Stations de sports d'hiver dans les Alpes : itinéraire d'un parcours mouvementé
Introduction
Prenant le pas sur un tourisme estival essentiellement dédié à la contemplation de la montagne, l'aménagement des stations change radicalement la conception du tourisme montagnard. L'hiver devient la saison touristique de prédilection, la neige un or blanc qu'il convient de valoriser. Pour ce faire, des stations de sports d'hiver sont créées sur l'ensemble des massifs à compter du début du XXe siècle. Obéissant à différents modèles de développement, les stations de ski sont d'abord une adaptation de certaines bourgades à cette nouvelle activité, lesquelles développent autour des villages les installations nécessaires à la pratique du ski. Dans d'autres situations, les stations sont dès le départ des constructions ex nihilo implantées à proximité des chalets d'alpage. A compter des années 1970, l'essentiel du développement s'organise ainsi autour de deux concepts : la station-village et la station intégrée conçue sur un modèle industriel pour attirer des capitaux.
Dans ce schéma d'aménagement de la montagne, deux phases se succèdent : la première, la phase de création, couvre approximativement la période des années 1930 à 1990. Les remontées mécaniques équipent peu à peu la montagne et des stations émergent. Fortement idéalisés, les sports d'hiver sont encensés et reconnus comme solution aux différentes difficultés que rencontre à cette époque la montagne (exode rural, défaut d'équipement...). Les années 1990 viennent marquer le terme de cette phase de croissance : des revendications des acteurs locaux aspirant à participer désormais aux réflexions relatives à l'aménagement touristique, mais aussi la survenance de diverses évolutions (climat ou clientèle) questionnent alors la pérennité du modèle économique focalisé autour de la neige.
Construction des stations : l'euphorie d'une conquête de l'or blanc
Des réalisations pionnières...
Les premières stations qui sortent de terre à compter des années 1930 viennent bouleverser le paysage économique montagnard. La page d'un tourisme de contemplation est à cette époque bel et bien tournée et un modèle nouveau de tourisme axé sur la pratique de la montagne été comme hiver ainsi que sur les activités sportives s'élabore progressivement.
Les premières stations de ski s'appuient dans un premier temps sur les villages existants, et sont le fruit d'initiatives locales, lesquelles valorisent des idées, des capitaux ou encore des réseaux apportés par des acteurs locaux. Dès lors, la vie traditionnelle montagnarde s'entremêle avec la modernité apportée par ces stations de ski.
La station village de Bellevaux
Le reportage est centré sur la station de Bellevaux dont les infrastructures d'accueil ont été construites sans l'intervention de promoteur. Les habitants de Bellevaux ont constitué une SCI (Société Civile Immobilière). La croissance immobilière est malgré tout insuffisante par rapport au nombre de skieurs chaque année. Le tourisme représente une des rentrées d'argent les plus importantes du village.
Les aménagements réalisés avec ces stations qualifiées par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Georges Cumin de « stations de première génération » ne bénéficient pas d'une planification d'ensemble, permettant d'organiser au mieux domaines skiables et équipements sportifs. Peu à peu, par les premières mises en œuvre du concept de station, le modèle s'affine. C'est alors la naissance de la station de deuxième génération, à l'image de Courchevel et de l'Alpe d'Huez. A Courchevel, exemple emblématique de cette génération, la puissance publique, via le département de la Savoie s'empare du projet de création d'une station en site vierge. Ce projet permet alors la mise en œuvre d'un aménagement rationnel et jugé optimal pour la pratique du ski et reposant sur une maîtrise du foncier. Ainsi, l'urbanisme se transforme et les premiers immeubles viennent remplacer l'habitat montagnard traditionnel.
Le cinquantenaire de l'Alpe d'Huez
Le reportage retrace l'histoire de l'Alpe d'Huez de la création de la station jusqu'à nos jours. Il présente les évolutions économiques et sociales que la station a permis, grâce à l'accroissement du tourisme, au fil des années. La station compte 59 remontées mécaniques ; 74 pistes ; 37 hôtels pour une capacité de 25 000 lits et "seulement" 1201 habitants. Témoignage d'une habitante qui ne se sent plus chez elle depuis la création de la station et l'arrivée des touristes.
