Visages du syndicalisme
Introduction
Le monde de la mine a longtemps occupé une place centrale au sein du monde et du mouvement ouvriers. La dureté du métier et les catastrophes qui l'émaillent, les grèves massives et la détermination des « gueules noires » impressionnent. Les puissantes organisations dont ils se dotent sont incarnées par des militants qui marquent de leur empreinte l'histoire du bassin du Nord-Pas-de-Calais et, plus largement, celle du syndicalisme français. La CGT, dominante dans la profession, en rassemble un grand nombre. Mais d'autres organisations, telle la CFTC, font également éclore des personnalités de premier plan.
Députés-mineurs et syndicalistes révolutionnaires
A partir du début des années 1880, les mineurs s'organisent et disposent d'organisations en nombre croissant, d'abord dans le Pas-de-Calais, où est née en septembre 1882, à Lens, la première Chambre syndicale. Alors que se structure le syndicalisme, parfois à la faveur des grèves, des figures militantes s'affirment. Certaines entament une longue carrière, tels Arthur Lamendin et Emile Basly, par ailleurs entrés en socialisme par le Parti ouvrier français de Jules Guesde. D'autres, à la carrière plus éphémère, tel Benoît Broutchoux, laissent cependant une trace profonde.
La vie politique et syndicale après la catastrophe de Courrières
Évocation de la vie politique et syndicale après la catastrophe de Courrières en mars 1906 sur des illustrations de photographies et de gravures de l'époque. Un ancien mineur évoque la grève de six semaines qu'a fait son père suite à cette catastrophe. Un autre parle de Benoît Broutchoux qu'il avait vu à une réunion à Aniche et des femmes qui manifestaient.
En octobre 1883, Basly fait partie des précurseurs qui, réunis à Saint-Etienne, fondent une Fédération nationale des Chambres syndicales des Mineurs de France. Pour sa part, Lamendin s'impose comme le secrétaire général du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, fondé à la fin de l'année 1884.
En ce tournant des XIXe-XXe siècles, le mouvement ouvrier est traversé par une ligne de fracture qui agite son histoire : réforme ou révolution ? La CGT née en 1895 opte pour un syndicalisme d'action directe qui fait du « grand soir » et de la grève générale à vertu révolutionnaire la pierre angulaire de sa démarche, tout en proclamant son autonomie vis-à-vis des partis et des institutions républicaines. A contre-courant, Basly et Lamendin cristallisent dans le Nord-Pas-de-Calais un syndicalisme qui, sans rejeter l'usage de la grève, lui préfère la négociation, l'action parlementaire et la force de la loi pour obtenir de la condition ouvrière. Ils multiplient les mandats et installent la tradition du « député-mineur », à la fois responsable syndical et élu de la République.
Emile Basly, une première fois député de 1884 à 1889, retrouve le Parlement en février 1891 à la faveur d'une élection partielle dans la circonscription de Béthune-Lens-Carvin. Réélu jusqu'à sa mort en 1928, il devient aussi maire de Lens en mai 1900 et conseiller général l'année suivante.
Arthur Lamendin remporte ses premières législatives le 6 mars 1892 dans la 2e circonscription de Béthune et siège jusqu'à son retrait en 1919, pour raisons de santé. Premier maire socialiste de la ville de 1905 à 1912, il est en outre conseiller général à partir de 1907.
Ces députés-mineurs portent à la Chambre, au côté de Jaurès, l'élu des « gueules noires » de Carmaux, les revendications ouvrières. Ce réformisme syndical et politique a ses adversaires dans le bassin minier. Face au « Vieux syndicat » de Basly et Lamendin se dresse en effet un « Jeune Syndicat » fondé en 1902. Broutchoux, venu de Montceau-les-Mines pour travailler dans le Pas-de-Calais, le convertit aux idées syndicalistes révolutionnaires prônées par la CGT.
Réédition de la bande dessinée sur Benoît Broutchoux mineur anarcho-syndicaliste
La bande dessinée de Phil Casoar qui raconte le parcours et la vie de Benoît Broutchoux a été rééditée. Cet anarcho-syndicaliste a conduit la grève dans les mines après la catastrophe de "Courrières" en 1906. Interviews de Jean-Luc Hapiot, membre du Centre culturel libertaire à l'origine de la réédition et de Stéphane Callens, coauteur avec Phil Casoar, qui a effectué les recherches historiques.
A la faveur de la longue grève qui, après la catastrophe de Courrières en 1906, mobilise le bassin minier, Broutchoux et son organisation, très actifs pendant le conflit, gagnent brièvement en audience auprès des « gueules noires ».
