L'intégration de la communauté marocaine à Avion

08 février 1983
04m 10s
Réf. 00222

Notice

Résumé :

Reportage à Avion où la mine est en déclin et le chômage est important. Cent familles marocaines y habitent et leur arrivée a perturbé la vie des cités minières. A la cité 4 on a recruté un professeur qui alphabétise les enfants. L'intégration est plus difficile chez les adultes. La cité 5 est un véritable ghetto, ce sont les Houillères qui ont procédé à ce regroupement. Le racisme n'existe pas puisqu'il n'y a aucun contact avec la population autochtone mais les problèmes ne font que commencer, ils s'aggraveront quand les jeunes chercheront dans quelques années du travail.

Date de diffusion :
08 février 1983
Source :

Éclairage

L'obtention du statut de mineur en 1980 après une longue grève par les mineurs marocains marque un tournant décisif. Ils bénéficient des mêmes droits que les populations locales et la pérennité de l'emploi, ce qui engrange l'arrivée massive des familles. L'émigration d'hommes seuls se transforme en émigration familiale et relève la question de leur intégration sociale, celles de leurs femmes et la scolarité des enfants (1). Ils font partie de la classe défavorisée, cumulant les handicaps. L'intégration des marocains, ces jeunes travailleurs ruraux et peu alphabétisés, ne se posait pas puisqu'ils étaient recrutés pour une courte période (contrat de 18 mois). Quand les puits de mines ferment tour à tour, les mineurs marocains sont durement touchés par le chômage. Les marocains ressentent un sentiment d'injustice, voir un désœuvrement avec la sensation d'avoir été utilisés puis rejetés. Même si des efforts du gouvernement français sont effectifs en terme de reconversion, il faut en priorité favoriser les mineurs ayant de l'ancienneté et une famille en France. Dès lors, le retour au pays devient une solution obligatoire et une pression est excercée sur les marocains qui ont peu d'ancienneté, qui sont célibataires ou qui ont des enfants en bas-âge. Une incitation financière au retour au pays est prévue. Si certains sont repartis au pays, beaucoup sont restés en France, de peur de perdre notamment leurs droits acquis en France (logement, soins, etc) une fois rentrés au Maroc. Ces familles se soucient également de l'avenir de leurs enfants scolarisés ou qui rentrent dans la vie active, de leur retraite ou de leur santé.

Les femmes sont, quant à elles, partagées à l'idée d'un retour au pays. En France, même si beaucoup restent confinées chez elles, elles ont plus d'indépendance qu'au Maroc. Leur vie quotidienne s'est améliorée (maison à disposition, soins médicaux et charbon gratuits, présence d'appareils ménagers dont la télé et l'automobile parfois achetées en économisant le revenu du mari). Ainsi, même si le déracinement, les difficultés de communication et le climat restent difficiles à vivre, elle apprécient leur séjour en France et le confort matériel.

Les marocains forment alors une communauté fermée qui a du mal à s'intégrer en France. Ils vivent isolés dans des "ghettos" que les Houillères forment en rassemblant les populations marocaines dans une même cité. Ils ont peu de contact avec la population locale, ce qui renforce leurs problèmes d'intégration. L'intégration est d'autant plus difficile pour les parents qui ne connaissent par la langue. Les enfants étant scolarisés, ils suivent des cours d'alphabétisation à l'école.

Ce reportage au ton assez sombre témoigne ainsi d'une nouvelle manière de parler des questions migratoires et du climat de suspicion qui s'instaure dans les relations entre communautés. À partir du tournant des années 1970-1980 apparaît au centre des politiques publiques le concept et l'objectif de "l'intégration" appliqués aux dernières vagues migratoires, majoritairement issues de l'ancien empire colonial français. Dans un contexte de crise économique et de déclin de la production industrielle, la montée du racisme et de la xénophobie au sein de la population affecte particulièrement les derniers venus. L'année 1983 est marquée par une série d'événements qui sont la toile de fond des problèmes et difficultés que rencontrent les Marocains et leurs familles interrogés dans le Nord. En janvier 1983, plusieurs membres du gouvernement dénoncent les grévistes CGT de l'usine Renault-Billancourt, en insistant sur le fait qu'il s'agit en majorité de "travailleurs immigrés", "agités par des groupes religieux et politiques". Le contexte politique est aussi celui de la campagne des élections municipales partielles à Dreux qui ont lieu en septembre et voient la victoire du candidat du Front national. Des incidents ont lieu dans le quartier des Minguettes à Vénissieux durant l'été et déclenchent le développement d'un mouvement antiraciste, celui de la "Marche des Beurs", inspirée par la marche du pasteur Luther King qui témoigne d'un besoin d'apaisement, et de la volonté d'une partie des enfants d'immigrants de trouver une voie d'expression dans le débat public.

