La fin de la mine, la fin d'une société

19 janvier 1973
02m 21s
Réf. 00102

Notice

Résumé :

"L'Album de famille des français" consacré à la mine en 1973 se termine sur la perspective des fermetures. Le paysage va se modifier sur l'emplacement des vieilles fosses et des chevalements, déjà des usines nouvelles surgissent. Interview d'un mineur qui n'a pas encore trouvé la reconversion qui pourrait lui convenir ainsi qu'à sa famille implantée là depuis des générations. Quant aux enfants que l'on voit jouer dans un coron de Billy- Montigny, ils ne seront pas mineurs.

Type de média :
Date de diffusion :
19 janvier 1973

Éclairage

Cet extrait débute par une introduction présentant les contrastes paysagers liés à la reconversion, puis continue par l'interview d'un mineur à propos de sa future conversion professionnelle et finit sur des vues d'un quartier de corons où un groupe d'enfants joue au ballon.

La première partie est la plus intéressante en matière de paysage. En effet, elle juxtapose plusieurs fois les traces, actives ou non, du paysage minier à de nouvelles usines fonctionnalistes bardées de métal. Les images s'accordent ainsi au discours qui explique le nécessaire remplacement des anciennes fosses et chevalements par de nouvelles activités qu'on imagine, en 1973, encore exclusivement industrielles. On peut reconnaître :

- le chevalement en béton de la fosse 2ter de la Compagnie de Lens à Loison-sous-Lens avec, juste à gauche, un bâtiment fonctionnaliste moderne préfigurant la fonction actuelle de cet espace : une zone commerciale comportant plusieurs concessionnaires automobiles ;

- puis, par un zoom avant, le terril et le chevalement de la fosse 5 de la Compagnie de Lens à Avion, entièrement démantelée en 1988 et devenue le parc urbain de la Glissoire, mêlant étangs et terril transformé en belvédère ;

- puis, par une vue large et derrière un faisceau de voies ferroviaires classique des cavaliers miniers du bassin, le chevalement de la fosse n°4 de la Compagnie de Liévin à Avion, devenue aujourd'hui un ensemble sportif rassemblant plusieurs stades autour du centre sportif et technique de la Gaillette où s'entraîne le club de football du Racing Club de Lens ;

- enfin, au pied du terril du puits n°4 de la Compagnie d'Ostricourt sur la commune de Carvin, l'usine CMC (Constructions Mécaniques de Carvin) du groupe Poclain, installée là en 1969 et produisant des chargeurs sur pneus et sur chenilles et des pelles mécaniques jusqu'en 1992. Depuis, les bâtiments ont été repris par deux entreprises : Cuir CCM construisant des machines d'impression et de découpe du carton, et la Société Nouvelle Roger, spécialisée dans le petit matériel et l'outillage pour l'agriculture.

Le discours, après un rappel des causes internes (épuisement de veines dans une partie occidentale du bassin où elles sont de plus en plus profondes et donc plus difficilement accessibles qu'à l'Est, lourde charge paternaliste) et externes (concurrence de nouvelles sources d'énergie) du déclin de l'extraction, évoque la future modification de paysage ("le paysage lui-même va se modifier"), liée à la fin de l'ancienne activité et à son remplacement par de nouvelles. Le discours ne mesure néanmoins pas l'ampleur de ce changement qui ne sera pas, dans le domaine du paysage, cantonné au seul domaine des activités.

L'interview qui suit présente un ancien mineur très bien habillé et s'exprimant clairement, contrastant en cela avec des reportages plus anciens présentant des mineurs quelque peu caricaturaux. L'interviewé insiste sur les difficultés de la conversion professionnelle et son discours révèle aussi l'attachement identitaire de la population à son territoire et à son paysage, contrastant là-aussi avec des reportages plus anciens qui ne mesuraient et ne comprenaient pas cet attachement, alors souvent résumé à une volonté de continuer à bénéficier des avantages paternalistes offerts par la condition de mineur.

Les dernières images présentent un quartier de corons situé à Billy-Montigny, construit par la Compagnie des mines de Courrières : maisons alignées le long de rues parfois non goudronnées, entourées d'appendices assez anarchiques et de jardins. La présence d'enfants jouant au ballon permet au commentateur d'évoquer la fin de la filiation des mineurs, le fils descendant, comme le père et le grand-père, au fond de la mine. Le futur de ces enfants apparaît certes comme incertain hors du cocon paternaliste du système minier désormais brisé, mais il est riche de multiples possibilités. En effet, plus encore que la simple fin d'une activité économique et d'une société, évoquée tout au long du reportage, la fermeture des mines signifie la fin de tout un système spatial, bouleversement majeur dont le paysage est le témoin.

Simon Edelblutte

Transcription

(Bruit)
Journaliste
En fait, c’est toute la tragédie de la fin d’une société que vivent aujourd’hui les hommes du Pays noir. La concurrence du pétrole et du gaz naturel, l’épuisement des veines, le poids toujours croissant des retraites et des charges salariales, rendent économiquement impossible la continuation de l’exploitation minière. L’un après l’autre, les puits sont fermés, les effectifs ont diminué de plus de la moitié par rapport à l’avant-guerre. Dans 10 ans, l’extraction sera définitivement arrêtée dans toute la partie occidentale du bassin. Le paysage lui-même va se modifier. Sur l’emplacement des vielles fosses et de leurs chevalements, des usines nouvelles doivent surgir. Mais seront-elles implantées en nombre suffisant pour éviter à la population les drames du déracinement, la rupture des liens familiaux, l’abandon des lieux où se rattachent les souvenirs de toute une vie ? Et vous personnellement, comment est-ce que vous envisagez votre avenir ?
Intervenant
Moi, mon avenir, disons que personnellement, je n’ai peut-être pas encore envisagé de quitter mon métier de mineur, parce que je n’ai pas encore trouvé, si vous voulez, le principe de reconversion qui pourrait me convenir, qui pourrait surtout convenir à ma condition de famille. Mais je crois que pas mal de mes camarades sont dans le même cas.
Journaliste
C’est à cause des avantages matériels ou bien, c’est à cause, finalement, d’une sorte de fidélité sentimentale aux lieux…
Intervenant
Oui, surtout la fidélité sentimentale aux lieux, c’est vrai, puisqu'un mineur, je vous assure que il ne va pas, disons, partir ailleurs comme ça, il est quand même fidèle à son petit coin, à sa cité, à la région. Il est quand même implanté là depuis des années et des années, il y eu le père, le grand-père, l’arrière-grand-père, enfin, il y a eu toute une génération de mineurs qui sont restés dans cette région, on ne la quitte pas si facilement !
(Bruit)
Journaliste
Ces enfants qui jouent dans les rues des vieux corons sont eux aussi fils de mineurs, petits-fils de mineurs. Et pour eux, une certitude, ils ne seront plus mineurs à leur tour, le fil des générations est aujourd’hui rompu. Ces enfants, quel destin l’avenir leur réserve-t-il ?
(Bruit)