Témoignages sur la grève des mineurs de mai-juin 1941
Notice
Témoignages dans les "Mémoires de la mine", d'anciens mineurs qui ont participé à la grève du 27 mai au 10 juin 1941. Ovide Legrand et Louis Caron en expliquent les causes : augmentation du temps de travail et rationnement. Le prétexte de la grève a été le manque du savon. Louis Lethien évoque un sursaut patriotique. Ils soulignent le soutien des femmes. Jean Wrobleski raconte comment la production était sabotée et la répression allemande qui s'en est suivie.
Éclairage
Quarante ans après, des mineurs résistants reviennent sur l'état d'esprit de la profession et sur la grève de mai-juin 1941, “le plus grand mouvement de masse durant cette première année d'occupation, non seulement en France mais dans toute l'Europe” (1). Il prend racine dans un vif mécontentement rappelé par ces témoignages.
Dès la fin du Front populaire, les conditions de travail des “gueules noires” se détériorent de nouveau. Puis la guerre aiguise les difficultés. Le Nord-Pas-de-Calais est occupé et l'Allemagne a besoin de charbon. Pour avoir une production élevée, le temps de labeur est accru, des congés supprimés, le travail au rendement individuel avec chronométrage rétabli, sous l'œil d'un personnel d'encadrement disposé à prendre sa revanche sur 1936. S'ajoutent à cela les problèmes de ravitaillement et de vie chère, l'insuffisance des rations alimentaires.
Peu après le début de l'occupation, des mineurs réagissent par des débrayages ponctuels ; le 11 novembre 1940, ils sont nombreux à cesser le travail. Des grèves perlées entravent la production, tandis que de nouvelles formes d'organisation éclosent, tels les Comités d'unité syndicale et d'action (CUSA), à l'instigation de militants communistes rejoints par des socialistes et des chrétiens.
La riposte allemande ne tarde guère. Des affiches menaçant les mineurs en cas de grève sont placardées et en janvier 1941, quelque 200 d'entre eux sont internés. Bref, la pression est intense lorsqu'ils s'engagent dans une mobilisation massive qui démarre le 27 mai à la fosse 7 de Dourges, où l'influence des syndicalistes communistes, comme Michel Brûlé, est prégnante. Un changement dans le système de rémunération est l'étincelle qui met le feu aux poudres, s'ajoutant aux misères du quotidien, tels le manque de savon ou de nourriture.
La grève s'étend rapidement et rassemble jusqu'à 100 000 mineurs. Les formes d'action s'adaptent au contexte. Fosses et carreaux ne sont pas occupés par les mineurs et les non-grévistes ne sont pas pourchassés : les Allemands en profiteraient si les ouvriers s'exposaient. Le rôle des femmes s'avère alors déterminant. Elles arpentent les corons un peu avant la prise ou la fin des postes, forment des cortèges volontiers véhéments. La police française, désarçonnée, en appelle à la Feldgendarmerie. Les Allemands interviennent d'autant plus vite que le conflit menace de s'étendre. Le 5 juin, des automitrailleuses patrouillent. Des centaines d'arrestations n'épargnent ni les femmes ni, a fortiori, les meneurs. Des condamnations aux travaux forcés, des internements, des déportations et quelques exécutions répliquent à la contestation.
Face à cette brutalité, les CUSA appellent le 8 juin à la reprise du travail, effective le 9 au soir. Cela ne signifie pas la fin de l'esprit de résistance. Un tract saisi à Douai demande aux mineurs d'être “prêts à reprendre le combat sous d'autres formes, avec d'autres méthodes qui prêteront moins à la répression”(2). Et de fait, si cette dernière étouffe un temps la protestation ouverte, elle n'éteint pas la contestation sourde, tel le ralentissement de la production.
La grève de 1941 offre un élan au développement de la Résistance dans la région et contribue à faire émerger une nouvelle génération de militants. Elle cristallise l'insatisfaction face aux conditions du quotidien et prend par nature un caractère patriotique : elle s'oppose à l'occupant, identifié comme la cause des maux du moment et pour lequel on rechigne à produire, comme le martèlent les quatre témoignages ici réunis. Tout au long de la guerre, les mineurs de France s'inscrivent d'ailleurs parmi les professions les plus combatives.
(1) Pierre Outteryck, “Mai-juin 1941. Cent mille mineurs défient l'occupant”, Les Cahiers de l'Institut CGT d'histoire sociale, n° 122, juin 2012, p. 6-7.
(2) Cité par Étienne Dejonghe,"Chronique de la grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais (27 mai-6 juin 1941)", Revue du Nord, t. LXIX, n° 273, avril-juin 1987, p. 338.