Pour autant, et même si la Fédération des mineurs rejoint finalement en 1908 une CGT qui commence à douter d'elle-même, il n'en reste pas moins que le syndicalisme des mineurs du Nord-Pas-de-Calais garde ses spécificités. L'imprégnation du modèle du député-mineur laisse un héritage d'autant plus profond que la profession a obtenu par la loi d'importants progrès. C'est sans doute l'une des principales raisons pour lesquelles après la scission de 1921, la CGTU proche du PCF né à Tours en 1920 demeure minoritaire, face à une CGT maintenue qui campe sur des positions réformistes et pragmatiques.
Les syndicalistes communistes de la CGT : des générations de dirigeants d'envergure nationale
La lutte contre le fascisme et la montée en puissance des ligues d'extrême droite imposent en février 1936 la réunification des Fédérations CGT et CGTU des mineurs. La vague de grèves du Front populaire, d'une ampleur circonscrite chez les « gueules noires », renforce la tendance syndicale proche du PCF. La Fédération du Sous-Sol, fidèle à sa réputation, conserve cependant une majorité d'orientation modérée. Mais la guerre et la Résistance font basculer ces équilibres, tout particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais. Les syndicalistes communistes sont actifs dans la lutte contre l'occupant allemand : ils mènent ainsi, au péril de leur vie, la grève dite « patriotique » de mai-juin 1941. Face au syndicalisme légal promu par les autorités de Vichy, des directions illégales et clandestines se mettent en place à partir de 1943 dans le bassin minier, animées par des militants connus pour leur appartenance au PCF.
A la Libération, la bureau provisoire de la Fédération du sous-sol est dirigé par un mineur communiste du Gard, Victorin Duguet. A ses côtés, comme secrétaire adjoint et président du syndicat CGT des mineurs du Nord, Henri Martel, né à Bruay-sur-Escaut. Cet ancien des mines de Dourges, élu député communiste du Nord au moment du Front populaire, accède au milieu des années 1950 au secrétariat général de sa Fédération.
A la même époque, les mineurs du Nord-pas-de-Calais comptent une autre personnalité de premier plan, Léon Delfosse, qui s'est lui aussi illustré dans la résistance. Meneur des grèves dures de 1947-1948, puis membre du Comité central du PCF, il dirige la Fédération du sous-sol dans les années 1960.
Décès de Léon Delfosse
Rétrospective à base d'archives suite au décès de Léon Delfosse, président d'honneur CGT et secrétaire général. Administrateur des Houillères en 1960, il a marqué l'histoire des mineurs. Évocation de ses réalisations sociales (dont le château de La Napoule, lieu de vacances des mineurs du Nord-Pas-de-Calais). Il a été le premier maire de Libercourt et membre du comité central du PCF.
Si ces visages s'imposent durablement à la tête du syndicalisme des « gueules noires », tant au plan national que local, puis conservent une position très majoritaire, y compris après la nouvelle scission de la CGT en 1947, qui conduit à la création de la CGT-FO, ils le doivent certes aux événements, mais sans doute aussi à leur pratique militante. En effet, il n'est pas illégitime de considérer qu'ils reprennent pour une part, à leur façon, l'héritage de la tradition du député-mineur. S'ils adhèrent à un parti qui promeut un changement radical de société et dirigent des grèves sans concessions, ils n'oublient pas l'apport des réformes partielles. Ils sont à l'origine de la nationalisation, du statut du mineur et, au lendemain de leur naissance, ne rechignent pas à s'impliquer dans la gestion des Houillères et de leurs œuvres sociales.
L'emprise du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais sur le syndicalisme des « gueules noires » ne se dément pas par la suite. Ainsi en 1968 Delfosse transmet-il à Achille Blondeau le secrétariat général de la Fédération du sous-sol. La filiation est nette : ce mineur communiste natif d'Auby s'est illustré dès son plus jeune âge dans la résistance et dans les grandes grèves de la profession, notamment celle de 1963. Il reste le premier dirigeant de son organisation jusqu'en 1980, faisant face à des épisodes tragiques, telle la catastrophe de Liévin en 1974.
Annonce d'un arrêt de travail par la CGT, suite à la catastrophe de Liévin
A la suite de la catastrophe minière de Liévin, Achille Blondeau, secrétaire général de la fédération CGT du sous-sol annonce un arrêt de travail en hommage aux victimes. Il souhaite la prise de mesures pour que les conditions d'hygiène et de sécurité soient respectées.
Né un an avant lui, avec un parcours proche mais des activités davantage enracinées dans le Nord-pas-de-Calais, Marcel Barrois s'impose également comme l'un des dirigeants les plus influents du bassin. Membre durant plusieurs décennies de la Fédération communiste du Pas-de-Calais, il est des années 1960 aux années 1980 la figure de proue des mineurs CGT de la région, tout en participant à la direction nationale de sa Fédération.
