Roger Planchon et la décentralisation
Notice
Roger Planchon, créateur du théâtre de la Comédie à Lyon et directeur du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne est un pionnier du monde du théâtre. Il s'exprime sur la décentralisation, son origine, les efforts qui ont été faits et ceux qui restent à faire.
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Éclairage
L'acteur, metteur en scène, auteur Roger Planchon (1931-2009), dresse au journal télévisé de la mi-journée le bilan de la décentralisation théâtrale, dont il fut un des principaux acteurs - précise t-il – en compagnie de Jean Dasté (1904-1994) à Saint-Etienne et Hubert Gignoux (1915-2008) à Rennes. En fait, entre 1946 et 1952, il y eut cinq centres dramatiques nationaux reconnus en province (Strasbourg, Rennes, Saint-Etienne, Toulouse, Aix-en-Provence). Leur mission a été de présenter un répertoire de qualité dans des villes qui étaient privées de théâtre et de former un public aux classiques, Molière et Shakespeare comme Pirandello et Tchekhov. Planchon fait de cette décentralisation théâtrale et culturelle le levier de la décentralisation administrative et socio-économique, car, dit-il, le pouvoir est avant tout « jacobin », même si de Gaulle et Malraux ont lancé un « défi incroyable » pour changer la diffusion de la culture.
Roger Planchon assoit sa démonstration sur le récit, maintes fois énoncé, de son parcours personnel, preuve de la force de transformation du théâtre. Né dans une famille modeste originaire de l'Ardèche, il est initié à la culture artistique par l'un de ses professeurs. Planchon fait ses premières armes dans une troupe de théâtre amateur qui devient rapidement professionnelle. Il revient sur ses débuts dans une salle lyonnaise installée rue des marronniers, à la place d'une ancienne serrurerie, dans une métropole qui n'avait alors qu'un seul théâtre, celui des Célestins recevant les troupes parisiennes en tournée. Le théâtre de la Comédie, animé par Planchon, est soutenu par une subvention du maire de Lyon, Édouard Herriot. En 1957, le successeur de ce dernier, Louis Pradel, qui n'aime pas les « saltimbanques », suspend la subvention. Le maire de Villeurbanne, Étienne Gagnaire, offre alors à Planchon le théâtre de la Cité, une salle de plus de 1000 places dans le Palais du travail et un lieu pour montrer ce qui plait au public – tels Les Trois mousquetaires d'après Alexandre Dumas plébiscités lors de la première, le 12 mai 1958 -, mais aussi pour faire découvrir des auteurs classiques – Molière ou Shakespeare - ou peu connus alors, comme Brecht ou Kleist. Planchon trouve là un espace à sa mesure. Il veut s'adresser à un public populaire par l'intermédiaire des syndicats, des associations et des comités d'entreprise en multipliant les interventions directes devant les portes des usines et des bureaux (c'est le rôle de l'acteur Jean Bouise).
La question du financement des troupes théâtrales, non abordée dans ce document, est cependant cruciale. Le théâtre coûte cher ; la gestion est complexe entre recherche des subventions - locales comme nationales (celle des Affaires culturelles) - et d'un public. Pour ce faire, un des outils a été la création d'abonnements à prix réduit pour les collectivités et les CE à partir de la saison 1960-1961. Le contrat de Roger Planchon à Villeurbanne prévoit l'organisation d'un spectacle tous les deux jours (créations et compagnies invitées) et une polyvalence artistique (théâtre mais aussi danse, ballets folkloriques, chansons, musique classique). Ainsi en 1963, le théâtre de la Cité de Villeurbanne avec 173 représentations a reçu 132 861 spectateurs. Une question fondamentale est celle des relations avec les municipalités. Roger Planchon le dit crûment dans une intervention au festival d'Avignon devant la fédération nationale des centres culturels communaux, le 28 juillet 1967 : « On nous parle sans arrêt de collaboration entre les municipalités et les créateurs. Tout cela est fini. Nous voulons le pouvoir. Pas de collaboration ; le pouvoir, c'est très simple ». Cette position tient aux débats interminables sur la direction des nouvelles maisons de la culture. En mai-juin 1968, c'est au théâtre de la Cité qu'est enterrée, par les directeurs des troupes de théâtre réunis ici à huis clos, la décentralisation première manière, celle qu'évoque Planchon dans son interview : le manifeste adopté le 25 mai 68 remet en cause un théâtre populaire qui veut élargir sans cesse son public et avance que les créateurs doivent jouer un rôle politique. Ces débats ouvrent en fait à une personnalisation parfois narcissique des hommes de théâtre. C'est sans doute la raison du mutisme (dans l'interview de 2007) de Roger Planchon sur ce nouveau paysage culturel ouvert après 1968. En 1972, le théâtre de la Cité de Villeurbanne devient le Théâtre national populaire.