Témoignages sur la grève des mineurs de mai-juin 1941

27 mai 1941
06m 19s
Réf. 00142

Notice

Résumé :

Témoignages dans les "Mémoires de la mine", d'anciens mineurs qui ont participé à la grève du 27 mai au 10 juin 1941. Ovide Legrand et Louis Caron en expliquent les causes : augmentation du temps de travail et rationnement. Le prétexte de la grève a été le manque du savon. Louis Lethien évoque un sursaut patriotique. Ils soulignent le soutien des femmes. Jean Wrobleski raconte comment la production était sabotée et la répression allemande qui s'en est suivie.

Type de média :
Date de diffusion :
02 décembre 1981
Date d'événement :
27 mai 1941
Source :

Éclairage

Quarante ans après, des mineurs résistants reviennent sur l'état d'esprit de la profession et sur la grève de mai-juin 1941, “le plus grand mouvement de masse durant cette première année d'occupation, non seulement en France mais dans toute l'Europe” (1). Il prend racine dans un vif mécontentement rappelé par ces témoignages.

Dès la fin du Front populaire, les conditions de travail des “gueules noires” se détériorent de nouveau. Puis la guerre aiguise les difficultés. Le Nord-Pas-de-Calais est occupé et l'Allemagne a besoin de charbon. Pour avoir une production élevée, le temps de labeur est accru, des congés supprimés, le travail au rendement individuel avec chronométrage rétabli, sous l'œil d'un personnel d'encadrement disposé à prendre sa revanche sur 1936. S'ajoutent à cela les problèmes de ravitaillement et de vie chère, l'insuffisance des rations alimentaires.

Peu après le début de l'occupation, des mineurs réagissent par des débrayages ponctuels ; le 11 novembre 1940, ils sont nombreux à cesser le travail. Des grèves perlées entravent la production, tandis que de nouvelles formes d'organisation éclosent, tels les Comités d'unité syndicale et d'action (CUSA), à l'instigation de militants communistes rejoints par des socialistes et des chrétiens.

La riposte allemande ne tarde guère. Des affiches menaçant les mineurs en cas de grève sont placardées et en janvier 1941, quelque 200 d'entre eux sont internés. Bref, la pression est intense lorsqu'ils s'engagent dans une mobilisation massive qui démarre le 27 mai à la fosse 7 de Dourges, où l'influence des syndicalistes communistes, comme Michel Brûlé, est prégnante. Un changement dans le système de rémunération est l'étincelle qui met le feu aux poudres, s'ajoutant aux misères du quotidien, tels le manque de savon ou de nourriture.

La grève s'étend rapidement et rassemble jusqu'à 100 000 mineurs. Les formes d'action s'adaptent au contexte. Fosses et carreaux ne sont pas occupés par les mineurs et les non-grévistes ne sont pas pourchassés : les Allemands en profiteraient si les ouvriers s'exposaient. Le rôle des femmes s'avère alors déterminant. Elles arpentent les corons un peu avant la prise ou la fin des postes, forment des cortèges volontiers véhéments. La police française, désarçonnée, en appelle à la Feldgendarmerie. Les Allemands interviennent d'autant plus vite que le conflit menace de s'étendre. Le 5 juin, des automitrailleuses patrouillent. Des centaines d'arrestations n'épargnent ni les femmes ni, a fortiori, les meneurs. Des condamnations aux travaux forcés, des internements, des déportations et quelques exécutions répliquent à la contestation.

Face à cette brutalité, les CUSA appellent le 8 juin à la reprise du travail, effective le 9 au soir. Cela ne signifie pas la fin de l'esprit de résistance. Un tract saisi à Douai demande aux mineurs d'être “prêts à reprendre le combat sous d'autres formes, avec d'autres méthodes qui prêteront moins à la répression”(2). Et de fait, si cette dernière étouffe un temps la protestation ouverte, elle n'éteint pas la contestation sourde, tel le ralentissement de la production.

