Un des derniers chevaux de la mine

14 avril 1955
01m 45s
Réf. 00377

Notice

Résumé :

Pour la première fois, un direct est réalisé par la télévision au fond d'une mine, la fosse 12 du Groupe de Lens à Loos-en-Gohelle. Au fond, Pierre Tchernia en tenue de mineur et un responsable de la mine descendent dans un beurtia, ils rencontrent le conducteur d'un des derniers chevaux de la mine utilisé pour tracter les berlines.

Type de média :
Date de diffusion :
14 avril 1955
Source :
RTF (Collection: Visite à )
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans l'imagerie d'Epinal sur la mine, deux catégories sont vouées au transport du charbon au fond : de malheureux enfants qui poussent de lourds wagonnets ( les herscheurs), ou de braves chevaux qui viennent les remplacer. La présence de chevaux au fond de la mine est un de ces éléments propres à exploiter le pittoresque des lieux, d'autant que, l'extrait du direct Une mine de charbon : fosse 12 des Houillères de Lens ici proposé datant de 1955, elle n'est alors qu'une survivance dans des puits modernes comme ceux du Groupe de Lens. Si le cheval y a encore sa place, mentionne le chef-porion sans l'expliciter, c'est au pied d'un beurtia, c'est-à-dire d'un puits secondaire entre deux étages, servant à l'aérage ou ici à l'extraction, pour évacuer des produits vers l'accrochage principal. Pour un bref temps encore, ce cheval tête de mule, traîne donc la charge – et seulement la charge, nous dit-on – qu'il estime être son dû et qui, sur un terrain peut-être accidenté, fait quand même près de quatre tonnes. Non, il n'est pas aveugle. Non, il n'est pas prisonnier à vie de la mine : il remonte, suivant les fosses, plus ou moins régulièrement "au vert". Chanceux cheval que celui de la fosse 12 qui remonte tous les soirs : en réalité, la descente d'un cheval de mine fut longtemps une opérations des plus malaisées, outre qu'elle traumatisait l'animal, ficelé dans une position verticale ; ce n'est que dans les années 1930 que des ascenseurs permirent de descendre les chevaux de façon plus normale. De toute façon, alors que les hommes étaient impatients d'entrer dans les cages, on n'aurait pas prolongé le temps de la remonte pour des chevaux. Ils avaient leurs écuries au fond.

Au détour de cette vignette un peu anachronique, on a cependant un petit aperçu du milieu de travail. D'abord, inquiet des conditions techniques de son reportage (il s'agit pour la première fois d'un direct de la télévision au fond de la mine), Pierre Tchernia remarque, avec surprise, combien la mine est un milieu bruyant, bruit des ventilateurs, des machines, de l'eau, cliquetis des wagons, ordres criés par-dessus le tintamarre. Ensuite, on entrevoit ici que, dans ce monde souterrain, la fosse, axe essentiel de la vie de la mine, dans laquelle on fait plonger littéralement le spectateur, est la porte d'entrée d'un monde bien plus vaste : la cage s'arrête à des étages, d'autant plus nombreux que le puits est ancien et profond ; en partent des galeries qui constituent non pas un labyrinthe, mais un univers qui peut s'étendre sur des kilomètres, et va en se ramifiant, depuis les galeries principales, vastes tunnels étayés de façon permanente et bien éclairés, comme celle que l'on distingue ici jusqu'au voies de plus en plus étroites qui mènent aux chantiers, réseau de rails avec leurs locomotives pour transporter les ouvriers, et bien sûr les wagons chargés de produits jusqu'à l'accrochage de chaque étage, ou de remblai vers les tailles. Sur ce vaste réseau, transporter les mineurs jusqu'au front de taille peut prendre une demi-heure. La sortie des produits est une difficulté permanente. Avant que l'électricité ne se généralise au début du siècle, le rôle du cheval est essentiel – et plus souvent sans doute que le grand cheval de trait du nord de la France que l'on aperçoit dans ce reportage, le poney de mine, plus bas au garrot et qui peut pénétrer dans des voies plus basses, notamment le shetland, qu'on trouve encore dans des puits plus traditionnels en Grande-Bretagne presque jusqu'à la fin de l'exploitation.

Joël Michel

Transcription

(Bruit)
Pierre Techernia
A la tête de ce train de berline, un cheval, un des derniers chevaux de la mine, ça.
Intervenant 1
Oui, c’est un des derniers du siège 12, il y en a encore trois. Ce cheval va disparaître dès que le pied du beurtia sera entièrement mécanisé comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure.
Pierre Techernia
Mais bien sûr, comme tous les chevaux qui existent au fond de la mine, il est aveugle lui.
Intervenant 1
Non pas du tout, au contraire, c’est un cheval qui voit très clair. Cette légende des chevaux aveugles date de Zola et est absolument périmée, il n’a d’ailleurs jamais existé.
Pierre Techernia
Est-ce qu’on pourrait dire quelques mots au conducteur ?
Intervenant 1
Eh, Clément, si vous voulez venir !
Pierre Techernia
Bonsoir, Monsieur, nous sommes ravis de rencontrer ce cheval au fond de la mine, comment s’appelle-t-il ?
Intervenant 2
Il s’appelle [Farvet].
Pierre Techernia
Et c’est un bon cheval.
Intervenant 2
Ah très bon, oui.
Pierre Techernia
Mais il remonte malheureusement à l’air libre une fois ou deux par an, je crois.
Intervenant 2
Non, c’est-à-dire je descends avec, je remonte avec avant d’avoir fini.
Pierre Techernia
Tous les soirs ?
Intervenant 2
Tous les soirs, il remonte à l’air libre.
Pierre Techernia
Alors, toutes le nuits, les chevaux de mine dorment tranquillement dans une écurie.
Intervenant 2
Dans une écurie.
Pierre Techernia
Tant mieux, nous en somme ravis, je crois qu’il est malin aussi ce cheval.
Intervenant 2
Il est très malin.
Pierre Techernia
Il tire combien de berlines à la fois ?
Intervenant 2
Il en tire 12.
Pierre Techernia
Et si vous en mettez 13 ?
Intervenant 2
Ah, il ne tirera pas.
Pierre Techernia
Je crois aussi qu’il aime les friandises ?
Intervenant 2
Oui, il aime les friandises, par exemple comme des bonbons, vous voyez.
Pierre Techernia
C’est un cheval gourmand [Farvet]. Je vous signale qu’il aime beaucoup les bonbons, si vous voulez lui en envoyer, vous lui ferez plaisir. Il habite au siège 12 de Lens, Pas-de-Calais.
Intervenant 2
Allons-y maintenant !
Pierre Techernia
Dites-moi, on entend beaucoup de bruits dans cette galerie, qu’est-ce que c’est ?
Intervenant 1
Oui, c’est un ventilateur électrique qui sert à aérer les chantiers, les bowettes en cours de creusement.