L'aspect social de la reconversion du Bassin minier
Notice
Monsieur Kirchner, directeur des services économiques et financiers des Houillères chargé de la conversion, présente l'aspect social de la reconversion. Il souligne le sous-emploi dans le Bassin minier avec un taux d'emploi féminin faible.
Éclairage
L'interview permet de mettre en valeur un paradoxe : l'acuité du problème social que pose la reconversion, malgré le contexte économique florissant des Trente Glorieuses. La France connaît en effet à l'époque une croissance supérieure à 5% par an, et un taux de chômage inférieur à 3%.
Pourtant, le Nord-Pas-de-Calais commence à éprouver certaines difficultés du fait du déclin de ce que M. Kirchner appelle les "quatre piliers" de la région, l'agriculture, le textile, la sidérurgie et l'extraction houillère. L'agriculture n'est pas en crise mais sa modernisation continue aboutit à un fort déclin de sa population active. Le textile et la sidérurgie restent encore relativement dynamiques dans les années 1960, même si les sites les plus fragiles déclinent.
Le problème structurel provient du fait que la prospérité de la région est liée à des activités appartenant à la Première révolution industrielle, celle de la machine à vapeur. Elles ne croissent plus depuis longtemps, et ont été dépassées au XXe siècle par les secteurs de la Deuxième révolution industrielle (automobile, électricité, chimie), alors très peu présents dans la région. Cela entraîne un déclin relatif du Nord-Pas-de-Calais. Alors que la région représentait encore 9,4% du produit national en 1951, cette part décroît régulièrement pour atteindre 6,5% à la fin des années 1960, lorsque cette émission est tournée. Il s'agit alors de trouver de nouveaux relais de croissance industrielle. Le gouvernement s'y emploie, en favorisant notamment l'installation d'usines automobiles et d'unités chimiques. L'entreprise à laquelle appartient M. Kirchner, les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), s'y consacre également, soit directement, soit par l'intermédiaire de sa maison-mère, les Charbonnages de France (CdF). Les HBNPC, mais aussi les communes, mettent à la disposition des terrains pour attirer de nouvelles entreprises. Si le taux de chômage reste modéré en raison du contexte général des Trente Glorieuses, les HBNPC diminuent drastiquement leurs effectifs, qui passent de 220 000 en 1947 à 83 000 en 1968. Quelques mois avant l'interview, le plan Bettencourt de 1968 a encore aggravé la récession charbonnière. La fermeture du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est alors prévue vers 1983. D'ici-là, les milliers d'employés non encore retraités dépendants des mines devront être reconvertis vers d'autres métiers.
Se pose alors le problème de l'inadéquation entre l'offre et la demande d'emploi, particulièrement soulignée par M. Kirchner. En effet, la population locale est trop peu qualifiée pour les nouveaux emplois créés. Cette situation s'explique selon l'interviewé par une formation insuffisante de la main d'œuvre locale liée à la forte natalité d'une part, et à la prégnance de la mine d'autre part. Lorsque la mine donnait des possibilités d'emplois avec des avantages financiers et sociaux évidents, l'investissement dans l'école paraissait irrationnel. Cette attitude ancienne a été renforcée par l'adoption du statut du mineur en 1946. Combinée avec une natalité plus forte que dans les autres régions françaises, elle explique aussi un sous-emploi féminin. Or les nouvelles industries, celles de la Deuxième révolution industrielle, demandent souvent des qualifications plus élevées. Par ailleurs, ce mouvement s'inscrit plus généralement dans une tendance à la démocratisation de l'éducation en France, depuis les lois Ferry de 1881-1882 sur l'enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire, d'ailleurs mentionnées de manière allusive par M. Kirchner. La proportion de bacheliers sur une génération est ainsi passée de 3 % en 1945, à 20 % en 1975.
L'enjeu est d'autant plus important que la concurrence internationale s'accroît. M. Kirchner se plaint que l'industrie française soit "moins efficace" que celle des autres pays du marché commun, des États-Unis et du Japon. Ce jugement pessimiste doit être nuancé car la balance commerciale française est le plus souvent excédentaire dans les années 1960. La France exporte plus qu'elle n'importe. La déclaration de M. Kirchner traduit en fait la focalisation des élites politiques sur "l'Impératif industriel", titre d'un livre célèbre de Lionel Stoleru paru en 1969, soit la nécessité de renforcer les industries de pointe pour tirer la modernisation du pays, et lui faire relever le défi de la concurrence internationale. C'est l'un des objectifs majeurs du cinquième plan (1966-1970). Ainsi, l'enjeu de la formation est donc d'arrimer la région à l'élévation générale du niveau scolaire, et à la mutation de l'industrie française.