Spectacles et festivités à l'occasion de la Sainte-Barbe
Notice
Les services centraux des Houillères de Douai, ont organisé une matinée à l'occasion de la fête de la Sainte-Barbe. Après les discours, un spectacle de variétés fut présenté. Au programme l'illusionniste Michel Seldow, Jacques Bodouin, l'orchestre burlesque des Morgan's et Marjane. Le bal annuel termina cette matinée. Au cinéma Rex à Râches, un gala fut organisé le 5 décembre sous le signe de la danse, de l'opéra et du music-hall avec des vedettes des salles parisiennes. Un French cancan a terminé le spectacle.
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Éclairage
La fête religieuse de la Sainte-Barbe a été accompagnée dans les mines du nord de la France par différentes manifestations profanes. A la fin de la quinzaine de longue coupe, les ouvriers parfois accompagnés des porions se réunissaient au fond , consommaient de l'alcool-le reste du temps interdit- avant de remonter récupérer le 3 décembre leur paye. De leur côté, les compagnies minières organisaient des banquets avec leur encadrement. La corporation rendait hommage aux anciens, aux disparus, on envoyait de cartes de "Bonne Sainte Barbe" et de retour dans son foyer, le mineur était fêté par et ses enfants avec de petits cadeaux et un bon repas. Des défilés, concerts des harmonies et fanfares sillonnaient les cités où tard le soir régnait une ambiance festive. Après les célébrations du matin dont la messe "obligatoire", les syndicats organisaient une "Sainte Barbe syndicale" avec en particulier des réunions dans les estaminets. Les conditions de la quinzaine précédent la fête (qui est restée chômée et non payée les 4 et 5 décembre pendant plusieurs décennies), avec les "longues coupes" qui pouvaient amener les ouvriers à travailler jusqu'à 14 heures au fond, étaient particulièrement dénoncées alors que les syndicats essayaient d'obtenir une limitation de la durée de journée de travail (les 8H seront acquises en 1913 et votées en 1927).
La situation est tout autre au lendemain de la Libération, car au-delà des croyances religieuses, cette fête est alors l'occasion de souder la communauté des travailleurs de la mine, les nouveaux "héros" de la Bataille du charbon. Depuis 1946, la Sainte-Barbe est un jour chômé et payé. Jusqu'aux fermetures des derniers puits quarante ans plus tard, voir même au delà, sa célébration le 4 décembre prend diverses formes et se déroule en plusieurs étapes successives.
La messe n'est plus "obligatoire", même si les Houillères nationalisées ont pris le relais des compagnies auprès de l'Église qui continue à être logée et financée. La direction, des ingénieurs et parfois une personnalité venant de l'extérieur, un représentant de l'église catholique, ainsi que quelques mineurs triés avec soin, peuvent être mobilisés pour assister au fond à la bénédiction de la statue de Sainte-Barbe.
A la suite des compagnies, les Houillères, organisent des remises de médailles pour "fidélité et bons états de service". Ces cérémonies ne sont que le reflet d'un consensus et d'une entente sociale de façade. Le clivage entre ouvriers, porions et cadres reste en réalité très présent dans les festivités organisées par les Houillères, comme ici le 1er décembre 1960 à l'hôtel de ville de Douai, où la direction, organise pour l'encadrement des services centraux de Douai et leur famille un banquet et un spectacle. Les vedettes sont connues à l'époque, même si deux d'entre elles (l'illusionniste Michel Seldow et Léo Marjane, née à Boulogne-sur-Mer en 1912) prolongent ainsi une carrière terminée à Paris. Jacques Bodouin est lui, au début de sa carrière. La fête se termine par une "sauterie" ou bal, animé par un orchestre qui laisse une impression de modernité.
Une autre fête payée par la direction au cinéma Rex de Râches se déroule le 5 décembre. Elle est moins luxueuse et accueille peut être une catégorie différente de personnel, un spectacle plus populaire avec du French cancan destiné aux aînés et aux enfants. Pour la direction, l'opération est à double ressort. Il s'agit à la fois de récompenser l'ensemble des salariés et les mineurs pour leur travail, d'affirmer la solidarité de la direction avec la corporation au-delà des différences de revenus et de fonction, et de gommer pendant la durée des festivités la distinction entre les actifs et les retraités et surtout la pesante hiérarchie de la mine, les ingénieurs, les porions et les mineurs.
Certes, la Sainte-Barbe est ainsi l'occasion d'offrir des distractions et de récompenser d'un dur labeur, mais c'est surtout l'occasion privilégiée pour les Compagnies puis les Houillères "d'exercer leur paternalisme en mettant en œuvre des rites d'attachement des mineurs à l'entreprise" (1). Dans les années 1960 ces fêtes n'atténuent pas les tensions très vives entraînées par les effets du plan Jeanneney condamnant à terme la fermeture des puits et ressemblent à toutes celles que peuvent organiser les directions de grandes entreprises pour acheter la paix sociale.
Restent les expressions laïques, festives et familiales de la Sainte-Barbe. Dans les villes et les cités des défilés, concerts, rencontres sportives sont organisés à l'occasion. La fête familiale entre amis, hors du cadre officiel et bien sûr en l'absence de la de représentants de la hiérarchie perpétuent la tradition des cadeaux et des repas festifs. Dans les communautés comme les familles polonaises, c'est une occasion pour de s'inviter et de partager des plats traditionnels. Ces courts instant où le mineur est célébré par les siens et qui lui font oublier cet Enfer-les-Mines chanté par Aragon.
(1) Catherine Carpentier-Bogaert, Sainte Barbe : légende et traditions, collection Mémoire de Gaillette, Centre historique minier de Lewarde, 1997.