Les origines du Magazine du mineur

04 octobre 1959
03m 36s
Réf. 00020

Notice

Résumé :

Un universitaire, Pascal Chabaud, s'est intéressé au Magazine du mineur diffusé entre 1959 et 1972 sur la télévision régionale et le fruit de son travail a permis la réalisation d'un documentaire retraçant l'histoire de cette émission avec les protagonistes de l'époque, ceux des Houillères comme Jean-Pierre Rousselot, de la télévision régionale ou des témoins comme André Demarez, vice-président de l'association Mémoire et culture. Cet extrait présente les débuts du Magazine, le contexte et les conditions dans lequel il a été produit.

Type de média :
Date de diffusion :
16 décembre 2000
Date d'événement :
04 octobre 1959
Source :

Éclairage

Le documentaire dont est tiré cet extrait a été réalisé à partir du travail d'un chercheur sur un cas unique dans l'histoire de la télévision française (1).

Le dimanche 4 octobre 1959, Simons présente sur Télé Lille le numéro 0 du Magazine du mineur. Il sera suivi de 110 autres numéros pendant 12 ans. Il bénéficiera pendant toute cette période d'un décrochage exceptionnel, le dimanche, à une heure de grande écoute.

Ce magazine est remarquable à plus d'un titre. En effet, il s'adresse directement à une catégorie ciblée de la population : les mineurs et leurs familles. Il est commandité et contrôlé par leur employeur : les Houillères du Bassin Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC). Le contexte est aussi particulier.

La maison mère, les Charbonnages de France (CdF), est une des premières entreprises industrielles à utiliser l'audio-visuel dans ses actions d'information. Dès 1952 un journal d'entreprise, Charbon Magazine, est diffusé dans les salles de cinéma. "1958 est l'année record de la production de charbon en France et 1960 l'année record pour la cinémathèque de Charbonnages de France qui produit 11 films" (2).

En avril 1950 naît à Lille la première télévision régionale. Dès ses débuts, elle diffuse un journal télévisé, des émissions de variétés, des dramatiques... En 1959, elle est dotée d'une équipe de réalisateurs et d'un savoir-faire qui n'existe pas dans les autres régions minières.

Le taux de pénétration d'équipement en téléviseurs est exceptionnel dans le Nord et le Pas-de-Calais égal ou supérieur à celui de la région parisienne. Le direct Une visite à la fosse 12 de Lens animé en 1955 par Pierre Tchernia, a un énorme retentissement dans la région et contribue à populariser la télévision auprès des mineurs qui s'équipent grâce à la prime de résultat touchée en fin d'année.

C'est dans ce contexte que les HBNPC, qui produisent déjà avec la RTF une émission de radio Terrils et Corons, vont s'orienter vers ce nouveau média. Comme en témoigne ici Jean-Pierre Rousselot, responsable des relations publiques des HBNPC, il n'y a qu'un accord tacite entre la RTF et les Houillères pour produire Le Magazine du mineur. Télé Lille en a la maîtrise technique et éditoriale mais en réalité une grande partie du programme est composé et contrôlé par le service des relations publiques des HBNPC.

Les réalisateurs interrogés dans le documentaire, affirment que ce contrôle étroit concernait jusqu'au choix des artistes invités. Dans ce magazine dominical qui doit être avant tout un moment de détente, il n'est pas question d'aborder les accidents, la silicose ou les mouvements sociaux. En mars 1963, le Magazine ne parle pas de la grande grève des mineurs et il ne sera pas diffusé en avril. De même, il n'y aura pas de diffusion en juin 1968.

Une des raisons de la popularité du Magazine est la présence de Simons pendant 9 ans dans chaque numéro. Il anime régulièrement des émissions de radio depuis les années 1930. Sa notoriété en 1959 est immense quand on lui demande de lancer et d'animer le Numéro 0. Déjà en 1950, c'est à lui qu'on a fait appel pour la toute première retransmission de la télévision régionale. Avec Le Magazine, il va pouvoir exploiter tous ses talents : Le "Pagnol du Nord" est non seulement auteur patoisant, mais il est aussi peintre, illustrateur, auteur et interprète de revues qui sillonnent la région depuis trente ans.

A ses débuts, l'émission est un vrai magazine avec 7 à 8 rubriques : actualités, vie des Houillères, loisirs, bricolage, sport... Mais c'est la fin d'une époque et à la fin des années 1960, le plan Jeanneney annonce la récession minière.

A la rentrée de 1962, une nouvelle formule se met en place. Les différentes rubriques font place à des numéros thématiques sur des sujets divers valorisants : l'ère du plastique, l'électricité, les vacances, le cinéma et la mine. Des numéros entiers sont consacrés aux divertissements. Alain Decaux signe une fiction Martine ou l'art des mines.

En 1968, le plan Bettencourt annonce la fin de l'exploitation et la "conversion" du Bassin minier. Le 24 novembre cette question est abordée directement dans Le Magazine. Son contenu va évoluer pour mettre au centre des émissions la reconversion des mineurs vers d'autres activités. En 1970, sont présentées les principales villes du Bassin minier avec leurs atouts économiques et touristiques qui leur permettront d'aborder l'après mine.

