Brides les Bains
Notice
Affiche de Léon Bénigni issue du fonds iconographique du Musée dauphinois
- Europe > France > Rhône-Alpes > Savoie > Brides-les-Bains
Éclairage
Au cœur de la Tarentaise, en Savoie, Brides-les-Bains (546 habitants en 2011) fait aujourd'hui partie des dix-sept stations thermales françaises agréées dans les orientations thérapeutiques du métabolisme, qui traitent en majorité les troubles de l'obésité. Affectée, comme l'ensemble des villes thermales, par une baisse importante de fréquentation depuis les années 1970, Brides, tout en modernisant l'exploitation de ses sources, s'est attachée à diversifier son offre touristique. De nouveaux thermes ont été construits en 1991 auxquels est bientôt associée une structure dédiée à la remise en forme, le Grand spa des Alpes (2005). Récemment popularisée par le film Mince alors ! (2012, réalisé par Charlotte de Turckheim) qui y est tourné, la station entame actuellement d'importants travaux de rénovation et de construction qui à terme, permettront de rapatrier les cures médicales jusqu'alors prodiguées à Salins-les-Thermes, à quelques kilomètres, en vue d'accroître sa fréquentation sur le segment très disputé du traitement du surpoids pour lequel Brides figure au premier rang national (12 390 curistes en 2010, 8 704 à Eugénie-les-Bains (Landes)). D'autre part, sa situation géographique privilégiée, à proximité des grandes stations de sports d'hiver que sont Méribel et Courchevel, lui a permis d'être qualifiée « village olympique » lors des Jeux d'hiver d'Albertville, en 1992, et d'obtenir la construction d'une télécabine la reliant à Méribel puis, de là, au domaine skiable des Trois Vallées : la ville profite ainsi du statut de station de sports d'hiver, permettant l'institution d'une double saisonnalité.
Active et pragmatique, Brides-les-Bains semble aujourd'hui s'être éloignée sans nostalgie de l'image mondaine qu'en donne, à la fin des années 1920, l'affiche PLM Brides-les-Bains, La mer à la montagne, dont un exemplaire est conservé au Musée dauphinois de Grenoble. Ses eaux thermales étaient certes connues des Romains, mais c'est au début du XIXe siècle, lorsque les sources ensablées sont dégagées à la faveur de la débâcle du Doron, rivière affluent de l'Isère dont Brides occupe la rive droite, que s'engage son développement. Un premier établissement thermal de 25 cabines en planches est construit en 1819, puis quelques hôtels puis, en 1840, un Grand Hôtel et son parc, équipement indispensable à la consécration de toute station. La spécialisation qui assurera la réputation de Brides émerge en 1874, à la faveur des soins efficaces qu'y reçoit le Dr Philibert, déçu par Marienbad ; il lui consacre alors une thèse. L'indication spécifique de Brides-les-Bains est désormais le traitement de l'obésité. Une seconde orientation concerne les maladies du foie. Déjà desservie par une liaison routière qui relie Moûtiers à Pralognan puis Val d'Isère, Brides bénéficie grandement de l'arrivée du chemin de fer à Moûtiers en 1893 : les hôtels et le Casino sont réorganisés, six médecins suivent les malades ; en 1895, la station reçoit pendant sa saison, du 1er mai au 1er octobre, 1 400 clients dont de nombreux Anglais : Brides est devenue une villégiature mondaine où l'on accourt de toute l'Europe. Les Années folles ramènent une clientèle pressée de jouir des agréments de la vie, les Français tout d'abord puis, dans la seconde moitié des années 1920, Américains et Allemands en grand nombre, qui côtoient Espagnols, Italiens, Belges, Hollandais et Suisses. Les curistes ne représentent alors qu'à peu près la moitié de la clientèle, de nombreux estivants sont attirés par l'intense vie mondaine de la station où se succèdent fêtes et galas, concours d'élégance automobile et présentations de chiens de luxe. Le Casino a été agrandi en 1924, l'Hôtel des Thermes constitue un complexe réunissant l'un des trois palaces de la station, les thermes, de nombreux magasins de luxe, salons de thé et de coiffure, tous saisonniers ; un parc équipé de courts de tennis longe le Doron, un golf et une roseraie ont été établis.
