Jacques Prévert et Brest

25 juillet 1964
08m 12s
Réf. 00342

Notice

Résumé :

A l'occasion de la sortie du film Ce Brest dont il ne reste rien, Jacques Prévert, qui aime le Finistère, évoque ses souvenirs de Brest, Ouessant et Locronan. Il revient sur son poème Barbara dans lequel il dénonce la guerre qui "abîme les villes".

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Date de diffusion :
25 juillet 1964
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Personnalité(s) :

Éclairage

Jacques Prévert présente le film documentaire Ce Brest dont il ne reste rien, produit par la ville de Brest pour évoquer la renaissance de la cité bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans cette interview du 25 juillet 1964, il parle de la ville juste après le bombardement. Il a ainsi été témoin de spectacles désolants et parfois surréalistes. Il se souvient de cette voiture accrochée au quatrième étage d'un immeuble sinistré, mais aussi de la vie qui reprend avec cette fête foraine au milieu des décombres. Il évoque le bateau endommagé reliant Brest à Ouessant, remplacé par un thonier. Il fait part de son attachement à la ville de Brest malgré ses origines nantaises. Il confie son admiration pour le Finistère " le plus beau pays "  à ses yeux. C'est avec émotion qu'il raconte son escapade à Locronan avec le peintre surréaliste Yves Tanguy. Il compare Brest à d'autres villes sinistrées comme Hambourg ou Dresde où l'on a fini par brûler les morts trop nombreux pour être enterrés. Il justifie ainsi son cri de révolte : " Quelle connerie la guerre ! " exprimé dans son poème extrait du recueil Paroles, il s'explique aussi sur le choix du prénom Barbara pour le titre de ce texte. Enfin il se remémore la rue de Siam avant guerre " une rue chaude " malheureusement devenue, après la reconstruction : " un grand boulevard glacé ".

Cet entretien émouvant révèle un artiste d'une grande sensibilité proche des hommes mais désemparé face à leurs " massacres et projets de massacres ".

