Avis des mineurs sur le RC Lens
Notice
Les mineurs qui remontent du fond, donnent leur avis sur le RC Lens qui enregistre à nouveau des succès en première division.
Éclairage
Cet extrait présente les commentaires de mineurs sur les évolutions de l'équipe professionnelle du Racing Club de Lens (RCL), après la remontée de celle-ci en Première Division du championnat de France de football, à l'issue de la saison 1972-1973. Le club qui fait l'objet de commentaires si passionnés revient alors de loin (1).
Entre les années 1930 et les années 1960 en effet, le RCL a incarné la domination paternaliste des Houillères dans le domaine sportif. Le club des "gueules noires" est, avec son stade (le fameux stade Félix Bollaert), la seule propriété de l'entreprise . Mais, si cette caractéristique a longtemps fait sa force, elle précipite son déclin durant la deuxième moitié des années 1960. Le plan Bettencourt (1968) n'accélère pas seulement la baisse de la production du charbon et la fermeture des puits ; il conduit aussi les Houillères à abandonner les infrastructures et les associations à travers lesquelles elles encadraient la population locale. L'équipe lensoise est touchée de plein fouet par ce phénomène et doit renoncer à son statut professionnel en 1969.
Ce renoncement n'est que provisoire. Le retrait des Houillères accroît considérablement le rôle des municipalités du bassin, que ce soit dans le domaine économique, urbain ou ici ludique. Celle de Lens, dirigée à partir de 1966 par le socialiste André Delelis, ne fait pas exception à la règle. Si ce dernier est passionné par le football, son intérêt de longue date pour le RCL ne résulte pas seulement de considérations personnelles. Dans une ville bouleversée par la récession minière, le maire considère que le club peut être un facteur d'unité, une image de marque aussi, comme le montrent à la même époque les cas de Saint-Etienne ou encore de Nantes. Dès 1970, la municipalité lensoise s'engage donc pour soutenir le club et permettre son retour au professionnalisme. Sans doute le passé du"club des Houillères" ne s'évapore-t-il pas immédiatement : l'entraîneur de cette période, l'ancien gardien de but Arnold Sowinski, a lui-même fait toute sa carrière au sein du RCL, tout en étant employé par l'entreprise minière. Cependant la municipalisation du club devient de plus en plus nette. Elle est achevée symboliquement en 1976 lorsque la ville de Lens acquiert pour un franc symbolique le stade Félix Bollaert.
Le reportage que l'on voit ici témoigne dans ces conditions d'un véritable paradoxe. Lorsqu'on l'observe de manière objective, on constate que le RCL des années 1970 est de moins en moins un "club minier". Cet effacement est vrai en matière de direction ; il est aussi de plus en plus tangible dans le recrutement des joueurs et même des spectateurs. La plus grande partie des fosses de Lens ont d'ailleurs déjà fermé à la date où est tourné ce reportage. Pourtant la représentation du "club des gueules noires", porte-drapeau des valeurs ouvrières, loin de s'estomper, s'affirme à l'échelle nationale avec une nouvelle force. Le RCL devient, à l'intérieur et à l'extérieur de Lens, le témoin d'un imaginaire minier qui perdure alors que l'entreprise disparaît. Lorsque le club emporte, pour la première fois de son histoire, le championnat de France en 1998, on s'apercevra que cette imaginaire est toujours présent.
(1) Marion Fontaine, Le Racing Club de Lens et les "Gueules noires". Essai d'histoire sociale, Paris, Les Indes Savantes, 2010