Réédition de la bande dessinée sur Benoît Broutchoux mineur anarcho-syndicaliste
Notice
La bande dessinée de Phil Casoar qui raconte le parcours et la vie de Benoît Broutchoux a été rééditée. Cet anarcho-syndicaliste a conduit la grève dans les mines après la catastrophe de "Courrières" en 1906. Interviews de Jean-Luc Hapiot, membre du Centre culturel libertaire à l'origine de la réédition et de Stéphane Callens, coauteur avec Phil Casoar, qui a effectué les recherches historiques.
Éclairage
Né en 1879 en Saône-et-Loire, Benoît Broutchoux s'est rendu célèbre par son action syndicale dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, marquée tant par son dynamisme que par sa relative brièveté.
C'est en 1901-1902 qu'il vient travailler dans le bassin du Pas-de-Calais, en compagnie d'un groupe de mineurs de Montceau-les-Mines. De tendance libertaire, il s'engage au sein du "Jeune syndicat" fondé à la fin de 1902 par des membres du Parti ouvrier français de Jules Guesde, alors en désaccord avec le "Vieux syndicat" des députés-mineurs Émile Basly et Arthur Lamendin. Il parvient rapidement à prendre de l'importance dans son organisation, qu'il convertit aux thèses du syndicalisme révolutionnaire, portées nationalement par la CGT.
En 1906, la catastrophe de "Courrières" et la grève qui la suit du 14 mars au 7 mai, le propulsent sur le devant de la scène sociale. Il s'affirme comme un redoutable meneur de grève bousculant le "réformisme" honni du "Vieux syndicat" et reçoit l'attention des pouvoirs publics. Ainsi le ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau, lors de sa venue à Lens le 17 mars, le reçoit à la mairie et assiste même à une réunion organisée par ceux qualifiés de "broutchoutistes" ou "broutchoutards". Ces derniers "ayant tenté de prendre d'assaut la mairie de Lens" (1), il est arrêté avec trois de ses camarades le 20 mars 1906 et condamné par le tribunal de Béthune à deux mois de prison pour "violences à agent et rébellion". Le "Jeune syndicat" vit son heure de gloire : de moins de 500 militants au premier trimestre 1906, il atteint son maximum pendant la grève, avec plus de 1 500 adhérents. Mais cette belle époque ne dure guère, puisque les effectifs retombent à 600 en 1908.
Durant cette période, de 1906 à 1908, Benoît Broutchoux tient un café à Lens et, après avoir acheté une petite imprimerie à Wingles, rédige et imprime L'Action syndicale, l'organe hebdomadaire du "Jeune syndicat". Il doit affronter le rude coup que lui a porté Basly dans Le Réveil du Nord du 8 décembre 1906 : il l'accuse d'avoir détourné à son profit le produit d'une quête faite à Montceau en faveur des veuves de Courrières. Cette affaire, "habilement orchestrée (...) ne mettait pas en cause l'honnêteté des dirigeants du "Jeune syndicat", mais révélait une utilisation des fonds qui pouvait ne pas correspondre à l'intention des donateurs, fit grand bruit et mit les "broutchoutards" dans une situation difficile" (2).
Si Benoît Broutchoux perd en effet beaucoup de son influence dans les mines du Pas-de-Calais, il reste syndicalement actif au sein de la CGT. Surveillé, il est arrêté et emprisonné lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, puis envoyé au front où il combat jusqu'en septembre 1916. Réformé temporaire en raison de lésions pulmonaires, il milite contre la guerre dans les milieux anarcho-syndicalistes. Il adhère ensuite un temps à la CGTU fondée après la scission de la CGT en 1921, mais prend vite ses distance vis-à-vis d'un univers communiste qui n'est pas le sien. En 1924, il participe à la tentative de faire du journal anarchiste Le Libertaire un quotidien, puis part s'installer dans le Midi. Il finit les années 1930 malade et dans la misère, avant de s'éteindre le 2 juin 1944.
La présentation faite ici de la bande dessinée (3) dont il est le héros insiste sur sa dimension anarcho-syndicaliste qui est en effet la colonne vertébrale de son militantisme. La postérité de Benoît Broutchoux semble cependant quelque peu dépassé la portée de son action : avec son "Jeune syndicat", il "a échoué dans sa tentative d'introduire le syndicalisme révolutionnaire chez les mineurs" (4).
(1) Jean Maitron, " Basly Émile", dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions ouvrières, t. 11, 1973, p. 73-74.
(2) Jacques Julliard, "Modérés et radicaux : jeune et vieux syndicat chez les mineurs du Pas-de-Calais", dans Autonomie ouvrière. Étude sur le syndicalisme d'action directe, Paris, Le Seuil, 1988, p. 88.
(3) La 1ère édition a été éditée au Dernier terrain vague en 1979. Cette bande dessinée a commencé à paraître dans Le Clampin libéré (Lille, 1979), sous le titre "Les Aventures épastrouillantes de Broutchoux, anarcho-syndicaliste".
Phil Casoar, Stéphane Callens, Les Aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux, Lille : Fédération anarchiste. Groupe Humeurs noires : CCL [Centre culturel libertaire], 1993.
(4) Ibid., p. 89.