Marie-Cécile Urvoy

Transcription

Présentatrice
Chers amis téléspectateurs de l'Ouest, bonjour ! Ce Brest dont il ne reste rien, c'est Jacques Prévert qui l'a dit et c'est Jacques Prévert lui-même qui nous présente le film que la Ville de Brest nous propose aujourd'hui.
Interviewer
Prévert, la Ville de Brest vient de réaliser un documentaire sur sa renaissance et elle a choisi pour titre une phrase de l'un de vos poèmes, je cite : " Ce Brest dont il ne restait rien ", vous souvenez-vous de ce Brest de 1944, après sa destruction ?
Jacques Prévert
Oui, parce que, précisément, de même que j'étais allé tout juste avant le bombardement de Brest, je suis allé le plus vite possible avec des amis, après. Et j'ai vu que, peut-être j'avais exagéré en écrivant qu'il n'en restait rien, mais je dois dire qu'il ne restait pas grand-chose. Je me rappelle surtout de la rue de Siam, il y avait une voiture accrochée au quatrième étage et partout c'était épouvantable. Mais il y avait la vie, il y avait une fête foraine déjà qui reprenait et puis, aussi, on était venus pour retourner à Ouessant. Et l'Enez Eussa, le bateau d'Ouessant, lui, il avait été endommagé par la dernière conflagration mondiale. Et alors, c'était un autre bateau, un thonier, qui faisait le voyage, ce qui fait que je me rappelle, je m'en souviens très bien.
Interviewer
Depuis quand connaissez-vous Brest et quels autres souvenirs vous y rattachent ?
Jacques Prévert
Je connais Brest depuis très longtemps, depuis des années, je suis un peu breton, bas breton, c'est-à-dire, je suis moitié breton de Paris, moitié auvergnat de Paris, né à Neuilly-sur-Seine. Mon père me disait qu'il n'était pas un vrai breton puisqu'il était de Nantes, qui a beau être la capitale de la marine à voile et du muscadet ;
Interviewer
Oui !
Jacques Prévert
Ce n'est pas tout à fait la Bretagne pourtant la Loire inférieure, ah ! Oui c'est vrai ça s'appelle Atlantique maintenant, c'est supérieur. A cette époque, la Loire inférieure était belle aussi. Le Morbihan aussi. Et puis plus tard, j'ai connu le Finistère, et puis également plus tard j'ai voyagé. Je n'ai pas fait le tour du monde mais j'étais dans différents pays. C'est le Finistère que je trouve le plus beau pays, expliquer pourquoi serait très long, mais Brest, c'est une ville toute particulière, Brest. Pas seulement parce qu'on allait prendre le bateau pour aller à Ouessant, mais Brest, c'était Brest ! Et, à ce moment-là, souvent, j'allais dans le Finistère avec le peintre Tanguy - peintre Tanguy qui est mort aux Etats-Unis - et on allait là. Ils avaient une petite maison à Locronan, Locronan ce n'était pas loin. Puis c'était vraiment aussi le Finistère, la Bretagne. Il y avait un clochard - pas un clochard parce qu'il n'y en a pas par-là, c'est autre chose. C'était un vieux de la marine qui vivait sur le four du boulanger, et alors - Flaneur il s'appelait - et souvent on sortait avec lui. Et puis une fois on l'a emmené à Brest, ça faisait des années, qu'il n'était pas allé à Brest, cela peut être en 22-23, il était content comme tout. Mais il ne voulait pas être invité, il ne voulait pas être en reste avec nous, alors il avait amené son crabe, il était allé à la cuisine du restaurant et il a dit, faites-moi cuire ça pour ces messieurs qui mangent avec moi.
Interviewer
En quelles circonstances avez-vous écrit votre poème Barbara ?
Jacques Prévert
En général quand on me pose une question je dis, je m'en souviens plus, mais là je me rappelle très bien, c'était pendant cette guerre, c'est peu après le bombardement. J'habitais le quinzième arrondissement, j'étais triste à cause de cet événement, après j'étais moins triste quand j'ai appris qu'il n'y avait pas tellement de vies humaines disparues. Puisque d'autres bombardements... parce que j'ai écrit. En même temps, on m'a un peu reproché d'avoir dit : "Quelle connerie la guerre" alors que la guerre n'était pas finie, j'ai dit, il fallait peut-être attendre qu'une autre commence, j'ai pas changé. On peut expliquer naturellement, les gens vous diront, "c'est une sale guerre", "c'est une bonne guerre" ou "c'est de bonne guerre" ou "à la guerre comme à la guerre", on ne dit jamais "à la paix comme à la paix". Un jour peut-être on dira cela. Mais, puisque nous sommes à la télévision, ça ne me paraît pas en prendre le chemin. Parce qu'en général, les actualités télévisées, ce n'est que massacres, sans arrêt, ou projets de massacres, c'est-à-dire nouvelles inventions fort intéressantes pour le progrès, voilà.
Interviewer
Et pourquoi Barbara ?
Jacques Prévert
Parce que d'abord Barbara, à Ouessant, j'ai connu des .... Il y avait plusieurs filles qui s'appelaient Barbara. Ce n'est pas spécifiquement un nom breton, dans le monde entier c'est un nom international, Barbara, puisqu'il y avait une vedette de cinéma qui s'appelait Barbara Stanwyck, une autre très jolie qui s'appelait Barbara Kenton, et c'est international comme un port, les ports sont internationaux. Brest, comme Hongkong ou Hambourg, ou Hambourg dont on peut dire alors qu'il n'en restait rien et je dois dire que "quelle connerie la guerre", ça concerne aussi bien le bombardement de Brest que celui de Hambourg ou celui de Dresde qui n'était pas un port, mais je crois que, 135000 morts, ils ne savaient plus où les foutre, ils les ont brûlés. Je ne dis pas que Brest a eu la chance mais, enfin, c'est bien que Brest revive, l'apparence heureuse.
Interviewer
Et en insistant, et si je vous demandais si vous avez connu une Barbara ?
Jacques Prévert
J'ai connu plusieurs Barbara, je les ai connues, pas au sens biblique du mot, non mais j'ai rencontré souvent des filles qui s'appelaient Barbara. Et je dois dire que j'ai souvent aussi reçu des lettres, d'un peu de tous les coins, qui me disaient "Barbara, c'est moi", ben je dis, oui pourquoi pas, je ne répondais pas parce que je ne réponds pas à toutes les lettres.
Interviewer
Pensez-vous retourner un jour très prochain à Brest ?
Jacques Prévert
Il n'y a pas longtemps je suis allé à Brest, c'était cet hiver, c'était en février, je dois dire que la ville a beaucoup changé. La rue de Siam qui était une rue chaude, dans tous les sens du terme, est un grand boulevard glacé, c'est désagréable.
Interviewer
Vous aimez moins Brest !
Jacques Prévert
J'aime Brest, de même que j'aimais Toulon. La guerre abîme les villes, les tord, les brûle. Les urbanistes ensuite viennent, c'est un autre travail.