Les Houillères et l'Église

07 mars 1972
02m 46s
Réf. 00136

Notice

Résumé :

Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, les églises ont été dressées par les Compagnies minières à l'ombre des chevalements. Ainsi le paysage minier est le reflet de la vie du mineur, de l'école jusqu'à la mort. Dans une église, on trouve encore une fresque datant des Compagnies, prônant la résignation. A cette époque les prêtres étaient invités à la table des patrons comme en témoigne l'abbé Van Hove : l'Église était entretenue par les Houillères, les prêtres étaient payés par les Houillères tout comme le personnel attaché dont un chauffeur. Les relations avec les patrons étaient très amicales. Parfois le prêtre faisait l'intermédiaire entre le mineur et les Houillères, les aidant à avoir une maison, par exemple.

Type de média :
Date de diffusion :
07 mars 1972
Source :
ORTF (Collection: UNE PREMIERE )

Éclairage

Pour les exploitants du sous-sol, la présence de l'Église complète le paternalisme. En 1867, dans son célèbre ouvrage sur La Vie souterraine ou les mines et les mineurs, l'ingénieur Louis Simonin les associe clairement : si les employeurs, dit-il, pensent à la santé physique des mineurs, “dans la plupart des cas, ils ont également songé aux soins de l'âme et de l'esprit. Ils ont fait bâtir à leurs frais des églises”. Le documentaire ne s'y trompe pas, qui parle de ces “églises dressées à l'ombre des chevalets”. Il en est ainsi dans les différents bassins, dont “le Pas-de-Calais (où) cinquante-sept édifices religieux, lieux de culte et écoles, ont été érigés par les Houillères” (1).

Le rôle dévolu à la religion va au-delà de la prière. Ainsi, au moins jusqu'aux lois scolaires de 1881-1882, les écoles des pays miniers sont catholiques, sans autre choix. Et en présence d'une profession qui sait les risques pour sa santé, le message de la résignation dont la religion peut se faire le relais, comme l'illustre la fresque peinte dans l'église présentée ici, n'est pas à négliger. La foi, au moins apparente, est en outre perçue par les employeurs comme un brevet de respectabilité ou de soumission et “beaucoup de compagnies n'embauchent pas sans certificat de première communion, ni ne donnent de maison sans mariage religieux” (2).

La sollicitude portée aux curés par le patronat des Houillères, exposée avec un fond de gêne par l'abbé Van Hove, n'a donc rien pour surprendre. Manifestement conscient de la fonction qui lui est dévolue, il n'omet certes pas de souligner son rôle d'intermédiaire entre les mineurs et leur hiérarchie, en précisant aussi que les ouvriers ont “quand même un peu de foi”.

Pour autant, le processus de déchristianisation s'est révélé précoce dans les grandes régions industrielles comme le Nord-Pas-de-Calais. Il débute dans la seconde moitié des années 1870, alors que la République tend à s'affirmer, puis il va crescendo à mesure que s'enracine le mouvement ouvrier. Bref, avant la Première Guerre mondiale, la laïcisation du monde du sous-sol est bien entamée. Par la suite, l'image grandissante d'une Église au service de l'exploitation des hommes ne manque pas d'être activée par les rivaux du syndicalisme chrétien et des militants de la CFTC, née en 1919. Cela même si des figures comme le cardinal Liénart, évêque de Lille, se montrent parfois au milieu des mineurs.

La décrue religieuse ne se fait cependant pas partout ni pour tous à un rythme identique. Elle est plus lente là où le système paternaliste présente le plus d'efficacité, comme aux compagnies de Béthune ou de Noeux. D'autre part, les étrangers forment un public plus longtemps réceptif : ils “restent souvent attachés à une religion qui leur rappelle les traditions de leur pays d'origine” (2), tels les Polonais de l'entre-deux-guerres.