...à la diffusion d'un modèle industriel
Adopté dans les années 1960, le Plan Neige ouvre une nouvelle ère de l'aménagement touristique de la montagne. La réalisation est dès lors pensée pour optimiser la pratique du ski et le séjour des skieurs, et ce, dans un contexte de modernité et d'expansion économique.
Le plan neige pour l'aménagement de la montagne
Reportage sur la mise en place du plan neige visant à construire des équipements et logements adaptés aux besoins des touristes. Le plan prévoyait la construction de 150 000 lits en montagne entre 1971 et 1975. 23 stations nouvelles et 20 stations anciennes en ont bénéficié. Les promoteurs immobiliers sont indispensables pour l'aménagement des stations nouvelles. Aucun ne reconnaît le problème architectural que posent les immeubles de montagne qui s'insèrent mal dans le paysage.
La réalisation de la station est confiée à un acteur unique, le promoteur, qui prend en charge la plupart voire l'ensemble des étapes de la construction. Les stations qui bénéficient de la mise en œuvre de ce plan d'équipement sont alors créées en site vierge, là où les conditions d'enneigement, de climat comme de pente sont optimums pour une pratique du ski alpin. Avec ces stations de troisième génération, on assiste au déploiement à grande échelle du modèle inventé à Courchevel. L'objectif est de contribuer à l'émergence d'une véritable filière des sports d'hiver, apte à concurrencer les destinations touristiques européennes de l'arc alpin.
L'architecture elle aussi se modifie sensiblement. La création de stations pour l' « Homme Moderne » [1] impose en effet la création de véritables villes à la montagne, où les « paquebots des neiges » deviennent autant de vitrines de l'ère industrielle des sports d'hiver. Désormais, l'urbanisme est linéaire, et les chalets en bois laissent place à des barres de béton ou à d'autres ensembles plus intégrés qui entourent le front de neige, point de convergence des pistes et de départ des remontées mécaniques en pied de station, rassemblant également tous les commerces nécessaires à un mode de vie urbanisé.
L'architecture des stations de sports d'hiver
Le reportage présente l'architecture de montagne et ses différentes évolutions. Celle-ci a s'est transformée au fil des années notamment car le nombre de touristes augmente constamment. Divers types d'architecture ont donc vu le jour suivant les périodes : chalets ou immeubles. Les stations sont elles aussi différentes suivant les époques de construction : intégrées au village ou créées de toute pièce.
Les 30 ans des Ménuires
Les Ménuires ont eu 30 ans en 1995. Il y a 30 ans, la station démarrait avec seulement 3 téléskis et un foyer de 450 lits. Au printemps 1965, les bâtiments en béton sont construits. L'esthétique urbaine des HLM à la montagne ne fait pas l'unanimité. Dans les années 1980, 11 000 nouveaux lits ont été réalisés : fini le béton, l'architecture change et le bois devient omniprésent pour rendre le paysage plus esthétique.
[1] Wozniak, Marie. (2006). L'architecture dans l'aventure des sports d'hiver: stations de Tarentaise, 1945-2000 (Vol. 109): Société savoisienne d'histoire et d'archéologie, Fondation pour l'action culturelle internationale en montagne.
Phase de gestion : la remise en cause des mirages de l'or blanc
La montée en puissance des revendications locales
La réalisation des stations de sports d'hiver a sans conteste constitué un renouveau pour les territoires concernés, en offrant de nouvelles opportunités économiques et un frein aux migrations saisonnières ou définitives. Cependant, dès les années 1970 sont portées les premières critiques du modèle : urbanisation maladroite et irrévocable, exclusion des populations locales des choix de développement ou encore atteintes à l'environnement naturel apparaissent comme autant d'éléments qui marquent la fin de la période idyllique de création. Avec de tels constats, des revendications s'affirment localement. Il en va ainsi de la place des populations locales, qu'elles soient actives, permanentes ou saisonnières, mais également de celle des acteurs politiques dans des stations pensées et conçues pour les skieurs.
