Jeanne Laurent

29 avril 1985
01m 31s
Réf. 00355

Notice

Résumé :

Jeanne Laurent, initiatrice de la politique de décentralisation théâtrale, revient sur le rôle de Charles Dullin dans la création et le maintien des centres dramatiques.

Type de média :
Date de diffusion :
29 avril 1985
Source :

Éclairage

Il n'est pas étonnant de trouver le témoignage de Jeanne Laurent dans un documentaire consacré à Charles Dullin. Tous deux furent animés par des idées communes sur le théâtre et la décentralisation. On peut dire que Charles Dullin est l'un des inspirateurs de l'action décentralisatrice de Jeanne Laurent. Il est l'auteur d'un rapport remis à Jean Zay (ministre de l'Education Nationale sous le Front Populaire) sur la nécessité de décentraliser l'activité théâtrale. Ce texte, bien que considéré comme fondateur, n'est évidemment pas le seul élément à prendre en compte pour comprendre la décentralisation théâtrale. Le parcours de Jeanne Laurent, le contexte historique dans lequel son action publique s'inscrit, sont autant d'éléments indispensables.

Jeanne Laurent est née à Cast dans le Finistère le 7 mai 1902. Fille d'exploitants agricoles, elle montre un goût prononcé pour les études puisque sur quatre enfants, elle est la seule de la famille à aller dans le secondaire. Elle poursuit ses études supérieures à Angers, où elle obtient une licence de Lettres qui lui permet d'intégrer l'Ecole des Chartes. Elle en sort diplômée en 1930. La suite de son parcours dans la fonction publique illustre une carrière exemplaire aux regards de ses origines et de son environnement culturel (poids des traditions, mode de vie, religion). Elle entre en 1930 au ministère de l'Education Nationale comme rédactrice auxiliaire. En 1931 elle devient chargée du secrétariat de la Commission Nationale des monuments historiques. Mais c'est surtout en tant que sous chef du Bureau de la musique, des spectacles et de la radiodiffusion (1939) que Jeanne Laurent commence à s'intéresser aux questions de la décentralisation théâtrale. C'est à ce poste, pendant la guerre, qu'elle tisse des relations privilégiées avec les artistes, gens de théâtre, mais aussi des peintres, ce qui lui permet d'affiner sa sensibilité artistique. Sous Vichy, elle élabore sa réflexion autour de la "réconciliation des arts et de l'Etat" (Marion Denizot). La notion de service public est au cœur de son engagement. A la Libération Jeanne Laurent devient chef du Bureau de la musique et des spectacles, puis en 1946 elle nommée sous directrice des Spectacles et de la Musique. Les héritages conjugués de la politique culturelle ébauchée sous le Front Populaire, les expériences théâtrales sous Vichy et la réflexion qu'elle a menée à cette époque permettent à Jeanne Laurent d'impulser le mouvement de décentralisation théâtrale. Le contexte politique et culturel d'après guerre lui est favorable. L'éducation et la vie artistique sont des préoccupations importantes pour la nouvelle république. De même, la rencontre entre les arts et le peuple est promise par la Constitution même de 1946 qui initie la culture comme un droit pour tous. L'Etat que l'on veut fort et présent au sortir de la guerre permet à Jeanne Laurent d'envisager son action publique. En quelques années elle va impulser et aider la création de cinq Centre Dramatique Nationaux, nommer Jean Vilar à la tête du Théâtre National Populaire et encourager les jeunes troupes. Objet de vives critiques malgré son action, elle démissionne de ses fonctions en 1952 pour poursuivre sa carrière de fonctionnaire dans d'autres services. En évitant la personnification trop forte d'une action politique et publique (il faut noter le contexte favorable de son action ainsi que l'énergie d'autres acteurs en province), on peut tout de même dire que Jeanne Laurent s'est faite la médiatrice de la décentralisation théâtrale. Elle a donné une réalité et les moyens à un mouvement qui s'amorçait déjà dans l'Entre Deux Guerres.

Bibliographie :

Marion Denizot, Jeanne Laurent, une fondatrice du service public pour la culture, 1946-1952, Paris, Comité d'histoire du ministère de la culture, 2005.

Soline Levaux

Transcription

Interviewer
Lorsque vous-même, vous avez mis en place les premiers centres dramatiques, Dullin a eu un rôle aussi d'inspirateur...?
Jeanne Laurent
Il n'est intervenu qu'au moment où il y a eu un problème concernant une jeune troupe, toute jeune et provinciale c'est celle du Grenier de Toulouse. Il savait que ces jeunes gens n'avaient pas la formation traditionnelle, n'avaient pas la formation qu'il exigeait des jeunes gens qui venaient chez lui, mais il était très ému par la qualité de poésie de leur spectacle. Et, il m'a dit, puisque vous avez des crédits pour des troupes en province, il faut empêcher de mourir la Troupe du Grenier qui, en 48-49, était en train de mourir car pour les troupes, il y a ce moment de jaillissement, les troupes qui se forment spontanément, le jaillissement des jeunes gens qui travaillent comme travaillent des amateurs, et puis un jour on a vieilli, on a des obligations et à ce moment là, il faut se préoccuper de ressources que l'on tire normalement de son activité de théâtre si l'on peut, sinon on est obligé de renoncer, de prendre, évidemment, une autre carrière. Et au moment où le Grenier allait se défaire, il m'a dit : " il faut absolument essayer de les sauver".