Yves Pichon

24 septembre 1966
09m 19s
Réf. 00743

Notice

Résumé :

Extrait du film "Au coeur de l'Argoat" de André Voisin. Yves Pichon raconte l'histoire de Bilzig.

Type de média :
Date de diffusion :
24 septembre 1966
Source :
ORTF (Collection: Les conteurs )
Personnalité(s) :

Éclairage

À partir des années 60, les détenteurs de la mémoire orale en Bretagne deviennent rares, dans une société engagée dans une profonde mutation agricole et économique. C'est alors que l'on prend conscience de la fragilité de la tradition orale, menacée d'oubli dans le monde contemporain. Dans la lignée des folkloristes François Marie Luzel et Paul Sébillot qui ont su recueillir au XIXème siècle un important corpus témoignant de la richesse de la tradition orale bretonne, l'intérêt renouvelé pour celle-ci se manifeste à partir des années 70, par la mise en place de collectes et d'enregistrements des contes et chants populaires afin de les préserver de l'oubli.

Ponctué d'expressions en langue bretonne, le conte que nous rapporte Yves Pichon, figure majeure des années 60 parmi les porteurs de la mémoire orale bretonne, nous rappelle que la tradition orale, qui se transmet de bouche à oreille de générations en générations, est vivante et chaque fois réinventée. Le conte met en scène un jeune garçon, Bilzig, personnage que l'on voit réapparaître dans la littérature orale bretonne depuis le début du XIXème siècle. Ce récit d'apprentissage s'inscrit dans le paysage local d'autrefois, Bilzig évoluant entre la chapelle et le moulin, en passant par le château du comte. Dans ce portrait de la société rurale d'antan, le conteur nous présente des personnages du passé souffrant de la pauvreté, marqués par les superstitions populaires et par la foi chrétienne. Parmi les pratiques traditionnelles, la coupe des ajoncs à la faucille et l'usage des sabots de bois cirés ont disparu tandis que certains autres aspects de cette société ont perduré tout en se transformant. Le conte nous rappelle ce qu'était véritablement le fest-noz, avant sa réinvention sous la forme actuelle à partir des années 60. Danse du terroir, le fest-noz réunissait les agriculteurs à la fin d'une journée de dures labeurs, telles que le ramassage des pommes-de-terre.

À travers la fiction, le conteur met en œuvre tout son art et son inventivité pour ouvrir les yeux sur la réalité contemporaine. Le conte nous parle par exemple de ce qui se faisait et ne se fait plus, ce qui existait et qui a disparu. Ainsi, le talus incarne l'époque passée, et l'on ne manque pas d'évoquer sa disparition suite aux effets du remembrement, transformation du paysage rural qui marque la Bretagne agricole des années 60. Le conte populaire est porteur d'un regard contemporain non seulement sur la Bretagne d'antan mais aussi sur celle de l'époque, faisant preuve d'une conscience aigüe de la distance parcourue.

Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2

Bibliographie :

Fãnch AL LAY, Bilzig, Skol Veizh, 2003.

