Pierre-Jakez Hélias et Xavier Grall

08 juillet 1977
12m 05s
Réf. 00350

Notice

Résumé :

Sur le plateau d'Apostrophes, Xavier Grall et Pierre-Jakez Hélias débattent de leurs divergences sur la culture, les traditions et la défense de la langue bretonne. Le cheval couché de Grall est une réponse virulente au Cheval d'orgueil d'Hélias.

Type de média :
Date de diffusion :
08 juillet 1977
Source :
A2 (Collection: Apostrophes )

Éclairage

En 1977, Bernard Pivot invite, dans le cadre de "Apostrophes", son émission hebdomadaire, deux écrivains bretons : Pierre-Jakez Hélias et Xavier Grall. Cet épisode est resté dans les mémoires car il a posé sur la scène médiatique un contentieux entre deux façons de vivre l'identité bretonne. P.J. Hélias est un des auteurs les plus importants de ce siècle, auteur bretonnant d'abord, mais aussi " écrivain breton d'expression française ". Son livre Le Cheval d'orgueil publié en breton en 1975 puis peu après en français connaît un énorme succès en Bretagne mais également dans la Francophonie et dans les pays anglo-saxons (traduction en 18 langues). Pour autant, P.J. Hélias n'a jamais fait l'unanimité, notamment dans la mouvance bretonne et bretonnante - les militants de l'emsav - qu'il qualifiera d' " intellectuels " dans son livre. Cette méfiance est formulée explicitement dans le pamphlet Le Cheval couché, 1977, de Xavier Grall. L'émission en fait écho.

Revenons rapidement sur ces deux personnalités :

Pierre-Jakez Hélias (1914-1995) est né dans la campagne du Pays Bigouden. Grâce aux bourses des pupilles de la Nation il fait des études et obtient l'agrégation de lettres. Enseignant, il a bien d'autres "casquettes" : il sera dès 1945 rédacteur du journal Vent d'Ouest du " Mouvement de la Résistance Unifiée ", puis à partir de 1946 il dirigera une émission de langue bretonne qui sera diffusée par l'émetteur de Radio-Quimerc'h. Grand défenseur de la langue bretonne il animera toute sa vie des émissions en langue bretonne et il publiera en français et en breton de nombreux ouvrages : oeuvres dramatiques, cantates (Cantate du Bout du Monde - 1958), poèmes, théâtre, reprises de mythes et de légendes celtiques. Mais c'est Le Cheval d'orgueil, suivi en 1990 de Quêteur de mémoire qui le fait connaître au grand public.

Xavier Grall (1930-1981) : Au moment de l'émission, cet écrivain originaire de Landivisiau a quitté Paris où il était journaliste (à la Vie catholique et au Monde) pour retrouver la Bretagne. Ce retour a sans doute participé d'une recherche identitaire provoquée par ses enquêtes sur la Guerre d'Algérie. À partir de là, il construit une œuvre de littérature bretonne d'expression française tout en participant à de nombreuses aventures intellectuelles : avec Glenmor et Alan Guel, il est à l'origine des éditions Kelenn, où il publie Barde imaginé (1968), Keltia Blues (1971), La Fête de la nuit (1972), et Rires et pleurs de l'Aven (1978). Il écrira également dans le journal nationaliste la Nation bretonne.

La polémique naît lors de la parution du Cheval couché. Xavier Grall s'en prend à l'auteur du Cheval d'orgueil et plus particulièrement à l'épilogue qui semblait désavouer - mais de manière vague - certains intellectuels plus ou moins bretonnants qui sont traités de "bourgeois". Les reproches que Grall formule sont ceux exprimés par les jeunes militants de la gauche bretonne qui se sentant désavoués reprochent à Hélias sa "bigoudènerie", c'est-à-dire sa vision d'une Bretagne immobile, son localisme voire son clanisme.

Hélias est t-il passéiste ? Ses oeuvres mettent en scène un monde aujourd'hui disparu, celui de l'entre deux-guerres ou des années 50. Ses témoignages ont-ils alors une valeur ethnographique ? Lors du colloque qui lui a été consacré Rennes en 1999, Francis Favereau a réaffirmé sa connaissance intime du terrain, mêlé à son talent de conteur hors pair.

En savoir plus :

Francis Favereau (ss la dir.), "Pierre-Jakez Hélias, Bigouden universel" (colloque international de Rennes de 1999), revue Plurial n. 9, 2001 (170 p.)

