Vivre à Plozevet

27 octobre 1976
07m 05s
Réf. 00157

Notice

Résumé :

Quinze ans après l'étude menée par des chercheurs à Plozevet (Finistère), les habitants reviennent sur l'analyse que le sociologue Edgar Morin a faite de leur village. Ils restent partagés sur la validité de ce travail.

Type de média :
Date de diffusion :
27 octobre 1976
Source :

Éclairage

1961. La délégation Générale à la Recherche scientifique et Technique accepte d'étudier un isolat de l'hexagone : Plozevet, commune du Sud-Finistère en pays bigouden, moins de 4000 habitants, fera l'objet d'une grande étude à vocation inter-disciplinaire.

La commune a été choisi pour diverses raisons : son éloignement de la capitale, l'important phénomène de luxation de la hanche qui pouvait faire l'objet conjoint d'analyses démographiques et médicales, la volonté de la municipalité, l'engagement des agriculteurs dans les mouvements de contestation agricole. Une moisson d'informations, des mètres de bandes sons, de films seront la base de dizaines d'articles publiés dans les années 70 et 80.

1965. Alors que l'enquête est en voie d'être achevée, Edgar Morin débarque à l'hôtel Poupon à Pont Croix avec mission d'organiser une étude complémentaire sur les transformations sociales et l'impact de la modernisation sur une société rurale menacée. Il lui fallait saisir "l'esprit du temps" en combinant intégration au terrain et observation scientifique rigoureuse : le programme était à risque ! Dans ce cadre, il tiendra un journal qui se fait l'écho d'une ethnologie au quotidien. Il a mis en évidence la partition séculaire entre "rouges" et "blancs", la fin de la civilisation paroissiale, les rites du religieux mais aussi l'anticléricalisme et la laïcité. Il a montré la superposition, dans une même commune, du conservatisme et de l'ouverture aux évolutions économiques et sociales. C'est par exemple l'alliance des gauches qui détient la municipalité : elle s'est construite en opposition au cléricalisme et continue à s'arc-bouter contre l'évolution du catholicisme moderne. Ce sont les interviews faites dans le cadre de l'enquête qui sont évoquées dans le reportage. Elles étaient selon Edgar Morin "une recherche des sentiments et des attitudes devant la vie [..] sur le problème des interviewés par rapport au grand phénomène de modernisation".

Certains habitants s'en souviennent avec le sourire, d'autres regrettent d'avoir participé à l'enquête, pensant que leur propos ont été déformés. Ce document visuel est également le témoignage d'une aventure intellectuelle : celle de la pratique des sciences sociales dans les années 60-70 qui a connu d'autres tentatives  ; citons celle de Christian Pelras, qui travailla seul à Goulien, commune proche de Plozezet. Ce type de démarches fit l'objet de nombreuses critiques de la part du milieu de la recherche. André Burguère qui en fit la grande synthèse finale en dressa un tableau extrêmement mitigé. Toutefois on doit lui reconnaître un grand mérite : celui d'avoir tenté un grand travail pluri-disciplinaire.

Bibliographie :

- Edgar Morin, Journal de Plozévet, La Tour d'Aigues, éditions de l'Aube, 2001.

- Christian Pelras, Goulien, commune bretonne du Cap Sizun. Entre XIXe siècle et IIIe millénaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.