C'est cette atmosphère mondaine qu'évoque puissamment, au moyen des éléments graphiques épurés caractéristiques de l'affiche Art déco, l'élégant dessin de Léon Bénigni (1892-1948) dont c'est l'œuvre la plus célèbre. La formation de Bénigni nous est inconnue, néanmoins le style de ce dessinateur et illustrateur témoigne de l'émergence d'un art publicitaire spécifique du luxe, de ses objets, de ses lieux et de ses acteurs, issu de l'esthétique propagée par l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Stylisation des formes définies par la couleur plus volontiers que par le trait (ici) ou trait épuré (pour ses croquis de mode), couleurs contrastées dispensées en a-plats (refus du modelé), allongement des silhouettes, nonchalance des postures, tous ces éléments sont mis en œuvre par Bénigni dans les nombreux dessins de mode publiés dans Vogue, L'Officiel, Art-Goût-Beauté, Harper's Bazaar, Die Dame, Elegante Welt et La Donna, tout comme dans ses planches publicitaires pour la haute couture (Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Jacques Fath, Schiaparelli, Hermes), les bijoux Mauboussin, les produits cosmétiques Rouge Baiser, le paquebot L'Atlantique, ou les grands magasins La Samaritaine, Le Bon Marché, La Grande Maison de Blanc, Le Louvre, Le Printemps, etc.
Bénigni, pour ce que l'on en sait, a donné une autre affiche PLM pour la ville de Pau, « ville climatique d'hiver, centre touristique d'été », où il met en œuvre la même gamme chromatique : verts et rouges légèrement rabattus mais saturés, lettrage sobre caractéristique de l'Art déco. L'affiche de Brides se distingue par les deux silhouettes féminines du premier plan, auxquelles les estivantes en puissance peuvent s'identifier. Elles figurent un raccourci efficace des activités proposées par la station : la cure bien sûr, matérialisée par le verre gradué, équipement indispensable de tout curiste, tenu par le personnage vêtu de rouge ; le tennis et le golf, désignés par la raquette et le caddie, qui suffisent à inscrire Brides, alors à son apogée, dans le monde du luxe. L'arrière plan, très soigné, montre une somptueuse automobile, un palace et les parasols de sa terrasse, quelques éléments d'un parc ombragé animés par d'élégantes silhouettes. Les deux personnages féminins, directement issus des gravures de mode de Bénigni, décrivent avec précision les usages vestimentaires du temps : les couvre-chefs et les bas indispensables à toute élégante, y compris en villégiature, les ornements (bijoux, écharpe), le maquillage... Une autre version de l'affiche, datée de 1929 et probablement antérieure si l'on se réfère au trait plus anguleux et au chapeau cloche porté par la silhouette vêtue de rouge, affiche un slogan différent, qui ne met pas en exergue les indications thérapeutiques de la station : « obésité » et « foie », mais « la station de la femme élégante », mince bien sûr, sportive et libérée – moderne en un mot – selon le modèle popularisé par Gabrielle Chanel, slogan destiné à attirer, au-delà des curistes, les amateurs de saisons mondaines.
Signées par les grands dessinateurs de leur temps, au premier rang desquels figure Roger Broders, les affiches PLM sont destinées à informer mais aussi à faire rêver ; elles témoignent parallèlement des logiques commerciales de concurrence entre les stations et les compagnies de chemin de fer, au sein de laquelle la représentation de loisirs sportifs est utilisée pour valoriser les lieux de villégiature. En cela, l'affiche conçue par Léon Bénigni est particulièrement représentative des stratégies publicitaires du PLM, qui a ouvert ses services commerciaux en 1921 : les affiches, proposées par les offices de tourismes locaux, étaient réalisées avec le concours financier et éventuellement technique des compagnies ferroviaires qui les placardaient dans les gares et les compartiments de leurs trains respectifs. Aujourd'hui, elles sont des sources figurées de premier plan pour la connaissance du développement du tourisme et, en ce qui concerne l'affiche de Léon Bénigni, des stratégies de positionnement contemporain de Brides-les-Bains, en ce qu'elle illustre la mémoire d'un passé que la ville a choisi de ne pas patrimonialiser.
Pour aller plus loin :
- Boyer Marc (1955) La vie touristique des Dorons de la Vanoise, son évolution récente (premier article). In : Revue de géographie de Lyon, vol 30, n°2, p103-135.
- Guillain Jean-Yves (2006) Villégiature, loisirs sportifs et chemins de fer : l'image du sport dans les affiches ferroviaires (1919-1939). In : Revue d'histoire des chemins de fer [en ligne]. Disponible sur http://rhcf.revues.org/518.
- Pages d'or de l'édition publicitaire : catalogues illustrés au service des entreprises [exposition, 16 décembre 1987-19 mars 1988], Ville de Paris, Bibliothèque Forney, Paris, Bibliothèque Forney, 1987, 293 p.