Marie-Cécile Urvoy

Transcription

Bernard Pivot
Xavier Grall, cet ouvrage Le Cheval couché est fait de trois parties. Première partie vous racontez votre itinéraire, deuxième partie vous attaquez Monsieur Jakez Hélias et la troisième partie...
Xavier Grall
J'attaque Le Cheval d'orgueil.
Bernard Pivot
Vous attaquez Le Cheval d'orgueil, bon. Et puis la troisième partie, vous parlez de la révolution culturelle un peu aujourd'hui, ce que vous appelez les illuminés. D'abord votre itinéraire personnel. A l'âge de 40 ans, vous habitiez Paris, vous étiez journaliste très connu sur la place.
Xavier Grall
Oh ! Très connu, non... Ah !
Bernard Pivot
Si, si. Et vous avez tout quitté pour retourner en Bretagne ?
Xavier Grall
Eh oui, pourquoi pas, parce que j'ai, figurez-vous que depuis 10 ans, depuis 15 ans, je me bats pour ce pays, même quand j'étais à Paris. On peut se battre pour son pays à New York, à Sarcelles, j'habitais Sarcelles, moi. Il se trouve que j'en ai eu un peu marre de tout cela. Que j'aimais mon pays à un point tel qu'il a fallu que je revienne là-bas. Ca a été une démarche disons, charnelle tout à fait physique et spirituelle...
Bernard Pivot
Pour trouver des racines ?
Xavier Grall
Des racines, plus que des racines... Un champ, peut-être, une volonté de vivre et puis une... je ne sais pas, un chemin vers l'avenir, je crois. Vous savez la Bretagne, il y a la mer, ce n'est pas seulement la Bigoudenie, non, non, attention, il ne faut pas confondre.
Bernard Pivot
Mais c'est quoi la Bretagne ? C'est Botzulan seulement, c'est plus petit que la Bigoudenie.
Xavier Grall
Mon livre, c'est Botzulan seulement ?. Ah bon ? C'est votre avis.
Pierre-Jakez Hélias
Dans la mesure où le pays Bigouden...
Xavier Grall
Moi je parle de la Bretagne Monsieur, vous, vous parlez tout le temps de la Bigoudenie, alors ça me fait un peu rigoler !
Pierre-Jakez Hélias
Comment se fait-t-il que la France entière se soit reconnue dans ce que je dis de la Bigoudenie ?
Xavier Grall
La France entière moi je m'en fous moi, moi je parle de mon pays, aux bretons d'abord, et figurez-vous que même la France entière, peut-être elle va commencer à l'écouter aussi... grâce à nous, en partie.
Pierre-Jakez Hélias
Je vous le souhaite.
Xavier Grall
Et je vous remercie de ce côté-là.
Bernard Pivot
Bien, vous êtes, donc vous retourné en Bretagne et puis vous dites de cet ouvrage que c'est votre recouvrance ?
Xavier Grall
Eh bien oui, c'est un beau mot, il y a une rue à Brest qui s'appelait la rue de la Recouvrance, prolétarienne du reste. Et pourquoi était-elle prolétarienne cette rue ? Parce que la France a fait de Brest une ville militaire, que les militaires, comme on le sait, trouvaient à Brest leur petite bretonne. Mais on ne veut plus de ça en Bretagne. C'est terminé tout ça ! Et ma recouvrance, oui.
Bernard Pivot
Qu'est-ce que vous reprochez au Cheval d'orgueil ?
Xavier Grall
Qu'est-ce que je reproche ? Beaucoup de choses, je l'ai dit du reste. Il y a une partie que j'aime beaucoup, il y a toutes ces sociétés paysannes dotées d'une très grande noblesse, c'est admirable, que j'ai connu par ma mère en partie, pas comme Jakez Hélias. Mais je reproche la deuxième partie du livre de Jakez Hélias où il tire, en quelque sorte, des conclusions politiques, et tout est politique à partir d'un certain moment, surtout quand on tire à 400 à 500 000, je ne sais pas moi. Il y a forcément un impact politique.
Bernard Pivot
Est-ce que vous lui reprochez son succès ?
Xavier Grall
Ah pas du tout !
Pierre-Jakez Hélias
Je ne m'y attendais pas du tout d'ailleurs. J'en suis toujours un peu énervé.
Xavier Grall
Mais moi j'en profite du succès, pas pour moi, pour mon pays, parce que Monsieur Jakez Hélias ne parle jamais de la Bretagne, mais il parle toujours de...
Bernard Pivot
De la Bigoudenie.
Xavier Grall
