Les mirages de l'or blanc
Le début du XXe siècle : un potentiel à exploiter
Chamonix et Megève, villégiature d'une élite fortunée
Dès le début du XXe siècle, quelques villages de montagne font du tourisme hivernal un outil privilégié de développement économique. Chamonix en est l'archétype. La station attire une élite fortunée, qui dispose du temps et des moyens de séjourner dans un lieu retiré et exclusif pour s'y adonner à des pratiques de loisir encore confidentielles. Ski nordique, skating (patinage) et sauts divers ont alors du mal à concurrencer la simple promenade, à pied ou en ski-joëing (calèche). Ces stations dites de première génération sont généralement situées dans les vallées et ne disposent pas encore d'équipements spécifiques pour l'accès aux sommets avant l'entre-deux-guerres. Megève est la première à se doter d'un téléphérique pour les skieurs en 1933, alors que le ski alpin s'impose progressivement comme l'activité phare des stations.
Premières compétitions sportives
Très tôt, la concurrence française et suisse pousse les municipalités concernées à développer des politiques destinées à attirer et fidéliser une clientèle rare. Chamonix, là-encore, montre l'exemple et organise d'ailleurs en 1924 une semaine internationale de sports d'hiver qui, un an plus tard, sera requalifiée de Premiers Jeux olympiques d'hiver de l'histoire par le Comité International Olympique. L'organisation de compétitions internationales et l'invitation de champions réputés constituent alors des stratégies assez communes que le Grand Prix de Ski de Megève, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, illustre particulièrement bien.
Création de nouvelles stations
Dès la fin des années 1930, la saturation de ces lieux réservés, le recul de l'économie pastorale et l'engouement pour le ski alpin favorisent le lancement de nouvelles stations, construites souvent sur des sites quasiment vierges et en altitude cette fois. Val d'Isère ou l'Alpes d'Huez connaissent alors un succès rapide, mais dans la période de reconstruction qui suit la Libération, la nécessité de produire de l'événement pour se faire connaître conduit par exemple l'Alpe d'Huez à devenir une étape récurrente du Tour de France à partir de 1952.
Ces années sont marquées par des hésitations quant au public à attirer : faut-il démocratiser les sports d'hiver, comme le pense alors le Conseil Général de Savoie en lançant Courchevel en 1946 ? Ou convient-il plutôt de maintenir leur caractère élitiste ?
Les années 60 : la ruée vers l'or blanc
Les stations « skis aux pieds »
Dans les années 1960 et 1970, la réponse dominante ne laisse place à aucune ambiguïté. Les promesses du marché de la neige ne sont perçues qu'en tant qu'elles concernent une clientèle riche, urbaine, jeune, sportive et si possible étrangère. Cette doctrine provoque l'émergence d'un nouveau concept de stations, dites intégrées que l'on retrouve avec Flaine, Les Arcs, la Plagne ou encore Avoriaz.
La nouvelle station d'Avoriaz
Le reportage est consacré à la station de sports d'hiver dont Jean Vuarnet est l'initiateur : Avoriaz. Cette station est unique, les voitures y sont interdites, et tout a été conçu pour la pratique du ski. L'architecture a été voulue moderne mais adaptée au site.
Celles-ci sont généralement à l'initiative d'un seul promoteur et non plus d'une municipalité. Elles sont construites sur un espace vierge, en altitude, et privilégient une urbanisation spécifique qui sépare les flux d'arrivants véhiculés et les flux de skieurs de part et d'autre d'un ensemble immobilier souvent constitué de bâtiments de quelques étages. Ces stations faisant le pari du ski alpin comme principal intérêt des touristes, font de l'équipement des pistes un point essentiel. Au cœur des « Trente glorieuses », la disponibilité de capitaux et l'intérêt bien compris des banques d'affaires créent ainsi une offre sensée répondre à une demande croissante pour les espaces naturels et les loisirs actifs d'une population à hauts revenus.
La mainmise des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics n'y voient que des avantages et favorisent ce développement, notamment à travers les mesures du Commissariat Général au Tourisme et, surtout, de la Commission Interministérielle pour l'Aménagement Touristique de la Montagne créée en 1964. Installée à Chambéry, celle-ci définit bientôt un plan-neige destiné à rentabiliser la montagne. La conquête de l'or blanc suppose la construction de nouveaux domaines skiables, hyper équipés, qui doivent bénéficier d'abord au tourisme de séjour et aux résidences secondaires, au détriment des skieurs du week-end, habitant dans la région et moins fortunés.
