Manufrance
Notice
Manufrance se meurt. Blaise de Saint Just, le dernier patron, a démissionné et les tensions avec les travailleurs sont de plus en plus fortes. Le dépôt de bilan semble inévitable.
Éclairage
En 1980, date du reportage, l'entreprise Manufrance est en grave difficulté économique malgré le soutien affiché de la municipalité dirigée par le communiste Joseph Sanguedolce (1977-1983). Le surnom donné à l'entreprise s'explique par son histoire quasi centenaire. La Manufacture d'armes et cycles de Saint-Étienne (MFAC) est fondée juridiquement en 1887 à partir d'une entreprise en nom collectif (qui fabrique des armes et des cycles) créée en 1885 par Pierre Blachon et Étienne Mimard ; ils s'installent quelques années plus tard sur un boulevard huppé de la ville industrielle qu'est alors Saint-Étienne, le cours Fauriel. Le premier associé meurt avant la Première Guerre mondiale et Étienne Mimard, qui a transformé l'entreprise en société anonyme, reste le seul maître à bord jusqu'à sa mort à 82 ans en 1944 ; le nom de Manufrance est alors adopté quelques années après le décès du fondateur. Ce dernier a créé le premier en France la vente de produits par correspondance et un tarif-album, « Le catalogue » diffusé à 800 000 exemplaires en 1913. La MFAC est spécialisée dans la production des fusils de chasse et des bicyclettes (sous la marque Hirondelle), des machines à coudre et à écrire. La plupart des produits vendus par correspondance étaient fabriqués à l'extérieur puis étiquetés avec le sigle MFAC et vendus au détail grâce au catalogue. En phase avec l'idéologie de la Troisième République, Étienne Mimard installe une direction centralisée et bureaucratique et une gestion de la main-d'œuvre qui vise par le contrôle et le paternalisme, à faire intégrer aux salariés les objectifs de l'entreprise – intégration en apparence réussie, jusqu'à la grande grève de 1937 dite « grève des cent jours » : le patron licencie tout son personnel et n'en réembauche qu'une partie, refusant de reprendre certains syndicalistes. L'histoire de cette longue grève perdure dans les mémoires stéphanoises, d'autant plus qu'après la Libération (qui coïncide avec la mort d'Étienne Mimard), les syndicats occupent une place de plus en plus importante ce qui aura pour conséquence de faire augmenter à la fois le nombre de salariés (plus de 3000 en 1960) et leurs salaires, mais aussi de creuser les déficits avec la crise du cycle et l'effondrement du marché colonial.
À partir de 1979, une série de directeurs tentent de redresser la situation financière en proposant une restructuration et des centaines de licenciements que refusent les salariés soutenus par la municipalité (qui est actionnaire de l'entreprise à la suite du legs d'Étienne Mimard). À l'imitation des salariés de l'entreprise Lip qui avaient en 1973 constitué un « trésor de guerre », « les Manufrance » mettent sous leur protection un stock de fusils...plus difficiles à vendre que les montres Lip.
Le reportage de TF1 du 10 septembre 1980 annonçait « l'agonie de la vieille dame du cours Fauriel ». Elle va durer cinq ans. Un essai de redressement est tenté avec la création d'une coopérative de production qui regroupent les salariés ayant mis leurs indemnités de licenciement dans le capital de la Société de Coopérative Ouvrière de Production et Distribution (SCOPD), mais en vain malgré le soutien de la municipalité, de la population stéphanoise et des gouvernements de gauche à partir de 1981. La société est mise en liquidation judiciaire en 1985, cent ans après sa création.