La grève de 1941 offre un élan au développement de la Résistance dans la région et contribue à faire émerger une nouvelle génération de militants. Elle cristallise l'insatisfaction face aux conditions du quotidien et prend par nature un caractère patriotique : elle s'oppose à l'occupant, identifié comme la cause des maux du moment et pour lequel on rechigne à produire, comme le martèlent les quatre témoignages ici réunis. Tout au long de la guerre, les mineurs de France s'inscrivent d'ailleurs parmi les professions les plus combatives.

(1) Pierre Outteryck, “Mai-juin 1941. Cent mille mineurs défient l'occupant”, Les Cahiers de l'Institut CGT d'histoire sociale, n° 122, juin 2012, p. 6-7.

(2) Cité par Étienne Dejonghe,"Chronique de la grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais (27 mai-6 juin 1941)", Revue du Nord, t. LXIX, n° 273, avril-juin 1987, p. 338.

Stéphane Sirot

Transcription

Jacques Renard
Pour quelle raison elle a éclaté, cette grève de 1941 ?
Louis Lethien
Il y avait l’augmentation des cadences, c’était fini la semaine des deux dimanches. Les conquêtes du Front populaire étaient terminées. C’était une revanche sur le Front populaire, ça c’est vrai. Il faut dire la vérité, les choses comme elles sont. Puis, il fallait produire pour l’occupant.
Louis Caron
Quand tu sais que les mineurs du fond quand ils descendent. Mais s'il y avait le ravitaillement du jour, il faut manger plus, du fait que le travail étant beaucoup plus pénible, il fallait avoir une pension supplémentaire. Ensuite, une deuxième chose, c’était pour se laver, il fallait du savon. Et ça, c’était l’excuse qui a été prise. Mais le fond, ce n’est pas ça. Le fonds c'est pas ça. Mais ça, c’est l’excuse des revendications pour avoir l’excuse de faire une grève. Mais le fond, ce n’est pas ça.
Louis Lethien
Mais pour moi, le fond, c’est un sursaut patriotique. Il y a tout le manque de ravitaillement, mais ils voulaient faire quelque chose. Ils voulaient faire voir qu’il y avait opposition quand même à l’occupant.
Louis Caron
La première journée, c’est le Dahomey qui a déclenché. Et nous, on a déclenché le deuxième jour au 6 bis, tout à fait au départ. Après, Liévin et tout ça ont suivi, deux ou trois jours après, je crois hein, trois ou quatre jours, je ne m’en souviens plus bien. Et c’est là, le départ, et c’était le départ le plus terrible, parce qu’il y avait une répression au départ. Il fallait tuer la grève dans l’œuf. Et là, ils n’y sont pas arrivés.
Ovide Legrand
Et le mot d’ordre essentiel qui courait au fond de la mine sur tous les wagonnets, c’était ça," pas de carbon pour les boches". 3pas de carbon pour les boches", et ça courait tous les wagonnets, c’était écrit à la craie et cetera.
Louis Caron
Les femmes disaient : mais t’as raison de ne pas aller travailler, il faut faire voir que vous êtes là, tous. C’est ça qui a fait beaucoup pour la grève aussi, le soutien des femmes de mineurs.
Jean Wrobleski
Nous étions à l’autre bout du bassin, les communications étaient difficiles puisque le couvre-feu était permanent. Et nous avons appris que la grève s’étendait à travers tout le bassin. Et bien sûr, on n’y a pas échappé. Malheureusement, il faut dire que ça n’a pas été le même problème pour ceux qui ont été renvoyés dans les foyers de captivité ; parce qu’on avait bien participé à la grève, mais quelques jours après, qu’est-ce qu’on voit ? Je me rappelais, j’étais encore au lit et un gendarme se pointe chez moi et dit, bon ben, il a demandé à mes parents : votre fils, où est-ce qu’il est ? Et ben, il est là, il dort ! Pourquoi, il est gréviste ? Pourtant, c’était un ex-prisonnier et sa place est à la mine. Et c’est comme