La SICA SAVA

07 mars 1969
06m 39s
Réf. 00013

Notice

Résumé :
La coopérative SICA SAVA, en Vendée, permet aux éleveurs de développer leurs exploitations, commercialiser leur production et garantit ressources et remboursements d'emprunts. Elle aide à l'installation technique, approvisionne les élevages et possède un abattoir moderne.
Type de média :
Date de diffusion :
07 mars 1969
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

La SICA SAVA de Challans, société d'intérêt collectif agricole dédiée à la commercialisation de viande de poulet, est une société coopérative à vocation commerciale entrant dans le cadre de la loi du 10 septembre 1947. La SICA SAVA connaît un rapide développement au cours des années 1960 mais décline et finit par disparaître à la fin de la décennie suivante en laissant 550 salariés sans emploi au terme d’une lutte sociale pugnace accompagnée d’une occupation des ateliers qui aura duré une douzaine de jours. Le reportage tourné en 1969 permet de comprendre les clés du succès initial de la coopérative qui met à disposition d’agriculteurs néophytes en matière d’aviculture un accompagnement financier et technique afin de les convaincre d’investir dans un élevage en batterie de poulets en sus de leurs productions traditionnelles. La SICA SAVA constitue un exemple original d’organisation verticale de la production puisqu’elle dispose d’une usine d’aliments pour poulets produisant 200 000 tonnes annuelles de nourriture, qu’elle livre aux agriculteurs des installations techniques clés-en-main (poulaillers, couveuses à poussins, chauffage des bâtiments, etc.), qu’elle assure la collecte des volailles jusqu’à son abattoir qualifié de « plus moderne d’Europe » et qu’elle assure la commercialisation. Si les agriculteurs investissent dans les installations grâce à des prêts négociés par la SICA SAVA auprès du Crédit Agricole, ils deviennent en quelque sorte salariés de la coopérative dans la mesure où ils connaissent à l’avance les objectifs de production que leur assigne la coopérative en fonction des contrats de vente à terme qu’elle a contractés avec les grossistes.
En 1969, c’est Bernard Lambert qui préside aux destinées de la SICA SAVA. Il est déjà une personnalité en vue du syndicalisme agricole depuis plus d’une décennie mais n’est pas encore le charismatique président du mouvement des Paysans travailleurs qu’il va fonder un peu plus tard après la parution de son ouvrage Les paysans dans la lutte des classes qui paraîtra un an après le reportage en 1970. D’ailleurs, le langage que Bernard Lambert tient devant la caméra demeure celui d’un chef d’entreprise conventionnel même si l’ambition sociale et la volonté d’être un modèle économique alternatif aux groupes capitalistes sont clairement revendiquées par la direction. Il est indéniable que la politisation de la SICA SAVA lui a valu rapidement de solides inimitiés chez ses concurrents du secteur privé et au sein d’une certaine frange du monde agricole.
Au début de la décennie 1970, la coopérative avicole connaît une forte croissance, une « fuite en avant » diront certains la suite, qui n’est pas bien gérée par la direction. En raison du montant galopant de ses impayés, la coopérative est lâchée par le Crédit Agricole et son fournisseur pour l’alimentation, le groupement de céréaliers Unigrains. La direction de la coopérative est acculée à se déclarer en cessation de paiement au printemps 1976. Les difficultés de la coopérative sont largement relayées dans les media ainsi qu’auprès du ministre de l’Agriculture Pierre Méhaignerie. Lors de la séance des questions au gouvernement du 20 octobre 1976, le député communiste de l’Essonne Robert Vizet réclame au ministre l’engagement de l’Etat pour renflouer la société. Cependant, le gouvernement Barre refuse d’engager des fonds publics pour le sauvetage de la SICA SAVA et s’abrite derrière la procédure judiciaire alors en cours au Tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon qui va conclure à la liquidation judiciaire et à la disparition de 550 emplois après le baroud d’honneur syndical déjà mentionné.
La SICA SAVA a tout d’abord bénéficié de l’explosion de la demande pour la viande de poulet à l’échelle européenne et mondiale, mais son modèle va achopper avec la crise de surproduction qui frappe le secteur dans la première moitié de la décennie 1970. Cette crise s’inscrit dans le processus de globalisation des marchés car elle tire en partie ses origines de l’arrivée sur le marché mondial de poulets issus de pays émergents comme le Brésil où des groupes alimentaires internationaux investissent dans les élevages industriels sans commune mesure avec la taille de la coopérative vendéenne pour disposer de prix de vente très bas.
Bien avant que l’on prenne l’habitude de décrier la qualité du steak haché du hamburger, le poulet a symbolisé la « malbouffe ». On se souvient, en effet, qu’en 1964 déjà, Jean Ferra évoquait dans sa chanson La montagne le « poulet aux hormones » mangé par les nouveaux banlieusards dans les HLM. Cette dénonciation connaît un écho fameux en 1976, l’année même de la mise en cessation de paiement de la SICA SAVA, dans la célèbre comédie L’aile ou la cuisse de Claude Zidi mettant en scène l’inoubliable duo formé par Louis de Funès et Coluche aux prises avec le cynique Tricatel dont l’usine alimentaire produit un poulet rôti issu de carcasses en plastique remplies d’une pâte extraite du pétrole.
Eric Kocher-Marboeuf

