et il était pris en dessous d’un éboulement, c’est-à-dire qu’il était mort en dessous de l’éboulement. Et en dessous de l’éboulement une fois qu’il était mort, c’était à nous à le dégager, à le ramener, à le sortir d’éboulement, n’est-ce pas. Alors, on s’a mis à plusieurs équipes à travailler pendant des heures et des heures, et l’opération était terminée une fois qu’on a sorti le mort de l’éboulement. On l’a déposé sur une civière et on l’a sorti dans une galerie de secours. Dans la galerie de secours, j’ai aperçu le même mouvement qui s’a produit que sur la toile que Pignon i a peint. Pignon i a peint avec l’ouvrier sur, avec la civière à terre et tout les camarades comme nous, on était un peu impressionnés, c’est-à-dire on était même pris de frayeur par cet accident, tant soit peu on voyait, il y avait des ingénieurs, il y avait des ouvriers, et il y avait des agents de maîtrise. Alors il y avait un agent maîtrise, c' était Baptiste Durier qu’il se nommait, et qui travaillait avec nous là, on était tout alentour de l’ouvrier mort, on voyait que les agents de maîtrise et les ingénieurs i ont pâli de douleur mais l’ouvrier, ils s’en sont senti fondre. Fondre c’est-à-dire les épaules sont tombées, les traits se sont retirés. La douleur que Pignon exprimait dans cette toile, c’est pour ça que moi je l’ai déjà vue il y a vingt ans d’ici. Alors, en le voyant vingt d’ici, je me demandais, c’est pour ça que je me demandais comment que ça se fait, quand il a exposé au Palais des Beaux-Arts L’ouvrier mort , je me suis retiré pendant 5, 6, 7, 10 secondes. Et là je n’étais plus à l’exposition, j’étais au fond de la mine parce que j’ai vu la même scène frappante que Pignon en coloris, d’ailleurs le noir et le blanc, n’est-ce pas, la tristesse des travailleurs en supplément. C’est-à-dire un petit peu l’étourdissement des supérieurs, comme quoi, qu’un accident qui arrive dans les mines, et c’est ça que j'ai aperçu.