La place des saisonniers dans les stations
Reportage sur le manque de logements sociaux pour les saisonniers dans les stations de sports d'hiver. De nombreuses contraintes empêchent ces immeubles de s'implanter : la question de l'architecture, car les HLM doivent s'insérer dans un paysage de montagne, ou encore le problème de financement des constructions. La plupart des saisonniers vivent dans la vallée et travaillent en station durant la saison, notamment à cause du montant du loyer souvent trop élevé.
Ces premières attentes sont suivies par des revendications émanant des communes voire des administrations requérant un droit de regard sur les aménagements réalisés sur le territoire. La directive d'aménagement de la montagne de 1977 a ainsi institué, via un décret de 1979, la procédure des Unités Touristiques Nouvelles [2], contraignant toute nouvelle construction en montagne [3] à une autorisation préalable de l'administration.
Les élus locaux souhaitent également être intégrés à la gestion des stations. Finalement, ces revendications prennent corps dans la loi Montagne adoptée en 1985, laquelle désigne, entre autres mesures, les communes comme autorités organisatrices responsables des opérations d'aménagement touristique.
Présentation de la loi Montagne
Présentation de la loi Montagne votée fin 1984. Ses objectifs sont entre autres la revalorisation de la montagne, le tourisme et le développement du ski nordique. Fort du constat que l'agriculture reste primordiale, que la montagne possède de nombreux atouts et que les montagnards sont les acteurs de son développement, Louis Besson, rapporteur de la loi, préconise l'auto-développement fondé sur des initiatives locales. Celle-ci va fournir des outils et moyens pour appuyer ces initiatives.
Désormais, la gestion des stations de ski est l'affaire de la ou des communes supports, avec la possibilité pour elles de la déléguer à un prestataire privé si elles le souhaitent. Cette reconnaissance des collectivités locales reste toutefois à nuancer : les rapports de force entre communes rurales et groupes d'opérateurs de remontées mécaniques ne permettent pas toujours aux communes de préserver pleinement la maîtrise de la gestion de la station. Ainsi, l'entrée en bourse de la Compagnie des Alpes, opérateur majeur de remontées mécaniques, a régulièrement posé au niveau local la question d'une perte possible de contrôle des élus sur leur station.
Différend entre la Compagnie des Alpes et les stations
Un différend oppose la Compagnie des Alpes, le n°1 mondial des remontées mécaniques, à plusieurs stations des Alpes. En mai dernier, l'État a réduit sa participation et est devenu minoritaire. Les élus de certaines stations de Tarentaise sont inquiets quant aux conséquences possibles de cette privatisation, de l'entrée en bourse de la Compagnie et du changement dans la prise de décision.
[1] Faisant référence à « toute opération touristique susceptible d'entraîner une modification substantielle de la population et de l'économie locales et du paysage montagnard », la procédure UTN contenue dans la directive d'aménagement national relative à la protection et à l'aménagement de la montagne du 22 novembre 1977 tend à corriger les aspects les plus contestés du Plan Neige. En ce sens, la maîtrise de l'urbanisation devient une priorité, et une autorité, le Comité interministériel, va être en mesure de refuser une opération immobilière qui lui apparaîtrait disproportionnée.
[2] Réalisations immobilières de plus de 4500 m² hors œuvre ou installation de remontées mécaniques pour plus de 9 millions de francs.
Repenser le modèle économique des stations ?
Plus globalement, à compter des années 1990, des difficultés, au premier rang desquelles le manque d'enneigement durant trois hivers, mais également les capacités d'investissements des collectivités ou des opérateurs touristiques, sans parler de la concurrence liée aux nouvelles destinations touristiques souvent moins onéreuses, posent la question de la pérennité du modèle économique des stations, centré depuis l'origine sur le seul produit neige et le tourisme de séjour.