(1) Marie Cegarra, Olivier Chovaux, Rudy Damiani et al., Tous gueules noires, Histoire de l'immigration dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, collection Mémoires de Gaillette, Éditions du Centre Historique Minier, Lewarde, 2004.

Sylvie Aprile

Transcription

Bernard Seitz
Avion, 20 000 habitants, ces corons blottis au pied du terril rivaient à la fosse. La mine a donné et donne encore du travail à Avion, mais depuis son déclin, elle lui donne aussi du chômage. 1 000 chômeurs ici dont la moitié ont moins de 25 ans. La mine, qui comme dans les communes voisines de Méricourt, Salllaumines, Libercourt, a vu arriver massivement les travailleurs marocains ; recrutés avant 1977 dans le Sud marocain par les Houillères. Les Marocains qui vivent aujourd’hui en famille depuis qu’ils ont réussi, grâce à une grève très dure en 79, à obtenir le statut du mineur. 100 familles marocaines habitent Avion, ce qui ne va pas sans poser de difficiles problèmes d’intégration.
Inconnu 1
Ça peut aller, oui, ça peut aller.
Bernard Seitz
Tu n’as pas de problème à l’école ou dans le quartier ?
Inconnu 1
Non, spécialement moi, non.
Bernard Seitz
Tu m’as dit tout à l’heure que tu as boxé certains Français.
Inconnu 1
Oui, ben oui, ça c’est sûr. Quand on a des problèmes avec eux, on les boxe, ça c’est sûr.
Inconnu 2
Dans la mesure où on se fréquente de plus en plus ; c’est-à-dire communauté française et communauté marocaine se fréquentent de plus en plus, automatiquement, le racisme tend à s’atténuer.
Inconnu 3
Pour l’instant, on n’a pas de problème, on n’a rien.
Bernard Seitz
Les Français vous accueillent bien ici ?
Inconnu 3
Oui, je me sens bien avec eux, il n’y a pas de problème.
Bernard Seitz
Aux témoignages recueillis devant la caméra, qui tous font état des bonnes relations entre Français et Marocains, s’opposent le sentiment que tout ne va pas si bien que cela ; et que les Marocains ont peur, une peur qui les empêche de dire la vérité. Car l’arrivée de 1 600 familles marocaines dans le Bassin Minier a perturbé considérablement la vie des cités minières. Les jeunes enfants arrivent souvent sans parler un seul mot de français, souvent même en pleine année scolaire ; et aucune prévision n’est possible quant à leur nombre et leur répartition dans les écoles ; puisque ce sont les Houillères qui logent ces familles, là où il y a un logement se libère, ce que l’on ne sait jamais à l’avance. A la Cité 4 par exemple, un poste supplémentaire d’enseignant a été crée, un jeune professeur alphabétise comme il peut pour, au plus vite, mettre les enfants à niveau.
Intervenant
Oui, tu prends le feutre orange. Tu prends le feutre marron. C’est très bien.
Bernard Seitz
Le racisme à l’école n’existe pas, les enfants ne connaissent pas le racisme. Dans toutes les classes françaises et marocaines sont mélangées, mais le seuil d’intégration est atteint ; et on est très inquiet pour les 1 600 familles marocaines qui vont arriver les mois prochains ici. La carte scolaire est impossible à dresser. L’intégration est beaucoup plus difficile chez les adultes. Les familles marocaines, c’est normal, ont tendance à se regrouper. C’est le cas dans la Cité 4 mais surtout dans la Cité 5, véritable ghetto marocain. La municipalité voudrait éviter ce trop fort regroupement, mais ce sont les Houillères qui donnent le logement, les Houillères qui agissent en maître dans ces cités. Au cœur même du ghetto, pourtant, on se refuse à parler de mise à l’écart et de racisme. Certes, le racisme n’existe pas, puisque les Marocains sont entre eux, il n’y a plus un seul Français dans ce quartier. Côté français justement, les autorités demeurent impuissantes. Certaines municipalités refusent obstinément d’accueillir les familles marocaines comme à Bruay-en-Artois. A Avion en revanche, des Marocains tiennent commerce, et font même figure de notables en plein centre ville. Mais les problèmes ne font que commencer. Ils vont se faire très réels lorsque tous les enfants des Marocains arriveront dans quelques années sur le marché du travail, car la mine vit ici ses derniers jours. Or, les jeunes, tous les jeunes n’ont qu’une intention, rester et s’installer en France. Oui, m’a-t-on dit, nous les accueillerons, car les Marocains vous savez, ils ne sont pas comme les Algériens. Le racisme existe bien.
(Bruit)