De la Bigoudenie. Et il dit que, là mon Dieu, que le peuple breton il n'y en a plus, que même la langue bretonne, il ne faut pas l'enseigner, surtout pas que les intellectuels...
Pierre-Jakez Hélias
Alors là, Grall, quand même hein !
Xavier Grall
Mais vous dites ça !
Pierre-Jakez Hélias
Je me suis battu pendant 25 ans pour le breton à l'école, pour l'enseignement de la culture bretonne mais enfin vous n'avez qu'à regarder ce que j'ai fait, ça fait 30 ans que je me bats.
Xavier Grall
Ah bon ?
Pierre-Jakez Hélias
Et je mène le même...
Xavier Grall
Alors pourquoi dites-vous dans les dernières pages de votre ouvrage que, après tout, les intellectuels qui se mêlent de s'occuper de la langue bretonne ont tort ? Et pourquoi les intellectuels français s'occuperaient de la langue française ?
Pierre-Jakez Hélias
Je n'ai pas dit ça exactement, j'ai dit que, aujourd'hui la langue bretonne était en train de se diluer dans le peuple, ce que je regrette beaucoup d'ailleurs, mais que ça devenait maintenant un mouvement d'étudiant, c'est vrai ça. Seulement alors la qualité de la langue bretonne est différente, je ne dis pas qu'elle est supérieure ni inférieure, elle est différente c'est ça, il y a un avatar nouveau.
Xavier Grall
Vous dites qu'elle sera forcément inférieure parce que les intellectuels s'en mêlent, je trouve ça tout à fait étonnant, moi.
Pierre-Jakez Hélias
C'est-à-dire que jusqu'à présent, eh bien, il y a un breton nouveau qui se fait et je suis d'accord, il faut, nécessairement, mais il y a un certain nombre de choses que l'on a abandonnées et qu'il n'était pas du tout nécessaire d'abandonner. Parce que, quand on laisse des quantités de choses comme ça qui sont bénéfiques aussi bien pour la langue, pour la civilisation, même au point de vue social et économique, eh bien, on y perd, c'est ce que je veux dire.
Bernard Pivot
Revenons au cheval, vous dites de ce cheval, il est empaillé, il est couché, c'est un canasson fatigué.
Xavier Grall
Oui, c'est un peu rude, je vois que Monsieur Jakez Hélias est encore bien vivant et je m'en réjouis... mais tout de même, sa philosophie me semble tout à fait passéiste et, disons, dangereuse, politiquement parlant puisque c'est quand même un problème politique tout ça.
Bernard Pivot
Alors je vous lis, vous dites, je vous cite là : " Cette pitoyable dormition que nos contemporains ont aimé dans votre livre " ?
Xavier Grall
Parce que ça, ça ne vient pas d'Hélias, ça, c'est indépendamment du talent et du travail de Jakez Hélias. Mais je m'aperçois, moi, que... laissons tomber les [incompris], si vous voulez, si je puis dire ...
Bernard Pivot
On ne va pas les mettre de côté ?
Xavier Grall
Pas de côté, surtout pas, mais je m'aperçois que le succès de Jakez Hélias a été orchestré par L'Express, qui est l'organe quand même de la bourgeoisie française, la nouvelle bourgeoisie. L'attaché-case, et puis on met le Cheval d'orgueil dedans et puis on va voir les bretons dans une chaumière, dans une résidence secondaire, ah ben non !
Pierre-Jakez Hélias
Mais vous écrivez bien dans Le Monde, vous, Xavier Grall ?
Xavier Grall
Pourquoi pas ?
Pierre-Jakez Hélias
Eh oui, et je ne vous le reproche pas.
Xavier Grall
Tous les grands journaux ont des correspondants à l'étranger !
Pierre-Jakez Hélias
Voilà, alors pourquoi vous me parlez de L'Express ?
Xavier Grall
Ah non ! Je fais quand même une différence entre Monsieur Fourvet et puis Monsieur... Ecoutez, écoutez, ne parlons pas du direct... du député lorrain là...
Bernard Pivot
Ecoutez, non, écoutez venons-en aux choses essentielles. Ecoutez !
Xavier Grall
Le régionalisme, non, non !
Bernard Pivot