Pauline Jehannin

Transcription

Yves Pichon
Bilzig, c'était un gars qui était élevé par une mère très pauvre, c'était une mère qui mendiait qui, à l'époque, il fallait bien sûr, faire le porte à porte, c'était en Bretagne, il faisait ça par bande à l'époque. Il était terrible, il était costaud, il pesait dans les 250 kg, me disait-on. Et un jour, sa mère est allée chez le gros propriétaire d'à côté, demander la pitance aussi pour Bilzig et on lui répond, et bien je crois qu'à son âge, tout de même, il peut quand même maintenant travailler un peu aussi pour gagner sa croûte. Ah, la pauvre mère revient à la maison désolée, complètement désolée et elle dit, mon pauvre Bilzig, il va falloir que tu travailles. - Travailler, moi ? [breton], jamais je ne travaillerai. Oh, la grand-mère qui avait une fervente foi chrétienne, elle lui dit, mon fils, que feras-tu alors ? - Eh bien, je me ferais voleur ! Oh, mon Dieu, dit la grand-mère, voleur mon fils, jamais. Ah si, qu'il dit Bilzig, je ne ferai rien d'autre que ça. Mais écoute, il dit à sa mère, si tu veux, fais les crêpes, puisque tu as là un peu de farine, qu'elle avait reçue dans la journée quand même, et va là à la chapelle, qu'il y avait à côté, et jette une crêpe par-dessus l'autel, tu demanderas au Saint, qu'est-ce que je ferais plus tard. La pauvre mère elle va, Bilzig il sort de son lit, il va à travers champs, il arrive derrière l'autel à la chapelle et sa mère arrive avec ses crêpes, [breton] elle dit, elle lance une crêpe, que fera mon fils ? Bilzig qui était derrière, [breton] qu'il dit, voleur ! Oh, la pauvre mère, elle rejette une autre crêpe encore, [breton], que fera mon fils ? [breton] (voleur). La mère désolée, sa douzaine de crêpes avait passé et toujours, c'était la même réponse. Et elle rentre désolée à la maison, en récitant son chapelet toujours par la route et Bilzig à travers champs, et quand la mère arrive à la maison, Bilzig toujours dans son lit. Ah, pauvre mère, qu'est ce qu'on t'a dit ? Oh, mon fils, tu m'avais bien dit la vérité, bien sûr ta destinée, c'est voleur, et pourtant, je suis désolée, parce que, ce n'est pas un honneur. Oh, qu'il dit Bilzig, ne t'en fais pas, on se débrouillera. Mais il faut que je cherche un peu de travail avant, qu'il dit, pour essayer quand même, il faut que je me lance un peu dans le métier. Et il va dans une ferme à côté, pas trop près quand même de chez lui, et puis il demande du travail. On lui donne une faucille pour aller couper de l'ajonc. Ha, qu'il dit Bilzig, qu'est ce que je vais faire avec cet instrument-là ? Il prend un vieux fusil qui est là, et puis il tape dans l'ajonc pour couper l'ajonc. Et, il effraie trois malheureux sangliers, qui étaient là, tranquillement là, il en voit un qui sort, il tire, il abat le premier. Il y en a un autre qui sort, il abat le second. Mais le troisième est resté là, il était accroché à la queue du second. Qu'est-ce qu'il a celui-ci dit Bilzig, il coupe la queue et puis ramène le sanglier chez lui par la queue comme ça, il enferme, il vient prendre les deux victimes qui étaient restées, puis dit à sa mère, tiens, voilà, qu'il dit, là il y a de la viande maintenant. Il avait porté les deux sangliers sur ses épaules, voilà il y a de la viande. Oui, dit la mère, il y a de la viande bien sûr, mais le pain ? Oh, ce n'est pas compliqué qu'il dit. Il y avait une scierie à côté, dans la forêt là, il va et prend un grand sac de soupe et remplit le sac de brindilles. Il était juste sur le coup de midi, il arrive au moulin, et puis il dit, oh meunier, je suis pressé, je veux de la farine. Ah, bien que dit le meunier, tu attendras bien, parce qu'on va à la soupe maintenant aussi. Ah, donnez-moi la farine, je n'ai pas besoin de son qu'il dit. Ah, bon, on lui donne sa farine. Et Bilzig qui rentre et jette son sac de brindilles là et puis il rentre avec sa farine. Il dit à sa mère, voilà, bon, on a maintenant de la farine. Ah oui, qu'elle dit la mère. Et alors, le comte du coin avait fait dire aussi que, il avait entendu parler de Bilzig, qu'est-ce que c'est celui là ? Oh, qu'il dit Bilzig celui-là aussi, je veux faire un tour au comte aussi pour voir. Alors il y avait les deux commis du comte qui gardaient les chevaux de course, il avait deux chevaux de course, pendant la nuit, il fallait les garder pendant la nuit dans le champ. Alors il dit, on va mettre les deux, comme ils avaient gardé les chevaux, les selles dessus, là toujours, Bilzig il n'en a pas à y mettre son nez. Ah, voilà les deux commis en train de garder les chevaux, mais, il y avait une fête de nuit comme nous