Martine Cocaud

Transcription

Inconnus
Et les pommes de terre, quand ils sont cuits sur le four comme ça, ah ça c'est, ça c'est excellent quoi, excellent, très bon, très bon.
Journaliste
C'est vous qui leur avez proposé de faire ça ou c'est eux qui vous l'ont demandé ?
Inconnus
Non, c'est, ils m'ont demandé quoi, ils m'ont demandé et puis c'est moi qui s'est encore occupé de couper du buis, quoi, et le buis il est là quoi.
Journaliste
Mais vous, ça vous a, ça vous intéressait de leur faire, de leur montrer ?
Inconnus
Ah bien sûr, quoi, ça m'intéressait d'ailleurs il a été en mer avec moi, mademoiselle Petit et puis un photographe qui avait aussi avec nous, quoi, nous photographiait, quoi. Un, je sais pas qui qui c'est quoi. Oh, ils étaient une dizaine. Oui, un photographe qui était avec nous aussi quoi, il nous photographiait. Ceux-là ils ont été ici pendant deux ans au moins, trois ans peut-être même.
Journaliste
Donc là ces enquêteurs-là ils vous ont pas gênés alors ?
Inconnus
Ah ceux-là non, pas ceux-là, non, non, non. De 60 à 65, jusqu'à ce qu'il y ait donc concrètement une prise de conscience de ce qui avait été fait, les Plozévetiens se sont laissés pénétrer très facilement par les chercheurs.
Journaliste
Y avait quelle image des chercheurs, ils ont pensé quoi ?
Inconnus
Cétait extrèmement variable. Evidemment, tout d'abord, je crois que l'image qu'ils avaient des chercheurs dépendait des thèmes d'enquête de chaque groupe de chercheurs. Il y a des chercheurs, pratiquement, qui n'ont pas participé du tout, qui ne se sont pas intégrés à Plozévet. Les historiens ont travaillé sur l'inerte si vous voulez, sur les archives, il est évident qu'ils n'ont pas eu de contacts avec la population.
Journaliste
Plozévet était une petite ville qui vivait tranquillement. La sociologie, une sociologie lourde, veut un beau matin savoir ce que recouvre cette tranquillité. Arrivent des brigades de chercheurs parisiens, sociologues, ethnographes, historiens, biologistes vont se succéder pendant six ans, une centaine au total. Ils interrogent, fouillent, filment, prennent mensurations sur mensurations, bref, ils font leur travail. Et ils ont le sentiment de faire avancer la science, c'est probable, reste à savoir ce que cette sociologie a apporté aux Plozévétiens. Ont-ils appris quelque chose ? D'être sans cesse interrogés sur leurs habitudes, leur conception de la vie, du monde, cela les a t-ils transformés ? Autrement dit, une enquête sociologique, est-ce quelque chose qui laisse l'enquêté indifférent ou quelque chose qui transforme sa vie, du moins sa vision des choses et de lui-même ? Les Plozévétiens semblent nier l'impact de l'enquête sur leur vie quotidienne. Et pourtant, ils ne peuvent s'empêcher de reprocher aux chercheurs d'avoir voulu introduire l'esprit de la ville à Plozévet. Une chose est claire donc : sans toujours le désirer, la sociologie, quand elle passe quelque part, transforme ce qu'elle touche. Est-ce un bien, un mal, ravage-t'elle des habitudes séculaires qui ne demandaient qu'à se perpétuer paisiblement, ouvre-t'elle les esprits sur des domaines ignorés ou passionnants ? Ce n'est pas à nous d'en juger, il fallait seulement se poser la question.
Inconnus
J'ai retrouvé dans ce livre, finalement le caractère et la personnalité bretonne et bigoudenne en particulier et celle de Plozévet surtout, je veux dire.
Journaliste
Ses habitudes ?
Inconnus
Ses habitudes, ses coutumes, ses traditions. Je veux dire que moi qui viens un petit peu de l'extérieur étant donné que je n'avais pas vécu à Plozévet jusque-là, ça m'a représenté un petit peu Plozévet tel que je l'imaginais et j'ai été en quelque sorte assez amusé et, de lire ce livre parce que je pensais que ça allait remuer un petit peu les habitudes et les coutumes plozévétiennes. Ah oui, moi je trouve que Edgar Morin a donné à peu près l'avis exact.
Journaliste
C'est pas votre avis, je crois, tout à fait.
Inconnus
Pas tout à fait, non, pas tout à fait. Il m'a traité de Jacobin. Il t'a traité de Jacobin ? Oui.
Journaliste
Bah pourquoi ?
Inconnus
Oh bah, je sais pas, c'est lui !
Journaliste
Vous l'avez ressenti comme une injure ?
Inconnus
Non, pas du tout. Et moi, il m'a dit que j'étais anticlérical, donc, moi je n'ai jamais été anticlérical. Y a quand même de grosses erreurs, par exemple, M. Morin dépeignant le cimetière et disant que la seule tombe au cimetière n'ayant pas de croix, c'était celle de docteur Sartre. Y en a d'autres, il y a la tombe de mon mari à côté qui n'a pas de croix et bien d'autres encore. Et déjà, il nous traitait de bolcheviks, quoi, nous sommes pas plus bolcheviks que les autres, nous. Parce que nous sommes dans un pays ici que, quoi... On est tous communistes, quoi, plus ou moins. Presque tous au moins, quoi.
Inconnu
Il a donné une image de Plozévet assez exacte mais il n'avait pas à raconter ce qu'il a raconté puisque les gens ont cru que c'était la suite toujours de l'enquête faite par le Musée de l'Homme, alors que c'était pas le cas.
Inconnus
Alors prétendre être venu à Plozévet pour le CNRS, ça n'a pas l'air d'être le cas, puisqu'il en a fait un roman. C'est peut-être pas un roman mais enfin...
Journaliste
C'est pas tout à fait un roman.
Inconnus
Pour pas mal de personnes il est considéré comme un roman.
Journaliste
Il y a tromperie, un peu, donc.
M. Picton
Je pense, je l'avais déjà dit à l'émission de Monsieur Picton et ici, pour moi c'était un abus de confiance, puisqu'il n'avait pas prévenu qu'il allait éditer un livre sur l'enquête qu'il faisait. Et je maintiens mon point de vue.
Journaliste
Il écrit : "Il suffit d'observer les retombées de l'enquête dans la commune, le secrétaire de mairie, c'est vous, Monsieur le Maire, dont il parle, a beaucoup aidé les démographes, les géographes, les historiens, et a contracté lui-même le virus de l'analyse statistique et l'a communiqué à son successeur. Aujourd'hui un splendide graphique appliqué au mur de la mairie suit, année par année, le bilan démographique de la commune". C'est vrai, ça ?
Le Maire de Plozévet
J'ai fait cette démographie en 55 ou 56.
Journaliste
C'est-à-dire bien avant l'enquête alors ?
Le Maire de Plozévet
Bien avant l'enquête.
Inconnus
Ils n'ont pas compris l'esprit breton. Et peut-être pas l'esprit breton mais l'esprit de Plozévet n'est pas, par exemple, n'est pas le même que celui de Pouldrezic ni celui de Pont l'Abbé.
Journaliste
Et s'ils l'ont pas compris c'est peut-être parce que vous ne leur avez pas expliqué ?
Inconnus
Ils sont allé dans les maisons, ils ont photographié un tas de choses, ils ont filmé une personne préparant la soupe. Ces gens-là pour, ont fait du tape-à-l'oeil ! Par exemple pour faire un repas de bouillie ils ont mis des couverts d'argent sur la table !
Journaliste
Un paysan me disait toute à l'heure que, qu'en fait les chercheurs, les enquêteurs avaient pas bien compris l'humour bigouden.
Inconnus
Exactement, pour une raison bien simple c'est que quand il s'agissaient de rapports directs entre les chercheurs et les enquêtés, la langue, c'était le français. Lorsqu'il y avait un refus plus ou moins direct de répondre, ils passaient à la langue bretonne. Et la langue bretonne a véhiculé tout ce que cela pouvait avoir d'ironie et qu'évidemment les chercheurs n'ont pas pu apprécier.