Transcription

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Journaliste
En Vendée, à Falleron, par exemple, Monsieur Flaire a une exploitation de 18 hectares, un troupeau de bovins variant entre 20 et 25 têtes et un petit élevage porcin permettant de commercialiser 70 porcelets par an. La ferme que Monsieur [Flaire] avait achetée ne comportait pas de logement décent et l’argent manquait pour en faire construire un neuf. L’élevage de volailles devait lui permettre de réaliser ses rêves en adhérant à la SICA SAVA.
Intervenant 1
C’est un organisme qui donne, qui nous donnait des garanties.
Journaliste
Quelles garanties ?
Intervenant 1
Des garanties au point de vue commercialisation, au point de vue…
Journaliste
Rentabilité ?
Intervenant 1
Rentabilité aussi, il faut le dire.
Journaliste
Le principe fondamental de la SICA SAVA est de vendre d’abord et de produire ensuite ce que l’on a vendu. C’est-à-dire que le producteur n’a pas à se soucier d’une prospection du marché.
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Journaliste
Quand les fondateurs de la SICA SAVA lancèrent l’affaire, ils durent convaincre des hommes qui, par nature, sont individualistes de s’associer. Association qui présentait malgré tout de nombreux avantages, le premier étant le bénéfice assuré de l’aide et des prêts du Crédit Agricole. Mais aussi, quant à l’élevage,
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Intervenant 1
D’abord, au point de vue élevage, le côté technique, c’est parfait. Et au point de vue commercialisation, on n’a aucun problème.
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Journaliste
La SICA SAVA, c’est aussi cette usine à aliments d’une capacité de 200 000 tonnes par an, laquelle fournit aux différents producteurs l’alimentation appropriée en fonction du type de volaille désiré. Aux producteurs membres de la SICA SAVA, on fournira aussi le poulailler, les éléments de chauffage et même les poussins. En d’autres termes, le producteur a acheté son droit d’entrée à la SICA SAVA, c’est son capital, puis il achète, toujours à la SICA, les différents éléments nécessaires à sa production. Enfin, il revendra à la SICA le produit fini. Mais la production est planifiée. Monsieur Flaire ne doit produire que ce qu’on lui demande. Dès lors, Monsieur Flaire pourrait-il se considérer comme un salarié de la SICA SAVA, sans pouvoir de décision ?
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Journaliste
Là est la question.
Intervenant 1
Non, non, Il faut, non, ce n’est pas possible, quoi ! Ce n’est pas vrai, on n’est pas salariés. Mais malgré tout, on est liés de si près à la SICA par contrat et par nécessité que malgré tout, c’est à, ce n’est pas salarié mais c’est quand même lié de telle façon que il serait difficile de s’en séparer à l’heure actuelle.
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Journaliste
La SICA SAVA, c’est cette puissante installation, cet abattoir moderne, le plus moderne d’Europe, capable de traiter près de 200 tonnes de volailles par semaine. Les volailles de Monsieur Flaire qui arrivent sont traitées automatiquement. Mises sur la chaîne, elles seront tuées électriquement.
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Journaliste 1
Elles seront saignées, plumées mécaniquement,
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Journaliste
Avec finissage main, vidées et lavées puis réfrigérées et emballées, et dans les meilleures conditions, vous les retrouverez sur votre table.
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Intervenant 2
Et nous nous sommes aperçus que le consommateur 1960 était orienté vers le poulet et filets type traditionnel, surtout en France, mais aussi vers le poulet prêt à cuire, et enfin, vers le poulet surgelé pour l’Allemagne, par exemple.
Journaliste
Cette organisation a coûté cher, très cher même. On peut alors se demander si un tel ensemble est amortissable. On pourrait même se demander si cette usine pourrait être agrandie.
Intervenant 2
Nous avions étudié l’unité idéale qui allait nous donner le meilleur prix de revient. Il semble que cette unité idéale soit une production d’environ 150 à 200 tonnes de volailles par semaine.
Journaliste
La qualité de la production de la SICA SAVA tient à différents facteurs qu’il est important de signaler. Sévérité apportée dans le choix des souches, soins dont sont entourées les poulettes reproductrices, minutie apportée dans le tri des oeufs. Etudes aussi des formules alimentaires par un ingénieur nutritionniste. Mais aussi, l’élément essentiel que les éleveurs sont des éleveurs traditionnels, et surtout, que ces éleveurs sont directement intéressés à la bonne marche de l’affaire de la SICA SAVA. C’est cette expérience, l’avenir nous le dira, si elle doit être généralisée. Le président de la SICA SAVA, Bernard Lambert, le pense.
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Bernard Lambert
Elle signifie que les agriculteurs doivent aujourd’hui, s’ils veulent conserver leur chance de producteurs, conquérir une part importante du pouvoir économique. Il ne suffit pas de produire, il faut aussi prévoir l’écoulement de ses produits, et avant l’écoulement, leur transformation. Finalement, des éleveurs spécialisés ont compris qu’ils ne pouvaient pas rester au stade de la production et la SICA SAVA marque une étape importante dans la prise du pouvoir économique par les agriculteurs eux-mêmes. Et je dois dire, à ce niveau, que cette prise du pouvoir économique n’aurait pas été possible sans l’appui des services entourant l’agriculture, direction départementale de l’agriculture, notamment en Vendée, et Crédit Agricole, qui ont joué le jeu sachant qu’il allait de l’avenir des agriculteurs dans cette réalisation. Les industriels privés de notre région, la région Ouest, ont eux-mêmes un choix à faire. Vont-ils se faire absorber, comme ceci existe fréquemment, par les grandes firmes internationales, notamment américaines ; ou vont-ils jouer le jeu des agriculteurs pour s’entendre avec eux dans de nouvelles formes juridiques, techniques, financières, à seule fin de rester eux-mêmes et de pouvoir développer ce qu’ils avaient prévu de développer ?
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