disait monsieur le maire, là aussi, à l'issue de l'arrachage des pommes de terre, et voilà, il y en a un qui dit à l'autre, moi je crois que ma blonde, elle est là et en train d'arracher les pommes de terre. Certainement, qu'il dit, elle doit être là, mais attend je vais voir, si c'est ta bonne amie et là, je viendrai t'appeler. Et Bilzig était derrière le talus, bientôt, il n'y aura plus de talus avec le remembrement mais à l'époque, il y en a toujours. Alors, il arrive là, il voit sa blonde là, avec des sabots de bois comme les miens là, bien cirés, en train de faire la gavotte et Fanch qui rentre dedans aussi. Ah, mais, Bilzig ne perdait pas son temps, il était derrière le talus, il dit alors, eh, la mienne n'est pas là-bas, mais la tienne y est. Et voilà le second qui arrive, il pédale, il arrive là et il voit Fanch en train de danser là. Tu es ici en train de danser. Ah, je suis certain, qu'il dit, que Bilzig, il a fait le coup. Ils rentrent tous les deux, mais Bilzig pendant ce temps, il avait pris les chevaux, mais il dit, les selles, ça ne m'intéresse pas. Il prend les selles, il fait des tringles de bois, il met les selles dessus. Et ceci à l'époque, il n'y avait pas des piles électriques, ni rien, ils étaient avec leur boîte d'allumettes, c'était une nuit de tempête comme il y a eu ces derniers jours, ici sur la Bretagne. Avec la boite d'allumettes, Ah qu'il dit Fanch, ça y est, j'ai trouvé le mien, et il monte sur la selle sur la tringle de bois là, et son copain pareil, ils retrouvent leurs chevaux, soi-disant. Ils étaient sur les tringles de bois là, à moitié endormis, ah, heureusement qu'il dit que Bilzig n'est pas passé. Au petit jour, il y a le comte qui vient avec sa lanterne tempête, ah, [breton] qu'il dit. [breton] deux cochons, qu'il les appelle, c'était sa façon de parler et un peu au comte, parce qu'il se permettait tout aussi. Ah, non, qu'il dit, c'était Fanch le premier commis, le grand commis. Le comte lui s'approche, sur quoi vous êtes perchés là tous les deux ? Et il balance Fanch par terre. En effet qu'il dit Fanch, il nous a roulés, certainement, il a dû nous prendre de force sans qu'on s'est aperçu, ils n'ont pas dit qu'ils avaient été au fest-noz. Bon, dit le comte, ça c'est une histoire, mais maintenant, Bilzig, s'il peut prendre le drap dans le dessous de ma femme et moi le soir, ah ben ce coup-là, je lui donnerai de l'or, qu'il dit. Alors, on faisait dire ça à Bilzig par quelqu'un d'autre, alors, voilà que Bilzig a su le truc. Comment je vais faire ça, qu'il dit, ah, je vais faire un bonhomme en paille, puis mettre une grosse pierre au milieu, de façon à ce qu'il soit un peu lourd et je vais me planquer dans la cour du château à la tombée de la nuit, c'était en hiver. Voilà Bilzig qui fait son bonhomme, il savait que le comte le guettait aussi là haut, bien sûr, de sa fenêtre dans son château. Alors, Bilzig quand tout le monde avait éteint leur lumière là, ils s'étaient couchés, Bilzig qui avance un peu son bonhomme. Le comte était là avec sa femme. Ah, je l'ai loupé ce coup-ci, Bilzig il avait baissé le bonhomme aussitôt aussi. Voilà, Quand il relève un peu, le comte il épaule encore, Bilzig rebaisse. Au bout de quelques minutes, il relève encore son bonhomme de paille et voilà, pan ! Allez Bilzig, il laisse tomber avec la pierre, ça fait un sacré bruit. Ah, qu'il dit à sa femme, je l'ai eu, qu'est-ce que je vais faire, je ne vais pas pouvoir l'enterrer moi-même. Oh, qu'elle dit sa femme, dans la prairie là [breton] ça ira tout seul dans la prairie. Oh, ben, il s'habille en vitesse et puis, il prend par le fond de la culote du paillasson et puis il le traîne un peu, oh, il est lourd quant même ce Bilzig là qu'il dit. Il va faire un trou dans la prairie, mais Bilzig pendant ce temps, il va dans le château et puis, mais oh, il ne fait pas chaud ici, qu'il dit à la femme du comte. Il rentre dans le lit et puis, il prend le drap et peut-être qu'il avait embrassé la femme du comte, encore je n'en sais rien, l'histoire ne le dit pas. Et voilà, il tire le drap petit à petit, et puis il dit, je vais finir de l'enterrer maintenant qu'il disait à la femme. 5 minutes après, il y a le comte qui arrive, ah, maintenant, on ne parlera plus de Bilzig car je l'ai enterré, mais il fait froid. Ah, ben, qu'elle dit la dame, il fait froid, il y a 5 minutes, tu viens de partir, tu me dis qu'il faisait froid et que tu allais finir de l'enterrer. Quoi ? qu'il dit, il allume, il n'y avait plus de drap en dessous de la femme, ah, qu'il dit, il m'a eu Bilzig, ça, qu'il dit, c'est bien joué quand même.