Opération ville morte à Lens
Notice
La journée d'action "SOS la région minière se meurt" organisée par le comité d'expansion économique de Lens a été marquée par la fermeture des magasins, des mairies et de plusieurs entreprises. Le but était d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur l'emploi dans cette partie du Bassin minier. Les organisateurs dont les trois députés socialistes de Lens, Liévin, Béthune sont satisfaits de cette journée. Interviewé devant un gros ballon dirigeable sur lequel est inscrit "SOS, LA RÉGION", André Delelis, député-maire de Lens, souhaite que "les promesses faites devant les 42 cercueils de la catastrophe de Liévin, soient tenues". Malgré le refus de la CGT, la CFDT, la FEN et du PCF de s'associer à cette journée, il garde espoir que l'unanimité se fera.
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Éclairage
Le contexte est sombre dans le Pas-de-Calais quand a lieu la mobilisation du 11 octobre 1978 sur le thème “SOS la région minière se meurt !”.
De Béthune à Lens, en passant par Bruay, le mouvement de fermeture des puits a commencé dès les années 1950 et s'est accéléré au rythme des plans de récession. Certes, le choc pétrolier de 1973 et les annonces faites par le gouvernement Chirac de ralentissement de la baisse de la production prévue par les Charbonnages, suscitent un espoir. Surtout qu'après la catastrophe de Liévin en décembre 1974, le premier ministre a assuré la région que “tout sera fait pour qu'elle-même et ses enfants puissent regarder l'avenir avec confiance”. Mais les illusions sont vite levées : la demande ne suffit pas à enrayer le déclin du charbon, son coût croît et le choix du nucléaire est accentué. La perspective est à l'extinction des puits du Nord-Pas-de-Calais à l'horizon du milieu des années 1980. Cela est lourd de sens pour un territoire dépendant d'une mono-industrie fondée sur l'extraction et le traitement du charbon : l'ensemble de l'économie est donc touché, y compris le commerce. A cet égard, le taux de chômage galopant et le pouvoir d'achat en berne des plus jeunes inquiètent, tel ce garagiste : “Maintenant quand on vend une voiture, c'est le père ou la mère qui paie, c'est-à-dire les pensionnés des mines. Mais pour combien de temps encore ? Ces gens ne sont pas éternels !” (1).
Rien d'étonnant à ce que les commerçants se solidarisent de la campagne sur le thème de la reconversion industrielle lancée par les élus socialistes, dont les députés-maires de Lens André Delelis, de Liévin Henri Darras et de Béthune Jacques Mellick. En 1967, le Comité d'expansion économique de l'arrondissement de Lens, fondé en 1962, avait déjà initié une opération “villes mortes” pour sensibiliser les pouvoirs publics. La démarche est donc rééditée ce 11 octobre 1978, dans la désunion des forces de gauche et du syndicalisme, rappelée par le reportage et l'interview de Delelis. Si FO et la CFTC soutiennent l'opération, la CGT et le PCF ne s'y associent pas ; à Lens, la dispersion est encore plus nette : la CFDT et la FEN sont aussi absentes. Outre les divergences sur les modalités d'action, la période est électrique entre les opposants à la majorité de Giscard d'Estaing. Le Programme commun est rompu depuis septembre 1977, ce qui exacerbe la rivalité entre le PS et le PCF pour la prééminence à gauche. A tel point qu'en dépit de ses succès aux cantonales de 1976 et aux municipales de 1977, l'opposition échoue aux législatives de mars 1978. Cette situation a inévitablement un écho dans un bassin minier, où la gauche est quasi hégémonique.
La mobilisation paraît malgré tout rencontrer le succès auprès d'une population qui, au fond, se bat peut-être plus “pour sa survie que pour la mine” (2). Le sujet du journal télévisé insiste sur les magasins, les entreprises et les mairies fermés, telle celle de Lens et son drapeau en berne filmé en gros plan. Début décembre, L'Unité, l'hebdomadaire du PS, décrit ainsi la journée et ses suites immédiates : “tout a cessé de vivre le 11 octobre, comme dans ces cités minières de l'Ouest américain, abandonnées après épuisement des filons. 116 000 signatures ont été recueillies, puis emportées avec un cahier de doléances par un ballon jusqu'à Paris (...). Le lendemain, les élus allaient à Paris exposer cette situation au gouvernement. Le 20 octobre, cinquante élus socialistes du Nord et du Pas-de-Calais, réunis à Arras, demandaient que l'État établisse d'urgence un plan de sauvetage pour la région. Le 4 décembre, élus en tête, les gens de la région minière ont organisé un convoi de 70 voitures sur Arras où ils ont été reçus par le préfet”. Mais l'hémorragie industrielle est loin d'être contenue, en dépit des nouvelles attentes soulevées en 1981 par l'élection de François Mitterrand.
(1) L'Unité, n° 318, 8-14 décembre 1978, p. 8.
(2) Joël Michel, La mine dévoreuse d'hommes, Paris, Gallimard, 1993, p. 95.