La diffusion passe le samedi et à partir de janvier 1971, le contenu se réparti entre activités de loisirs et reconversion. La couleur, qui fait son apparition fin 1971, ne l'empêchera pas de s'arrêter à son 110ème numéro le 29 mai 1972. Un sujet y traite de la reconversion des ateliers centraux de Wingles dans lequel pour la première – et la dernière fois – un responsable syndical, Marcel Barrois, est interviewé.

Le Magazine du mineur a été classé en 2004 dans les "Trésors" (3) des archives de l'Ina.

(1) Pascal Chabaud, "Le Magazine du mineur outil de communication au service des Houillères du Nord-Pas-de-Calais à la télévision française (1959-1972)", Organisations, Médias et Médiations, Paris, Ellipses Marketing, 2002.

(2) "Mines et bobines" Dossier réalisé par Jean-Yves Murray et Alfred Olszak, CdF Mag N°179, sept-octobre 2005, pp 7-12.

(3) Un "Trésor national" est un bien culturel qui présente un intérêt majeur pour le patrimoine national.

Jean-Noël Marquet

Transcription

(Musique)
Léopold Simons
Le Magazine du mineur. Bonjour, vous avez vu ? Ça fait un magazine de plus quoi. La direction régionale de la RTF, ayant estimée que la région minière du Nord et du Pas-de-Calais étant une des plus riches de France en tant que téléspectateurs, naturellement ; a pensé qu’il serait équitable que cette région minière ait son petit magazine, elle aussi. Et c’est pourquoi le projet d’émission que nous vous proposons. C’est un projet, je le dis tout de suite, c’est un essai, c’est ce que nous appelons, nous, dans notre jargon une maquette.
Alain Herr
Lorsqu’il enregistra cette séquence, Léopold Simons, comédien et auteur patoisant du Nord de la France n’imaginait pas que l’émission qu’il venait de présenter serait suivie de 110 numéros.
(Musique)
Journaliste
Vous êtes téléspectateur ?
Inconnu
Oui.
Journaliste
Depuis quelle année ?
Inconnue
Je suis depuis 1952.
Inconnu
Bien, il y a sept ans, ça fait quelle année, je ne sais plus.
Journaliste
Depuis 57 ?
Inconnu
Depuis 15 ans.
Journaliste
Vous étiez donc l’un des premiers, ici, à avoir la télévision ?
Inconnu 2
Oui.
Inconnu 3
Depuis 55.
Inconnue 2
Depuis 1959.
Journaliste
59 ?
Inconnue 2
Oui.
Inconnu 4
Depuis 1954.
Inconnu 5
Depuis 8 ans déjà.
Inconnu 6
Je vais vous dire, ça fait à peu près 11 ans.
Journaliste
11 ans ? Vous étiez donc dans l’un des premiers ?
Inconnu 6
Les tous premiers, tous, il y a eu le petit 36 ! A peu près 11 ans qu'on l'a.
André Demarez
La télévision c’était cher et tout le monde ne pouvait pas faire l’investissement. Et les mineurs touchaient une prime qu’on appelait la prime de résultat, qui était basée sur l’absentéisme, sur le rendement, sur tout un tas de critères pour déterminer cette prime et ils touchaient cette prime en fin d’année. Et c’était l’occasion pour eux d’acheter la télévision. Et la porte ouverte sur un autre monde, et c’est vrai, les vendeurs de télévisions ici ont fait fortune ; parce qu’ils s’installaient au pied d’un coron et ils montaient les antennes et puis après, ils installaient les postes. C’était comme ça, chaque coron avait, pratiquement tout le monde avait la télévision, avant la machine à laver.
Jean-Pierre Rousselot
D’où l’intérêt pour la RTF de l’époque, régionale, d’essayer de toucher ce public. Cet intérêt recoupait le nôtre qui était d’essayer d’utiliser les moyens modernes pour faire passer une information ; si on peut dire information, nous reviendrons d’ailleurs là-dessus. Il n’y avait pas que de l’information, mais enfin pour avoir une émission à destination de ce public que nous essayions de toucher par d’autres moyens.
André Demarez
Moi je me souviens, je faisais la route à pied à l’époque et pour aller chez moi, il fallait que je borde un long, long coron, je pouvais écouter l’émission. C’était la même émission qu’on entendait jusqu’à la fin du coron, tout le monde écoutait la télévision à la même heure.
Jean-Pierre Rousselot
C’est comme ça qu’est née, d’un accord entre la RTF régionale et les Houillères du Nord-Pas-de-Calais, la création du Magazine du mineur. Un accord tacite qui n’a jamais donné lieu à un contrat, et bien entendu, jamais aucun financement de notre part.
André Demarez
Moi, je m’en souviens, mon père n’aurait jamais loupé ce magazine pour un empire, il fallait faire silence.
Journaliste
Le Magazine du mineur…