ça que tous les jours, pendant toute la grève, on était convoyé. Les gendarmes passaient dans la cité, ramassaient tous les ex-prisonniers. Et puis, on nous emmenait à la mine. Mais enfin, il n’était pas question du tout d’aller faire le briseur de grève, on savait déjà de quoi il s’agissait. Alors lorsqu’on descendait, d’autant plus qu’il y avait aussi de la part de l’agent de maîtrise qui descendait avec nous quand même une certaine complicité ; on descendait au fond, personne ne savait ce qu’on y faisait et pratiquement, on n’y faisait rien. Bien au contraire, on disait : bon ben si on veut faire que la grève dure, même si les mineurs, au cas où ils seraient dans l’obligation de descendre, ben, ils trouveront des chantiers qui, véritablement, ne pourront pas recevoir les mineurs sur place. Disons qu’on faisait tout, on commençait déjà petit à petit à saboter la production.
Louis Caron
Et ensuite, on a fait grève jusqu’au dernier jour, jusqu'à temps que…, la répression, c’était vraiment forte. Là, il n’y avait plus de rémission, il fallait recommencer le travail. Ou alors, on aurait eu de pertes énormes. Eux,ils regardaient pas, ils les réquisitionnaient, allez, "arbeit! arbeit!".
Jean Wrobleski
Sur le plan disons mineur pur, une certaine résistance mais sans aucune organisation bien définie. Il n’y avait pas de mot d’ordre disons d’une organisation quelconque. Bon, tout le monde, individuellement dans son for intérieur se dressait. Et on disait, bon ben oui, mais notre charbon, ben il sert quand même à la machine de guerre allemande. C’est pas possible qu’on continue à en faire. Et puis les Allemands, ils en profitent. D’autant plus qu’il faut souligner surtout que pendant l’occupation ; les Allemands venaient et dirigeaient un tant soit peu les compagnies minières ; parce qu’ils abandonnaient les petites veines alors qu’il y avait une possibilité pendant des mois et des mois d’extraire du charbon. Mais ce n’était pas suffisamment rentable pour eux. Alors, on sautait ces couches-là, on les abandonnait. Et puis, on creusait dans les nouveaux chantiers où il y avait des veines dont les chantiers étaient en préparation ; parce que ça demande de longs mois de préparation ; mais qui disons, chronologiquement, on descendait pour les reprendre. Là, on abandonnait toutes les petites veines. Et puis hop, on s’engouffrait carrément dans les grandes veines, ce qui faisait , que bon, il y avait une sacrée production qui remontait. Et pour qui ? Pas pour la France certainement. Et alors, c’est là que les mineurs ont vraiment réagi assez fortement. Il y a eu un jour, je me rappelle, je ne me rappelle plus exactement la date ; mais ça, je me rappelle bien le jour où ils sont descendus, on nous a annoncé, on était au fond, que les Allemands étaient venus très en colère. Il y avait une espèce de commandant qui était arrivé sur le siège et avait dit à la direction que ce n’était pas normal que le siège avait une capacité de rendement de X ; alors c’était pas suffisant, il fallait faire quelque chose. A l’époque, le directeur qui était Monsieur Rinaldi, il avait dit : ben écoutez, il se défendait comme il pouvait. Et finalement, les Allemands sont descendus. Il y a une section de SS qui sont descendus au fond. Et bon, ceux qui ont été les plus vite alertés se sont réfugiés dans les chantiers où ils ne pouvaient pas aller très loin, je parle des Allemands. Mais par contre, ceux qui étaient restés aux abords de l’accrochage, ben, ils se sont fait ramasser ; et on les a exportés et expédiés en Hollande, dans un camp. Ça, c’était le coup de semonce donné pour dire que bon ben si vous ne travaillez pas, voilà ce qui peut vous arriver.