L'intégration de la communauté marocaine à Avion
Notice
Reportage à Avion où la mine est en déclin et le chômage est important. Cent familles marocaines y habitent et leur arrivée a perturbé la vie des cités minières. A la cité 4 on a recruté un professeur qui alphabétise les enfants. L'intégration est plus difficile chez les adultes. La cité 5 est un véritable ghetto, ce sont les Houillères qui ont procédé à ce regroupement. Le racisme n'existe pas puisqu'il n'y a aucun contact avec la population autochtone mais les problèmes ne font que commencer, ils s'aggraveront quand les jeunes chercheront dans quelques années du travail.
- Europe > France > Nord-Pas de Calais > Pas-de-Calais > Avion
Éclairage
L'obtention du statut de mineur en 1980 après une longue grève par les mineurs marocains marque un tournant décisif. Ils bénéficient des mêmes droits que les populations locales et la pérennité de l'emploi, ce qui engrange l'arrivée massive des familles. L'émigration d'hommes seuls se transforme en émigration familiale et relève la question de leur intégration sociale, celles de leurs femmes et la scolarité des enfants (1). Ils font partie de la classe défavorisée, cumulant les handicaps. L'intégration des marocains, ces jeunes travailleurs ruraux et peu alphabétisés, ne se posait pas puisqu'ils étaient recrutés pour une courte période (contrat de 18 mois). Quand les puits de mines ferment tour à tour, les mineurs marocains sont durement touchés par le chômage. Les marocains ressentent un sentiment d'injustice, voir un désœuvrement avec la sensation d'avoir été utilisés puis rejetés. Même si des efforts du gouvernement français sont effectifs en terme de reconversion, il faut en priorité favoriser les mineurs ayant de l'ancienneté et une famille en France. Dès lors, le retour au pays devient une solution obligatoire et une pression est excercée sur les marocains qui ont peu d'ancienneté, qui sont célibataires ou qui ont des enfants en bas-âge. Une incitation financière au retour au pays est prévue. Si certains sont repartis au pays, beaucoup sont restés en France, de peur de perdre notamment leurs droits acquis en France (logement, soins, etc) une fois rentrés au Maroc. Ces familles se soucient également de l'avenir de leurs enfants scolarisés ou qui rentrent dans la vie active, de leur retraite ou de leur santé.
Les femmes sont, quant à elles, partagées à l'idée d'un retour au pays. En France, même si beaucoup restent confinées chez elles, elles ont plus d'indépendance qu'au Maroc. Leur vie quotidienne s'est améliorée (maison à disposition, soins médicaux et charbon gratuits, présence d'appareils ménagers dont la télé et l'automobile parfois achetées en économisant le revenu du mari). Ainsi, même si le déracinement, les difficultés de communication et le climat restent difficiles à vivre, elle apprécient leur séjour en France et le confort matériel.
Les marocains forment alors une communauté fermée qui a du mal à s'intégrer en France. Ils vivent isolés dans des "ghettos" que les Houillères forment en rassemblant les populations marocaines dans une même cité. Ils ont peu de contact avec la population locale, ce qui renforce leurs problèmes d'intégration. L'intégration est d'autant plus difficile pour les parents qui ne connaissent par la langue. Les enfants étant scolarisés, ils suivent des cours d'alphabétisation à l'école.
Ce reportage au ton assez sombre témoigne ainsi d'une nouvelle manière de parler des questions migratoires et du climat de suspicion qui s'instaure dans les relations entre communautés. À partir du tournant des années 1970-1980 apparaît au centre des politiques publiques le concept et l'objectif de "l'intégration" appliqués aux dernières vagues migratoires, majoritairement issues de l'ancien empire colonial français. Dans un contexte de crise économique et de déclin de la production industrielle, la montée du racisme et de la xénophobie au sein de la population affecte particulièrement les derniers venus. L'année 1983 est marquée par une série d'événements qui sont la toile de fond des problèmes et difficultés que rencontrent les Marocains et leurs familles interrogés dans le Nord. En janvier 1983, plusieurs membres du gouvernement dénoncent les grévistes CGT de l'usine Renault-Billancourt, en insistant sur le fait qu'il s'agit en majorité de "travailleurs immigrés", "agités par des groupes religieux et politiques". Le contexte politique est aussi celui de la campagne des élections municipales partielles à Dreux qui ont lieu en septembre et voient la victoire du candidat du Front national. Des incidents ont lieu dans le quartier des Minguettes à Vénissieux durant l'été et déclenchent le développement d'un mouvement antiraciste, celui de la "Marche des Beurs", inspirée par la marche du pasteur Luther King qui témoigne d'un besoin d'apaisement, et de la volonté d'une partie des enfants d'immigrants de trouver une voie d'expression dans le débat public.
(1) Marie Cegarra, Olivier Chovaux, Rudy Damiani et al., Tous gueules noires, Histoire de l'immigration dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, collection Mémoires de Gaillette, Éditions du Centre Historique Minier, Lewarde, 2004.