Cinéma : tournage de La Peau dure de Maurice Pialat
Notice
Maurice Pialat tourne La Peau dure (distribué sous le titre L'Enfance nue) à Hénin-Liétard (aujourd'hui Hénin-Beaumont) dans le Pas-de-Calais. Dans une interview, le réalisateur évoque le sujet de son film et le choix du lieu de tournage : beaucoup de placements de l'aide sociale à l'enfance, au niveau national, se font dans le Nord et le Pas-de-Calais, et plus particulièrement dans les familles de mineur.
Éclairage
Premier long-métrage de Maurice Pialat (1925-2003), L'Enfance nue (dont le titre initial était La Peau dure) est récompensé par le Prix Jean Vigo et révèle ce cinéaste hors norme. Ce reportage, réalisé pendant le tournage du film, nous livre une leçon sur le cinéma de Pialat tout en montrant comment un film peut intrinsèquement nous parler d'un territoire et d'une époque.
Pialat s'explique sur le choix du lieu de tournage. Souhaitant parler des enfants recueillis temporaires, pour aborder plus généralement la question de l'abandon (sujet qui lui tient particulièrement à cœur), il choisit d'ancrer son récit dans le Bassin minier. A l'époque, il explique dans Les Lettres françaises que c'est la région où les placements d'enfants réussissent le mieux, très certainement parce que la population y est déjà mêlée et que l'étranger y est mieux accepté.
Le film met en scène François, un jeune garçon de dix ans, abandonné par sa mère. Accueilli d'abord par les Joigny (le père, Robby, travaille à la mine), il ne parvient pas à trouver sa place et se montre violent. Il est ensuite placé chez les Thierry, un couple de retraités d'Hénin-Liétard (aujourd'hui Hénin-Beaumont). Il y trouve un certain équilibre et noue une relation privilégiée avec la mère de Mme Thierry. La mort de celle-ci le bouleverse et l'entraîne dans un nouvel acte de délinquance qui le conduit en centre d'observation.
Pialat prépare son film comme un documentaire et se livre à un véritable travail d'enquête : il écoute de nombreux témoignages, tant de la part des familles d'accueil que des enfants recueillis temporaires. Sa monteuse Arlette Langmann explique qu' "il y a eu cette rencontre extraordinaire avec les Thierry, qui fait que c'est eux-mêmes qui ont écrit leur rôle" (1) . Ils interprètent en effet leur propre rôle.
Acteurs en partie non professionnels, tournage en décor réel, travail d'enquête, expliquent les liens que la critique va faire entre la démarche de Pialat et le néoréalisme italien ou encore le cinéma pris sur le vif du documentariste québécois Pierre Perrault.
L'ouverture du film témoigne de cette démarche. Une manifestation filmée caméra sur l'épaule joue d'emblée la carte du documentaire. Elle ancre le film non seulement dans un territoire (deux mineurs en tenus de travail sont suivis par le porte-drapeau de la fanfare "La prolétarienne d'Hénin-Liétard"), mais aussi dans une époque. L'objet de la manifestation est le maintien du plein emploi dans la région. L'action du film se situe en 1967-1968, après les grèves de 1963 faisant suite à la mise en place du plan Jeanneney (1960) ouvrant la période de récession du bassin minier du Nord-Pas de Calais.
Pour les scènes d'intérieur, comme en témoigne ce reportage, Pialat souhaite aussi se plier au vrai décor. La caméra trouve difficilement sa place dans l'intérieur étriqué de la maison du mineur. Ce qui préoccupe Pialat, c'est la vérité crue qui sortira de ces difficultés de tournage. Les meubles restent à leur place et le cadrage doit faire face à ces contraintes.
Ce film a marqué l'histoire du cinéma par la mise en scène de l'enfance qu'il propose. On retiendra aussi la capacité de Pialat à mettre en scène les paysages du Nord, qu'il retrouvera quelques années plus tard pour le tournage de Sous le soleil de Satan.
(1) Bonus DVD L'enfance nue in L'intégrale de Maurice Pialat, Gaumont.
Sources :
Magny Joël et Cazaux Yvette, L'enfance nue, dossier "Collège au cinéma"n° 165, Centre National de la Cinématographie, 2008.
Site internet consacré à Maurice Pialat
L'Enfance nue sur DVD Classik et sur Critikat