Ecoutez ! Moi, je vais vous lire des citations ! Non seulement vous vous en prenez, je pense, au Cheval d'orgueil, vous vous en prenez à Hélias, je vous prête vos citations : " Hélias est un être tombal, Hélias est plus proche du matou que de l'alezan, on peut être un bretonnant passionné et certes il l'est, et un médiocre breton. Un homme qui pleure sur un tombeau qu'il a contribué à édifier, il faut l'inclure dans cette cohorte assez minable de cette élite qui a trahi son peuple en étant fidèle à son clan ". Alors là c'est... ça ce n'est pas des querelles de journaux de Paris.
Pierre-Jakez Hélias
Là, vous êtes allé un peu fort.
Xavier Grall
Non, je ne crois pas, fondamentalement je n'ai pas eu tort.
Bernard Pivot
Alors dites-moi, pourquoi alors tout ça ?
Xavier Grall
Jakez Hélias, c'est certainement un excellent bretonnant, mais politiquement parlant, au point de vue... Le combat politique pour la Bretagne, il ne l'a jamais mené et il ne le mène pas, il ne veut pas le mener parce qu'il ne croit plus, pratiquement, à l'avenir de la Bretagne. Vous y croyez à l'avenir de la Bretagne ?
Pierre-Jakez Hélias
Sûrement ! Ça fait 30 ans que je me bats, et je vous rappelle qu'il y a 30 ans on était très peu nombreux, et chaque fois que je suis venu.
Xavier Grall
Vous dites, Hélias ! J'ai relu, figurez-vous avant de venir dans le train, je prends le train, pas l'avion, parce que le train ça me repose, j'ai relu les dernières pages du Cheval d'orgueil et vous dites carrément : " Y a-t-il ..." - vous posez la question, vous n'affirmez pas parce qu'il y a quand même un petit côté épiscopal qu'il faut assumer -
Pierre-Jakez Hélias
Je n'affirme pas parce que je ne tiens pas du tout à...
Xavier Grall
vous dites " Y a-t-il un peuple breton ? " Est-ce vrai oui ou non ?
Pierre-Jakez Hélias
Oui !
Xavier Grall
Ben moi je dis qu'il y en a un !
Pierre-Jakez Hélias
C'est une question que je pose, je ne réponds pas !
Xavier Grall
Et moi je dis qu'il y a un !
Pierre-Jakez Hélias
Moi je ne suis pas un prophète sinon on ne serait pas là, mais vous vous êtes un prophète !
Inconnu
Vous montez sur le chaudron de Kerivan et puis...
Yves Le Berre
Je voudrais poser une question à Xavier Grall, il y a un peuple breton. Quand vous en parlez, vous utilisez beaucoup de mots comme haut lignage, ancienneté, chevalerie, noblesse.
Xavier Grall
Et pourquoi pas ?
Yves Le Berre
Non, je constate simplement. Et puis par ailleurs il y a des endroits de votre livre ou alors tous les gens, tous les bretons nés après 1880 sont des lâches, des renégats, des pauvres types quoi !
Xavier Grall
Je n'ai jamais dit ça.
Yves Le Berre
Si, alors qu'est ce que c'est votre peuple breton là, avec quoi voulez-vous construire votre Bretagne ?
Bernard Pivot
Non, répondez ! Vous devez répondre à la question.
Xavier Grall
Il y a un truc que je voudrais dire, répondre à Le Berre et à Hélias en même temps. Il y a une chose que je reproche aussi au livre de Jakez Hélias qui a des côtés admirables, qui est très beau mais, il semblerait qu'il présente cette société là qu'il a connue, comme presque idéale, enfin que c'était vraiment une société pauvre, ce que je respecte - ça je respecte beaucoup la pauvreté - mais idéale, mais c'est pas vrai. Il y a eu aussi tout ce système de clan.
Pierre-Jakez Hélias
Mais c'est dit, mon livre parle tout seul, je ne vais pas parler à sa place.
Xavier Grall
Oui, mais vous avez l'air d'avoir [incompris] tout ça...
Pierre-Jakez Hélias
Non, pas du tout ! Non, justement c'est ce que je disais tout à l'heure, toute la France profonde, je parle de l'hexagone, enfin, toute la France profonde, y compris la Suisse et même l'Angleterre, c'est reconnu.
Xavier Grall
C'est la France profonde la Suisse vous croyez ?
Pierre-Jakez Hélias