Clôture du congrès du syndicat des mineurs CGT à Harnes
Henri Krasucki est venu clôturer le congrès du syndicat des mineurs CGT à Harnes ; il a fait l'éloge de Marcel Barrois qui passe la main à Frederico Mario. Celui-ci rappelle que Marcel Barrois a été un des premiers à conduire les luttes dans les Houillères.
Ces générations de syndicalistes vivent une situation paradoxale et somme toute compliquée : à la tête d'une profession qui obtient dans l'après-guerre un statut enviable et devient l'archétype de la figure ouvrière, ils doivent ensuite résister au déclin industriel qui s'amorce au tournant des décennies 1950-1960.
Militants chrétiens en « pays noir »
A côté d'une CGT à la volonté hégémonique, les autres syndicalismes ont du mal à rivaliser. Toutefois, la CFTC parvient à faire émerger quelques visages qui impriment leur marque sur le militantisme de la mine.
Fondée en 1919, cette confédération s'implante à partir de 1923 parmi les mineurs catholiques de l'est de la France et du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Ce dernier lui fournit un vivier de dirigeants d'envergure régionale et nationale. Le premier d'entre eux est Joseph Sauty. Mineur de fond né en 1906 et mort de la silicose en 1970, il préside le Syndicat des mineurs CFTC du Pas-de-Calais, puis la Fédération nationale et, enfin, la confédération de 1964 à son décès. C'est la grève du sous-sol qui secoue le pays en 1963 qui lui confère une aura renforcée. Durant ce conflit, au cours duquel il s'oppose à l'ordre de réquisition du pouvoir gaulliste, il participe à des meetings communs avec la CGT de Delfosse et des leaders de FO, tel le délégué mineur Philippe Menu.
Meeting à Lens lors de la grève des mineurs
Après un mois de grève, l'intersyndicale des mineurs a réuni près de 70 000 manifestants à Lens, délégués syndicaux et parlementaires en tête. Des délégations d'autres bassins miniers, d'ouvriers et d'étudiants, étaient présentes. Philippe (Émile) Menu, délégué syndical Force Ouvrière, a dénoncé le gouvernement. Léon Delfosse pour la CGT a indiqué qu'il était prêt à aller avec les autres syndicats à une table ronde. Joseph Sauty pour la CFTC a abondé dans le même sens.
Sauty et d'autres dirigeants de sa fédération, tel le lensois Louis Delaby, accompagnent l'ascension militante d'une autre génération qui assure la transition. Louis Bergamini en est un excellent exemple. Ce mineur de Billy-Montigny, ancien de la Jeunesse ouvrière chrétienne, conjugue les responsabilités locales et nationales, devenant même vice-président confédéral de la CFTC.
Tout au long de leur parcours, ces militants chrétiens doivent faire face à une méfiance, voire à une hostilité non dissimulée de la CGT, qui perçoit volontiers en eux des « briseurs de grève » trop proches de l'Eglise et prompts à la conciliation avec l'employeur. Leur organisation, constamment minoritaire, s'affaiblit encore un peu avec la scission de 1964 qui conduit à la naissance de la CFDT. Mais cette dernière, éclose alors que la profession est sur le chemin du déclin, ne parvient guère à percer chez les « gueules noires » du Nord-Pas-de-Calais.
Conclusion
De la fin des années 1960 aux années 1980, la récession et la reconversion s'installent comme préoccupations majeures des syndicalistes de la mine. Dès lors, ils mènent davantage d'actions dans l'unité. Cela même s'ils manifestent des divergences de sensibilité sur la manière d'accompagner ou, au contraire, de faire valoir des alternatives à l'extinction de l'exploitation du charbon, comme le montrent les prises de position de Marcel Barrois et de Joseph Sauty, ou encore celles du responsable FO Marcel Muller et de Jean Pruvost, membre du Bureau de la Fédération CFDT des mineurs.
L'avis des leaders syndicaux sur la reconversion
Les principaux leaders syndicaux des mineurs donnent leurs avis sur la reconversion dans les mines. Marcel Barrois, CGT, remet en cause la thèse de la non rentabilité de l'exploitation dans le Nord-Pas-de-Calais et plaide pour le maintien de l'activité. Jean Pruvost pour CFDT est prêt à jouer la carte de la reconversion à condition d'avoir des garanties. Joseph Sauty pour la CFTC estime que la reconversion ne concerne que les plus jeunes qui ont bénéficié d'une scolarité. Pour FO l'emploi doit précéder la récession.
La fin du charbon signe aussi celle de générations de visages du syndicalisme qui, les unes après les autres et à leur manière, se sont employées à accompagner et à écrire l'histoire agitée d'une profession phare de l'industrialisation.
Bibliographie
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MAITRON (Jean) (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Editions ouvrières, 3e et 4e périodes, 1973-1993.
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PENNETIER (Claude) (dir.), Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social. De 1940 à mai 1968, Paris, Editions de l'Atelier, 2006-2012.