Les terres-neuvas
Notice
A Saint Malo, les marins-pêcheurs du Louis Girard se retrouvent au café, avant d'embarquer pour une campagne de pêche de deux mois et demi. Le chalutier pêche sur les bancs de Terre Neuve au large de Saint Pierre et Miquelon.
Éclairage
Les terre-neuviers étaient des navires dont l'équipage, les terre-neuvas, se rendait tous les ans au large des côtes de Terre-Neuve, près du Canada, afin de pratiquer la pêche à la morue, appelée aussi "la Grande Pêche". Pendant cinq siècles, cette pêche spécifique fut primordiale pour l'économie de nombreux ports anglais et français, car la morue est l'un des poissons les plus consommés, constituant notamment un aliment fondamental pour les familles nombreuses, pour son apport en protéines.
Au Sud de Terre-Neuve, à l'endroit où le Gulf Stream et le courant du Labrador se rejoignent, les conditions sont idéales pour la prolifération du plancton et des poissons, dont le cabillaud, qui, séché, se nomme morue. Il est présent en très grand nombre dans les Grands Bancs. Ces bancs ont été découverts vers 1500 par des pêcheurs basques, bretons et normands. À partir de ce moment, les côtes de Terre-Neuve deviennent le lieu incontournable de la pêche à la morue, suscitant d'ailleurs de très nombreuses rivalités, surtout entre pêcheurs français et anglais. Au début du XVIIIe siècle, l'île de Terre-Neuve est définitivement cédée à l'Angleterre (traité d'Utrecht, 1713), mais la France conserve des zones de pêche, nommées le French Shore. Ces zones de pêches sont exploitées jusqu'à la fin du XXe siècle, et la Grande Pêche fait embarquer chaque année des milliers de marins, réputés pour être robustes et disciplinés.
Jusqu'en 1900, la pêche à la morue se fait exclusivement en voiliers, qui partent pour Terre-Neuve au mois de mars, pour une durée de six à sept mois. Les morues sont pêchées à la ligne, à bord des doris, de petites embarcations qui permettent une plus grande mobilité que les grands voiliers qui font la traversée de l'Atlantique. Elles sont préparées sur place, et séchées dans des pêcheries à Terre-Neuve ou Saint-Pierre-et-Miquelon. Toutes les techniques de pêche sont transmises oralement et n'évoluent que très lentement. La manière de préparer le poisson ne change d'ailleurs pas jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle. Au tout début du XXe siècle, les chalutiers à vapeur apparaissent, et entrent en concurrence avec les voiliers en 1906-1907. Ils ont en effet un rendement quatre à cinq fois supérieur à ceux-ci, et leur efficacité permet de faire trois campagnes de pêche par an, au lieu d'une. Ils sont équipés d'un chalut, un filet de 50 à 60 mètres de long, qui racle le fond de l'océan et remonte un nombre considérable de poissons à chaque passage. Enfin, dans les années 1960, les chalutiers à vapeur sont remplacés par les bateaux-usines à bord desquels une usine congèle les poissons et les conditionne, remplaçant ainsi une partie de l'équipage.
Les terre-neuvas, souvent recrutés dans les cabarets ou les tavernes, sont pour la plupart d'origine rurale : des journaliers, valets de ferme ou fils de fermier, qui retrouvent leur travail aux champs une fois la campagne de pêche terminée. Jusque dans la première moitié du XXe siècle, le niveau de vie des familles nombreuses est bas, et les jeunes hommes embarquent facilement pour les eaux froides de Terre-Neuve, attirés par un salaire un peu plus élevé que la moyenne. Toutefois, à partir des années 1960, avec l'augmentation générale du niveau de vie et la croissance économique, les jeunes hommes sont moins nombreux à embarquer, refusant notamment la difficulté des conditions de travail. Il faut travailler jusqu'à dix-huit heures par jour lorsqu'il y beaucoup de poissons, et l'on embarque pour deux à trois mois.
La réussite des campagnes de pêche s'avère également de plus en plus aléatoire. En effet, avec l'apparition des chalutiers puis des bateaux-usines, les bancs de cabillauds sont surexploités, et leur nombre diminue très rapidement. Les changements climatiques provoquent également leur diminution, car le rafraîchissement ou le réchauffement des eaux provoque la fuite des poissons, rendant les campagnes de pêche parfois désastreuses. Ainsi, la pêche à la morue au large de Terre-Neuve est progressivement abandonnée, d'autant plus que la diminution alarmante du nombre de cabillauds provoque la création d'une Zone Économique Exclusive par le Canada en 1970, qui limite les prises de poissons pour les autres pays, puis conduit au décret d'un moratoire en 1992, renouvelé en 2004, restreignant encore d'avantage cette pêche, afin de protéger le cabillaud.
La pêche à la morue occupe une place très importante dans l'économie du port de Saint-Malo, situé sur le littoral de l'Ille-et-Vilaine, et ce depuis le XVIIIe siècle. Le quartier de Saint-Malo est en effet l'un des plus importants au nord de la Loire pour l'armement des Terre-neuviers, avec Fécamp et Granville. Il est d'ailleurs le dernier port à avoir armé des terre-neuviers, jusqu'en 1992, par l'intermédiaire notamment de la Société Comapêche, créée en 1982, qui arme plusieurs chalutiers-usines. Le dernier Terre-neuvier, le Victor Pleven stoppe son activité en 1992 : il a été transformé dans un premier temps en bateau-musée à Lorient, puis démantelé en Belgique. Ainsi, même si la pêche à la morue perdure, bien que difficilement, dans l'Atlantique Nord, il ne reste plus aujourd'hui des terre-neuviers et de leurs équipages que des associations et des musées.
Bibliographie :
Nelson Cazeils, Cinq siècles de pêche à la morue – Terre-neuvas et Islandais, Éditions Ouest France, 1997.
Nelson Cazeils, Les Terre-Neuvas, Éditions Ouest France, 2004.
Anita Conti, Laurent Girault-Conti, François Bellec, Les Terre-Neuvas, Éditions du Chêne, 2004.
Anita Conti, Racleurs d'océans, Éditions Hoëbeke, 1993.