Grève des mineurs marocains dans les Houillères du Nord-Pas-de-Calais
Notice
Les mineurs marocains de Courrières sont en grève. Une lettre qui leur est adressée annonce la fermeture du siège de Courrières. Témoignage de l'un d'entre eux, Hamid Oukattou : il a choisi la reconversion et ne veut pas retourner au Maroc. Il affirme qu'il n'y a pas de limite à la grève, elle durera tant que la direction ne répond pas.
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Éclairage
Les Marocains sont le dernier courant d'immigration dans les Houillères. Amenés par milliers à partir des années 1960 pour œuvrer dans les bassins de Lorraine et du Nord-Pas-de-Calais, ils sont recrutés sur des contrats temporaires les plaçant sous la menace constante d'une rupture et d'un retour au pays. Précarisés et affectés aux travaux les plus durs (abattage, creusement), ils ne bénéficient pas du Statut du mineur de 1946. Il leur faut mener, en 1980, une première grande grève d'un mois qui démarre en Lorraine et gagne le Nord-Pas-de-Calais pour l'obtenir. Jusque-là peu organisés, certains rejoignent le mouvement syndical : après cette lutte, la CGT enregistre plusieurs centaines d'adhésions.
En décembre 1986, la décision est prise de cesser l'exploitation charbonnière dans le Nord-Pas-de-Calais. A partir de 1987, dans cette perspective, les mineurs de moins de 15 à 20 ans d'ancienneté doivent se reconvertir. Compte tenu de leur arrivée souvent récente, les Marocains sont particulièrement concernés. Or, il leur est réservé un traitement que d'aucuns estiment inégalitaire. Par exemple, leurs collègues français bénéficient, plusieurs mois avant la fermeture de leur mine, de formations qualifiantes, pour occuper un emploi chez EDF-GDF ou dans la fonction publique. Eux sont reconvertis dans la précipitation, à la veille de la fermeture du lieu d'exploitation. Ils sont en fait surtout incités à retourner au pays. Bref, le décor est planté pour susciter une nouvelle fois leur colère.
En septembre 1987, les premières lettres annonçant l'extinction des mines arrivent. Les mineurs marocains entament le 1er octobre une grève de deux mois. Ils manifestent, bloquent les puits, tiennent des meetings. Après l'occupation par plusieurs centaines d'entre eux de la Direction générale de Douai le 30 novembre, ils obtiennent des garanties sur la reconversion et la protection sociale pour ceux qui accepteraient de repartir. Ce dernier point figure d'ailleurs, comme le souligne le reportage, au cœur de la mobilisation : il ne leur est guère envisageable de rentrer silicosés au Maroc sans l'assurance de pouvoir bénéficier des soins médicaux gratuits.
Le conflit est ici évoqué en donnant la parole à Hamid Oukattou, un jeune mineur de fond de la fosse 3 de Courrières, destinée à la fermeture au 31 décembre 1987. Il est représentatif du nombre de ses compatriotes qui, comme lui, rechignent à retourner au pays. Il exprime cette crainte partagée d'un nouveau déracinement. Sa vie est désormais en France. Lui-même réussit finalement sa reconversion, comme le relate L'Écho du Pas-de-Calais de mai 2007 : "Lorsque la porte de la cage qui l'emmenait quotidiennement au fond s'est refermée pour la dernière fois derrière lui, Hamid Oukattou a poussé celle de La Gayolle (à Lens), le théâtre populaire qui, en l'engageant comme conteur et acteur, s'est professionnalisé. Depuis 1980, la troupe s'est fait une spécialité de mettre en scène notre vécu de la mine et s'ingénie à rapprocher le peuple des mineurs de nos populations".
Devenu artiste, il ne se coupe ni de ses racines professionnelles ni de ses anciens camarades. La pièce de Josette Breton qu'il interprète s'intitule "Mémoires d'un mineur marocain dans les Houillères du Nord-Pas-de-Calais". Elle revient notamment sur les conditions de la reconversion, en rappelant que les droits accordés aux Marocains n'ont pas été les mêmes que ceux octroyés aux Français, comme pour le rachat de leurs avantages en nature (conversion en un capital des avantages liés au logement et au chauffage). Oukattou et l' Association des mineurs marocains du Nord ont d'ailleurs soutenu l'action de dix anciens qui ont obstinément cherché à faire valoir leur situation devant la justice. En avril 2011, la Cour d'appel de Douai a reconnu qu'en refusant aux Marocains ce rachat en raison de leur nationalité, les Houillères ont fait acte de discrimination. Il est possible de voir là l'épilogue d'une lutte entamée un quart de siècle plus tôt.