Non, m'enfin je veux dire même la Suisse, la Belgique etc. Alors il y a quand même quelque chose, il y a des quantités de dénominateurs communs là-dedans. Alors moi ce que j'ai voulu faire, c'est défendre un peuple breton dont personne ne s'est jamais occupé, parce qu'au dix-neuvième siècle, c'était quand même des réactionnaires, des légitimistes et des nobles, qui s'en occupaient, mais alors vraiment de haut, n'est-ce pas ! Moi j'ai défendu le peuple, et au fond, c'est ça que vous me reprochez ? Vous m'avez reproché d'avoir fait un livre populaire, d'avoir fait un livre à l'honneur des hommes obscurs dont personne ne s'occupe. Vous vous êtes là-haut, vous êtes en train de vaticiner et les chevaux couchés ne vont pas vers la mer, il y a des quantités de [incompris] dans les grands arbres. C'est ce que disait Le Berre... Mais la Bretagne n'est pas seulement les paysans ! Ah ! Mais bien sûr.
Xavier Grall
Les marins, on ne les voit jamais dans le livre.
Pierre-Jakez Hélias
Ah ! Non parce que moi je n'ai pas l'habitude de parler des gens que je ne connais pas assez.
Xavier Grall
Ah ! bon. Mais vous aviez un magnétophone, vous aviez la radio, vous aviez tous les moyens à votre disposition.
Pierre-Jakez Hélias
Oui, bien sûr mais la radio et le magnétophone vous savez, ça change les confidences des gens, si vous aviez comme moi à traîner des magnétophones et même des carnets devant les gens.
Xavier Grall
Vous donnez peut-être involontairement une vision de la Bretagne qui me semble d'abord passéiste et ensuite tout à fait incomplète.
Pierre-Jakez Hélias
Elle n'est pas passéiste, le passéisme c'est la tarte à la crème de tous les gens qui ne veulent pas voir le fond du problème. Qu'est-ce qui est passéiste ? Je parle de mon enfance, moi j'estime que, un homme tant qu'il est vivant, vit au présent de l'indicatif, tant que je serai mort il n'y aura pas de passé.
Xavier Grall
Oh, ça c'est une phrase qui parle... de professeur...
Pierre-Jakez Hélias
Absolument pas ! Pas du tout ! Mais vous, vous parlez vous-même de votre itinéraire au début, est-ce que je vous reproche d'être passéiste, sous prétexte que vous parlez de ce que vous avez fait à Sarcelles ou ailleurs, pas du tout, vous avez strictement le droit de le faire.
Xavier Grall
Nous sortons forcément de quelque part !
Pierre-Jakez Hélias
Oui, bien sûr mais alors quand commence l'actualité alors Grall ?
Xavier Grall
L'actualité ?
Pierre-Jakez Hélias
Oui, c'est-à-dire que c'est le journaliste qui écrit dans le journal du matin qui est actuel, celui qui joue, qui a écrit dans le journal du soir précédent, lui il est passéiste. Alors les historiens sont passéistes. Les gens qui s'en vont au musée pour regarder les chefs-d'ouvre des temps passés sont des passéistes. Les types qui lisent Platon, qui lisent Hegel, qui lisent Marx et qui lisent Sartre sont des passéistes. Il faut lire Lacan ou les nouveaux philosophes, moi je veux bien !
Xavier Grall
Ce n'est pas ça le problème.
Pierre-Jakez Hélias
Mais ! Quel est le problème ?
Xavier Grall
Indépendamment de vous-même et de vos qualités et de vos défauts qui sont du reste très belles, il me semble que le succès que vous avez eu et que je salue du reste. Mais j'ai bien le droit de discuter parce que tout ça occulte toute une partie de la Bretagne que moi je crois vivante et ardente.
Bernard Pivot
Oui, mais vous lui reprochez beaucoup plus que cette occultation dans votre ouvrage. Vous dites ceci : " Jakez Hélias, vous faites du mal à votre pays, vous l'ouvrez aux faussaires, aux bateleurs, collabos non des fascistes, mais des démembreurs, remembreurs, brocanteurs, petits requins ou gros banquiers ". Alors, ce n'est pas seulement...
Xavier Grall
Ben c'est vrai !
Bernard Pivot
C'est vrai ça ?
Xavier Grall
Oui. Aussi indépendant du succès. J'ai toujours dit que, dans ce livre, que ce n'était pas une question de personne, que c'est une question de... Un best-seller, c'est quand même une chose politique, quoiqu'on en dise, c'est comme ça. Bon, moi, je vais voir qu'est-ce qu'il y a derrière ce succès-là.