Hélène Parmelin interviewée pour son livre Léonard dans l'autre monde

26 juin 1957
04m 09s
Réf. 00021

Notice

Résumé :

Hélène Parmelin reçue par Pierre Dumayet, pour son livre Léonard dans l'autre monde, parle du personnage principal : la mine dans le Pas-de-Calais. Mariée au peintre Pignon fils de mineur, elle a pu aborder ce monde qu'elle ne connaissait pas à travers sa belle famille. Elle dit son étonnement à découvrir à chaque visite cet autre monde.

Type de média :
Date de diffusion :
26 juin 1957
Source :

Éclairage

La littérature, française et étrangère, compte de nombreux ouvrages romanesques portant sur la mine et les mineurs. Vingt ans avant la publication de Germinal (1885), pas moins de dix romans-feuilletons ou nouvelles, ayant pour sujet principal ce milieu professionnel très particulier, avaient déjà été écrits. Léonard dans l'autre monde (1) , le roman d'Hélène Parmelin paru en 1957, est en quelque sorte le fruit d'une longue tradition dans laquelle se retrouvent, côte à côte, des hommes de lettres aussi différents que le belge Oscar-Paul Gilbert avec la grande saga des Bauduin (1939-1948), Félicien Bœuf avec Terrils (1959) ou encore Gilbert Bordes avec Ce soir il fera jour (1995), sans évoquer les écrivains d'autres pays, comme le naturaliste et ancien mineur chilien Baldomero Lillo, auteur de Sub-terra (1905) et de Sub-sol (1907) ou encore le très célèbre Richard Llewellyn, dont le roman Qu'elle était verte ma vallée (1939) donna lieu à un film à succès tourné par John Ford.

Comme le souligne Pierre Dumayet dans l'entretien télévisé, réalisé en 1957, lors de la sortie du livre d'Hélène Parmelin, celle-ci réussit à tracer un portrait qui, bien que de fiction, est néanmoins très réaliste de la vie au sein de la communauté des mineurs de charbon du Pas-de-Calais dans les 1950. Mariée au peintre Édouard Pignon, originaire de Marles-les-Mines lui-même ancienne "gueule noire". C'est en se rendant régulièrement dans la famille de son mari que l'écrivaine développe une connaissance de première main de ce milieu minier.

Son personnage, Léonard, libraire parisien, enquête pour comprendre ce qui a provoqué la dépression de sa belle-sœur et cette recherche va lui faire découvrir le monde des mineurs et de leurs familles. Dans cette fiction, Marles-les-Mines devient "Saint-Honoré-les-Mines". Sensible à la beauté et à l'étrangeté du paysage industriel, avec ses terrils et ses corons, Hélène Parmelin est également très frappée par l'omniprésence de la mort dans la vie des houilleurs. L'accident, la catastrophe constituent des menaces permanentes avec lesquelles ces ouvriers, et les leurs, vivent au quotidien. La silicose, cette terrible maladie des "hommes aux poumons de pierre", atteint ou guette un grand nombre d'entre eux. La vie des femmes est décrite assez justement : la solitude, l'attente, mais aussi le manque d'intimité dans le coron.

Mais, dans le roman d'Hélène Parmelin, comme dans beaucoup d'autres et comme dans la réalité, à ces peurs et à ces maux se superposent des joies, celles de la kermesse et de la convivialité de la vie dans les corons. Il s'agit là d'un tableau contrasté, assez fidèle au modèle.

(1) Léonard dans l'autre monde, Paris, Julliard, 1957, Paris, 10/18, 1974.

