Destruction du quartier Olivier de Serres à Villeurbanne
Notice
Le quartier Olivier de Serres à Villeurbanne était devenu un lieu de délinquance. Charles Hernu a obtenu le droit de le détruire. Le réhabiliter aurait coûté plus chère et n'aurait pas amélioré les conditions de vie des habitants.
Éclairage
À Villeurbanne, la cité Olivier de Serres (1959-1984) n'est pas isolée dans l'espace urbain. Implantés dans un quartier mixte composé d'habitations, d'ateliers et de petites entreprises, le long de la Rize, les six bâtiments de huit étages soit 336 logements de la cité Olivier de Serres (construite dans la rue du même nom) ont été édifiés par un entrepreneur privé, bénéficiant de prêts sans intérêt de l'État pour faciliter le logement des rapatriés d'Algérie. Le premier permis de construire avait été déposé en 1958, au moment où l'État se fait planificateur avec la création des ZUP (zones à urbaniser en priorité) et la définition de secteurs de rénovation urbaine, comme le quartier du Tonkin à Villeurbanne ou celui du quartier Paul Bert à Lyon (où sera construite La Part Dieu).
La cité est peuplée essentiellement de familles originaires d'Afrique du nord - en 1975, 2 238 personnes dont la moitié d'enfants de moins de seize ans. Au départ, ce sont des pieds-noirs et des harkis qui ont peuplé la cité. Les pieds-noirs sont partis dès que possible, une partie des familles de harkis est restée. Progressivement les travailleurs immigrés d'Algérie, du Maroc et de Tunisie remplacent les « rapatriés » d'Algérie qui s'installent, ailleurs, à Villeurbanne. Au recensement de 1968, il y dans la commune environ 750 « chefs de ménage musulmans nés en Algérie » (catégorie administrative surprenante à cette date dans un pays laïque) et plus du 1/3 d'entre eux sont logés dans la cité Olivier de Serres. Très vite il y eut des conflits entre le propriétaire et les locataires à cause des charges trop élevées et du non respect du cahier des charges (abords non aménagés, entretien non effectué) En 1968, la Compagnie Simon qui gère la cité Olivier de Serres entre en conflit avec la mairie dirigée par Etienne Gagnaire , maire divers-droite. Malgré de nombreuses interpellations du préfet de région pour obtenir des moyens policiers supplémentaires et des crédits rien ne lui est accordé.
Charles Hernu, élu maire d'union de la gauche, au printemps 1977 et député du Rhône en 1978, entreprit dès son élection d'éradiquer les problèmes existant à la cité Olivier de Serres et de le faire savoir. Il annonce en octobre 1977 la « suppression du ghetto » et le relogement individuel des familles. Par son entregent auprès des autorités administratives et policières, grâce à ses réseaux politiques et francs-maçons, Charles Hernu obtint, malgré sa position d'élu (socialiste) de l'opposition, l'appui du préfet de région et surtout des responsables des différents offices d'HLM de la Communauté urbaine lyonnaise. Les bâtiments sont ainsi rachetés pour une somme de 15 millions de francs au propriétaire par la Ville avec l'appui de ces offices d'HLM afin de pouvoir détruire progressivement les immeubles. Le permis de démolir la première barre a été signé le 21 septembre 1978 ; il est mis en œuvre en novembre. Charles Hernu a joué un rôle de facilitateur et d'accélérateur. La dernière barre fut détruite en 1984 (le coût total avec le relogement a été de 12 millions de Francs). C'est la première fois en France que ces moyens furent employés, c'est à dire une solution radicale aux problèmes par l'éradication d'une cité. Ne subsistent dans la dernière barre qui a survécu six ans (au lieu des deux prévues au départ pour la démolition), que les familles qualifiées de « lourdes », c'est-à-dire la plupart du temps très nombreuses (plus de 8 enfants) et difficiles à reloger ailleurs. Charles Hernu a eu une approche pragmatique, au cas par cas : les familles se voient proposer une solution de relogement dans un autre habitat collectif, soit à Villeurbanne, soit dans les communes limitrophes, Vaulx-en-Velin et Vénissieux.
La situation de « ghetto » qui s'est constituée très tôt est donc un produit socio-politique résultant à la fois de la dégradation du bâti par l'incurie du propriétaire, d'un processus de gestion du marché du logement par la préfecture et les différents organismes d'HLM, des logiques résidentielles des individus, et des grèves de loyers et des charges soutenues par des militants d'extrême gauche. L'opération de relogement/démolition est plus longue que prévue du fait aussi de la stratégie du refus à la fois des familles qui espéraient peser pour un relogement dans de meilleures conditions et du refus de collaborer des travailleurs sociaux qui considéraient ce relogement comme une éviction. La mairie changera le nom de la rue Olivier de Serres en rue Jacques Monod, le biologiste protestant membre du Planning familial.
Bibliographie :
- Catalogue d'exposition « Olivier de Serres, radiographie d'une ‘cité-ghetto' » et cartes des recensements réalisées pour le LARHRA par Jean-Luc Pinol.