Figures de champions
La réussite du système mis en place suppose par ailleurs qu'une propagande ciblée soit menée en direction de la clientèle potentielle. Les champions de ski, dont l'image est souvent associée à une station, jouent un rôle considérable dans ce schéma, ainsi que le montre l'arrivée de Jean Claude Killy et Marielle Goitschel à Val d'Isère en 1968 après leurs exploits olympiques de Grenoble.
La spirale du succès intègre enfin les fabricants de matériels de sports d'hiver et d'équipements comme Pomagalski, Rossignol ou Salomon, ces firmes implantées dans les Alpes et qui s'imposent précisément dans ces années comme des leaders mondiaux.
L'oscar de l'exportation 1970 attribué à une usine de fixations de skis d'Annecy
L'oscar de l'exportation 1970 a été remis à l'entreprise Salomon d'Annecy en présence de Maurice Herzog, député maire de Chamonix. Cette distinction est due à une gestion très moderne et une croissance constante de son chiffre d'affaires.
Les années 70 : repenser le modèle
Limites de la croissance
Dans les années 1970, toutefois, les convictions économiques et politiques qui avaient présidé au choix des stations de troisième génération sont confrontées à un bilan mitigé. L'offre ne correspondait en réalité qu'imparfaitement à la demande. Le Plan-neige qui prévoyait la construction de 150 000 nouveaux lits touristiques en montagne dans 23 stations anciennes et 20 stations nouvelles entre 1971 et 1975, ramène ses objectifs à 60 000 seulement. Bien qu'en 1974, 50 % des séjours soient toujours réservés au huitième de la population ayant les revenus les plus élevés, la non prise en compte des classes moyennes et la croyance en l'attrait du seul ski alpin obligent à repenser les politiques de développement et de promotion.
Nécessité de diversifier l'offre
L'essor remarquable du ski de fond, plus convivial, moins coûteux et porteur de valeurs écologiques, montre les limites de la mono-activité sur laquelle reposaient les stations.
Les caprices de la météo qui privent les pistes de neige pendant plusieurs hivers, provoquent aussi un transfert des touristes vers des destinations plus lointaines et plus ensoleillées, malgré l'arrivée des canons à neige qui s'imposent rapidement comme incontournables.
Cette crise touche bientôt l'industrie des articles de sports d'hiver et obligent les grandes sociétés à se diversifier et à délocaliser, avec des succès variables.
A partir des années 80 : diversification et gestion raisonnée
Variété des pratiques, variété des saisons
De cette fragilisation du marché de la neige ressort la nécessité, dans les années 1980, de repenser les stations en jouant davantage la carte de l'authenticité dans le choix des architectures, des matériaux et des couleurs.
Dans les stations de quatrième génération, le chalet s'impose sur l'immeuble, alors que les services et l'équipement prennent acte de la diversification des pratiques touristiques, certaines sportives, d'autres plus contemplatives. De même, à l'offre d'activités hivernales s'ajoute désormais une offre équivalente pour la période estivale. Chaque station définit une cible privilégiée, qu'il s'agisse de tourisme social et familial ou, à l'opposé, d'un tourisme pour les grandes fortunes étrangères. L'histoire de certaines stations comme Courchevel, ciblant désormais une clientèle de Russes aisés et dépensiers, montre d'ailleurs que l'on peut passer de l'un à l'autre.
Créer l'événement
Dans ce contexte plus diversifié, l'organisation d'événements constitue cependant toujours un moyen de promotion en direction des futurs touristes et d'animation des stations. En étant l'une des villes-étapes du Tour de France les plus souvent retenues dans l'histoire, l'Alpe d'Huez a ainsi acquis une notoriété mondiale.
De même, Autrans a fait de la Foulée blanche un outil promotionnel qui, malgré les aléas de la neige dans ses premières éditions, la place dans les hauts-lieux du ski de fond en France.
Un secteur somme toute fragile
Pourtant, l'événement ne garantit pas toujours le succès. Comme Chamonix en 1924 et Grenoble en 1968, le bilan qu'Albertville retire des Jeux olympiques organisés par la ville en compagnie de plusieurs stations en 1992 est mitigé.
Les retombées économiques des Jeux Olympiques d'Albertville, un an après
Un an après les Jeux Olympiques d'hiver de 1992, la ville d'Albertville dresse un bilan des retombées économiques pour la vallée de la Tarentaise en termes d'infrastructures et d'emplois. Les difficultés financières sont sensibles.
Aux espoirs considérables nés avec la désignation de la cité savoyarde pour accueillir le plus grand spectacle sportif de l'année ont succédé de nombreuses désillusions économiques. La ruée vers l'or blanc s'est essoufflée et des Jeux olympiques ne s'avèrent pas mêmes capables de la relancer.