Diana Cooper-Richet

Transcription

(Musique)
Pierre Dumayet
Leonard dans l’autre monde par Hélène Parmelin, cet autre monde c’est le monde de la mine et c’est la mine même qui est le personnage principal de ce roman. J’ai eu l’impression en lisant ce livre qu’il était fidèle, je veux dire que le portrait était ressemblant. C’est vrai, j’avais eu raison d’avoir cette impression ?
Hélène Parmelin
J’espère que le portrait est ressemblant, pour autant qu’il peut l’être dans une situation romanesque donnée. Le pays lui-même, en tout cas, est probablement ressemblant.
Pierre Dumayet
L’histoire est imaginaire mais le portrait est ressemblant.
Hélène Parmelin
Exactement.
Pierre Dumayet
J’ai vraiment été très frappé de cette impression de fidélité, d’authenticité, c’est vrai, enfin, c’est très vrai. Mais comment, comment connaissez-vous aussi bien et pourquoi si vous préférez, connaissez-vous aussi bien ce pays ?
Hélène Parmelin
C’est un pays que je ne connaissais absolument pas, surtout ce bassin minier du Pas-de-Calais qui est très spécial. Il se trouve que je suis mariée à un peintre qui s’appelle Pignon, qui a commencé par être mineur avant d’être peintre, qui m’a par conséquent menée dans sa famille ; et j’ai pu fréquenter intimement, dans l’intimité même des familles, ce qui arrive rarement, les mineurs du Pas-de-Calais.
Pierre Dumayet
Et ce Leonard qui est dans l’autre monde, parce que justement il y accède à cause d’une histoire sur laquelle nous viendrons peut-être tout à l’heure ; est-ce que cette découverte qu’il fait, cette presque découverte qu’il fait de ce pays n’est pas un peu la vôtre lorsque vous êtes allée là-bas pour la première fois ?
Hélène Parmelin
Lorsque j’y suis allée pour la première fois et même à chaque fois, parce qu’on peut dire que pour le parisien, d’autant moins pour tout voyageur, pour tout étranger qui va là-bas c’est toujours la découverte d’un autre monde ; tellement la vie est différente et apparaît insolite à côté de celle qu’on peut mener à Paris par exemple.
Pierre Dumayet
Est-ce qu’on peut entrer un peu dans cette insolite, pourquoi est-ce que c’est vraiment un autre monde ?
Hélène Parmelin
C’est un autre monde dès l’arrivée, pas seulement par les paysages, d’ailleurs qui sont très singuliers. La première apparition du terril, enfin cette espèce de Mont Fuji noir qui est dressé tout seul sur une plaine, provoque toujours l’étonnement du voyageur ou tout moins de l’étranger comme on dit là-bas qui arrive. Et puis ces énormes paysages industriels qui sont particuliers aux mines, qui sont très beaux d’ailleurs, qui sont parmi les plus beaux paysages industriels qui puissent exister ; qui sont tous mélangés à ces prairies vertes et à ces chevaux blancs et qui donnent une impression extraordinaire quand on les voit pour la première fois. A la fois pleine de grandeur et en même temps très tragique. Ce qui est aussi d’ailleurs le caractère spécifique de ces pays où il y a ce qu’on appelle les corons, ou toutes les maisons semblables.
Pierre Dumayet
Oui, ce n’est pas tellement le paysage qui m’a frappé, c’est aussi la vie qui est en accord avec le paysage d’ailleurs.
Hélène Parmelin
Elle est à son image, c’est-à-dire que c’est une vie dramatique à la fois et passionnée ; et où tout est peut-être hors mesure avec le côté flamand qui donne un côté de kermesse par exemple extrêmement joyeuse ; le côté de la mort toujours présente, le côté de la vie des mineurs qui est un côté naturellement parfaitement spéciale et la vie dans les corons.
Pierre Dumayet
Oui, et la mort toujours présente, ça c’est très présent aussi au cours de votre livre, enfin au début de ce roman ; il y a ce qui ne se fait rarement, ce qui se fait rarement au début des romans, mais qui se fait toujours au début des pièces de théâtre, la liste, la distribution si on peut dire. C’est d’ailleurs une très bonne formule et au cours de cette distribution, on rencontre un certain nombre de personnages qui sont morts, mais ils sont cités, vous les avez cités avec raison parce qu’on parle tout le temps, on les invoque et ils ont vraiment un rôle au cours de cette histoire.
Hélène Parmelin
Ils ont même une vie si on peut dire, ils sont présents, c’est-à-dire qu’on parle d’eux comme s’ils étaient parfaitement vivants ; de même que les enfants, quand ils vont au cimetière, leur adresse par exemple la parole. La mort est présente.
Pierre Dumayet
J’ai noté une phrase qui m’avait frappé aussi, les vêtements des morts, les mites ne s’y mettent jamais.
Hélène Parmelin
C’est une phrase qui est familière là-bas, c’est une phrase vraie entendue dans la bouche d’une femme de mineur, qui fait un peu froid dans le dos d’ailleurs ; et qui fait que même quand on voit des vêtements de mort, on se demande maintenant si les mites s’y mettent ou pas.
Pierre Dumayet
C’est ça.
Hélène Parmelin
C’est une espèce, une partie de ce langage poétique qui n’est pas tellement régionaliste mais qui est familier là-bas. La façon de dire les choses et non pas le patois.
Pierre Dumayet
Mais si l’on voulait chercher les explications à cette présence de la mort, je pense qu’on pourra en trouver au moins deux de très différentes, peut-être évidemment faire allusion aux espagnols qui ont, ils sont passés par là il y a quelques temps mais aussi à cette latence des accidents. Enfin cette mort présente parce que il peut arriver d’un moment à l’autre, soit brusquement lorsqu’il y a des accidents, soit lentement par la silicose par exemple qui est le mal des poumons de pierre pour tous les mineurs.
Hélène Parmelin
Qui est le mal le plus, le plus singulier et le plus terrible à la fois. On parle couramment là-bas des hommes aux poumons de pierre qui forment d’ailleurs plusieurs des personnages du roman, mais il y a…