La nationalisation de 1946 rompt le lien privé entre l'Église et les Houillères, dans une société des Trente Glorieuses hautement sécularisée. Pour autant, jusqu'au bout, des prêtres des bassins, voire la hiérarchie catholique régionale sont présents dans les moments difficiles ou tragiques traversés par les "gueules noires". Au début des années 1970, l'évêque d'Arras, Monseigneur Huyghe, revendique son soutien à ceux touchés par la récession. Le 31 décembre 1974, après la catastrophe de Liévin, il assiste à l'enterrement des victimes et fait lire un message dans les églises du diocèse : "Ce drame nous rappelle que l'énergie ne s'achète pas d'abord avec de l'or, mais avec la peine des ouvriers, leur santé et même, hélas, leur vie".

(1) Diana Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Perrin, 2002, p. 45.

(2) Joël Michel, La mine dévoreuse d'hommes, Paris, Gallimard, 1993, p. 53.

(3) Yves-Marie Hilaire, "Les ouvriers de la région du Nord devant l'Église catholique (XIXe et XXe siècles)", dans Christianisme et monde ouvrier, Paris, Éditions ouvrières, 1975, p. 229.

Stéphane Sirot

Transcription

Journaliste
Ces églises ont été dressées à l’ombre des chevalets comme si les sociétés minières avaient voulu programmer par ce paysage l’itinéraire d’une vie de mineur, de l’école jusqu’à la mort. Mais aujourd’hui, la mine ferme, les corons se vident, l’église aussi. La dernière mine fermera ses portes en 1983, les familles s'en iront, une raison de plus pour les évêchés pour ne pas acheter l’ensemble des églises. Dans une église des Houillères, une fresque peinte avant la nationalisation ; époque où l’église prêchait la résignation, ou pour soutenir les mineurs, on leur offrait la vue de Sainte-Thérése distribuant des pétales de rose. Epoque où les prêtres déjeunaient à la table des patrons. L’abbé Van Hove venait d’être ordonné prêtre.
Abbé Van Hove
Nous étions payés directement par les mines, remarquez que ce n’était pas à nous qu’on faisait le cadeau, c’était plutôt à l’évêché ; puisque l’évêché ne nous veillait pas. On avait le logement gratuit, on avait le bois, le charbon. On avait même des employés de l’église qui étaient payés par les Houillères comme un chantre, un sacristain, un organiste et même un chauffeur à l’église.
Journaliste
Vous aviez un chauffeur ?
Abbé Van Hove
Oui, il était payé par les Houillères.
Journaliste
Finalement, vous aviez les mêmes avantages que, disons, un ingénieur des Houillères ?
Abbé Van Hove
Pas autant quand même. Eux, ils avaient en plus encore un jardinier.
Journaliste
L’église est entretenue par les Houillères.
Abbé Van Hove
Oui, sauf pour certaines choses. Par exemple, si on avait besoin d’ornement, on faisait un bon ; même un balai, on faisait un bon. Mais quand il est question de vin pour la messe, de bougies, d’osties, il fallait se débrouiller de soi-même.
Journaliste
Et quelles étaient vos relations avec les patrons des Houillères ?
Abbé Van Hove
Mon dieu, elles étaient très amicales. On était considéré, bien sûr.
Journaliste
Vous faisiez aussi le lien entre les mineurs et les patrons des Houillères ?
Abbé Van Hove
Oui, souvent, quand ils avaient une faveur à demander. Etant donné notre situation, on allait souvent trouver le curé pour lui demander d’insister et de donner un coup de pouce ; pour obtenir telle ou telle chose, ne serait-ce qu’une maison quelquefois. Quand on apercevait quelqu’un qui n’avait pas l’habitude de venir régulièrement, on se disait : tiens, il vient à la messe, c’est pour demander quelque chose. Et en effet, ça ne manquait pas. Mais vous savez, ils avaient quand même un peu de foi ; parce que pour venir à l’église et puis rester là simplement pour se montrer, je crois qu’au fond, il priait malgré tout. Il y avait peut-être une arrière-pensée.
Journaliste
Aux yeux des ouvriers, vous faisiez quand même partie, disons, des notabilités.
Abbé Van Hove
Oui, il faut l’avouer. Nous en sommes maintenant libérés, c’est le cas de le dire.