Les difficultés des stations de sports d'hiver du Queyras
Le manque de neige a des conséquences dans les Alpes du Sud, dans le Queyras. En 1992, la préfecture conseillait de fermer 90% du domaine skiable d'Aiguilles. La décision a été refusée par la commune qui a pris en charge les remontées mécaniques et a fait appel aux bénévoles comme perchman ou pour la surveillance du canon à neige. Le conseil général des Hautes Alpes a commandé un audit pour faire l'état des lieux des petites stations et connaître leur viabilité, leur rentabilité.
Dans ce schéma, la performance des stations est questionnée, tout comme leur avenir. C'est ainsi tout autant le mode de gestion que les activités complémentaires qui deviennent des questions d'actualité. La diversification des stations est alors présentée comme une évolution incontournable pour que celles-ci, malgré le contexte de maturité du marché du ski, parviennent à se maintenir.
Les différentes activités de la station des Arcs
Le reportage met en évidence la nécessité pour les stations de sports d'hiver de proposer de nouvelles activités car les vacanciers ne viennent plus uniquement pour skier. Depuis 2004, la station des Arcs propose des rencontres avec les professionnels de la montagne afin de présenter les différents métiers liés aux stations. Cela permet de diversifier les animations et de satisfaire les vacanciers, curieux de découvrir autre chose.
Dans un premier temps les responsables promeuvent une diversification des pratiques hivernales, celle-ci trouvant son expression à travers l'incitation au développement de nouvelles pratiques en stations : snowparks et balades en raquettes viennent ainsi enrichir l'offre. Peu à peu, on redécouvre l'importance de la saison d'été et l'étalement nécessaire de la période touristique avec le rôle des seniors et de la clientèle étrangère. Les itinéraires de VTT, les piscines et autres randonnées thématiques impulsent une évolution majeure : désormais, même si pour l'heure les retombées économiques sont encore limitées, l'été constitue une saison touristique à part entière dans la quasi-totalité des stations.
La diversification touristique inhérente à l'évolution de la demande s'accompagne d'une réflexion sur le parc immobilier et les modalités ou les modes en matière d'hébergement. En effet, la plupart des sites, notamment ceux nés dans les années 1970, est concernée par un problème de remplissage. Celui-ci est d'une part lié aux caractéristiques des logements construits sur le ratio de 9-12 m²/lit, ratio ne correspondant plus aujourd'hui aux attentes des clients. D'autre part, ce problème de remplissage est à mettre en perspective avec une commercialisation inaboutie des lits, renvoyant au phénomène tant décrié des « lits froids » . Aussi, la réponse principale des collectivités locales consiste alors dans bien des cas à poursuivre la création de nouvelles urbanisations, privilégiant les grandes surfaces et une architecture renouvelée de type chalet, où l'habillage bois est privilégié.
La tendance aux chalets de luxe à la montagne
La tendance de l'immobilier dans les stations de sports d'hiver est aux chalets en bois luxueux et haut de gamme. En effet, chacun de ces chalets coûte entre 1,3 millions et 2,5 millions de francs. Ceux-ci sont destinés à une clientèle aisée, étrangère. Cette tendance s'accompagne d'une montée globale des prix de l'immobilier et les propriétaires de petits studios ont du mal à y faire face lorsqu'ils souhaitent revendre.
Conclusion
La relecture d'environ un siècle d'aménagements touristiques en montagne ne peut qu'entériner la métamorphose des territoires concernés par ce développement touristique. Architecture transformée, espaces aménagés, voies de circulation développées... Avec certitude, les stations de ski ont permis d'insuffler en montagne un élan de modernité et de préserver des emplois menacés, tout en contribuant à un profond changement des sociétés locales concernées. Cependant, une nouvelle ère semble aujourd'hui amorcée et les préoccupations liées aux évolutions climatiques, à l'immobilier de loisir ou aux capacités d'investissements des opérateurs comme des collectivités locales supports, dont les médias se font largement l'écho, poussent, parmi d'autres, à réfléchir à la station de demain, qui reste à ce jour à inventer.