Le Rhône, élément fédérateur
Introduction
Le Rhône est un cours d'eau charrieur d'images. « Fleuve-dieu » pour certains, « fleuve-roi », pour d'autres, il est l'homme puissant représenté sur l'arc de triomphe construit pour l'entrée d'Henri II à Lyon en 1548 (aux cheveux et à la barbe mouillés et tenant un timon afin de signifier qu'il est navigable) ou l'homme tumultueux sculpté aux pieds de la statue de Louis XIV, place Bellecour, par les frères Coustou en 1713. Il est également la source d'inspiration de nombreux artistes : poètes (tel Frédéric Mistral et son Poème du Rhône) ou écrivains (comme Bernard Clavel pour qui le cours d'eau est une « force vitale » et qui a trouvé dans ses mariniers les «seigneurs du fleuve »).
Mais de façon plus terre à terre, le Rhône peut être présenté comme un des éléments fédérateurs majeurs de la Région Rhône-Alpes. Tout d'abord parce qu'il est un élément partagé par chacun des huit départements de cette entité administrative parfois décriée pour son manque d'unité géographique (il les traverse ou les délimite tous). Ensuite, et surtout, parce qu'il crée entre ses riverains une communauté de vie organisée autour de son lit et des aménagements qui se sont donnés pour but de le maîtriser ou d'en tirer subsistance et profit. Enfin, le fleuve contribue également, en tant qu'élément de patrimoine, à la construction d'une identité commune nouvelle.
Le fleuve, un cours d'eau puissant et parfois tumultueux
Le Rhône prend sa source en Suisse, à 1753 mètres d'altitude, au glacier de la Furka, dans le massif alpin du Saint Gothard. Du Valais suisse à la Camargue française il parcourt 810 kilomètres et draine un bassin versant d'une superficie de 96 500 kilomètres carrés. Ce dernier est d'une grande diversité géologique et climatique et confère au fleuve une grande variété de régimes. Ainsi, des hauteurs alpines originelles à la mer Méditerranée, on peut distinguer cinq entités hydrographiques aux reliefs et climats distincts :
- Le « Rhône alpestre », de sa source au lac Léman, est un torrent de 165 km de long qui parcourt un relief élevé et accidenté (passant d'une altitude de 1753 m au départ à 370 m à la sortie du Léman, à Genève).
- Le « Haut Rhône français » fait 210 kilomètres du Léman à la Saône et parcourt des paysages contrastés : traversée du Jura et des Préalpes puis de la plaine de l'Ain. Il cesse à Lyon où la barrière du Massif Central, rompt sa course Est-Ouest pour lui faire adopter un axe Nord-Sud.
- Le « Rhône moyen » correspond au fleuve de sa confluence d'avec la Saône jusqu'à l'Isère (à proximité de Valence). Sur près de 110 kilomètres, le fleuve y longe le Massif Central, d'un côté, et les Préalpes de l'autre. C'est également la partie nord de la « vallée du Rhône ».
- De l'Isère à la séparation en deux bras du Rhône (à hauteur d'Arles), le cours d'eau devient le « Rhône inférieur ». Il court sur 160 kilomètres et rencontre de plus en plus les influences du climat méditerranéen. Il quitte alors les limites administratives de la région Rhône Alpes
- La séparation en deux bras marque alors le début du « delta » du Rhône, délimité par le « Petit Rhône » (au sud ouest) et le « Grand Rhône » (au sud-est) qui enserrent la Camargue.
Tout au long de sa course, le fleuve reçoit l'apport de plusieurs cours d'eau dont trois des quatre principaux (Ain, Saône et Isère) se joignent à lui au sein de la région. Associés à de nombreux affluents secondaires, ils contribuent à faire du Rhône un fleuve abondant, au débit le plus puissant de France (1700 mètres cube à la seconde en amont du delta). Cette abondance annuelle s'accompagne toutefois d'un régime complexe lié à la variété des climats et des régions traversées. Les alimentations glaciaires, nivales et pluviales se conjuguent en effet selon un rythme et un calendrier différents : régime nivo glaciaire avec hautes eaux d'été pour le Haut Rhône et pour l'Isère, régime océanique avec hautes eaux hivernales pour le Haut Rhône et le Rhône moyen (du fait des apports de la Saône et de l'Ain) puis, en aval, régime plus méditerranéen, avec forts étiages estivaux et crues rapides en automne, en particulier du fait des « épisodes cévenols ».
Ces variations de régime ont pu s'accompagner de crues importantes et parfois dévastatrices : inondations catastrophiques de 1840 et 1856, crues de 1957 en aval de Lyon, crues de 1910, 1928, 1944 et 1990 en amont de Lyon, crues de 1993 pour la Saône et le Haut Rhône, crues de 2003 en Rhône Inférieur (et Camargue)...
Le fleuve aménagé
Les sociétés riveraines du Rhône se sont longtemps adaptées au régime tumultueux du cours d'eau avant qu'une maîtrise technique suffisante ne leur permette de mettre le Rhône au service de la satisfaction de leurs besoins.
Le Rhône, pourvoyeur de ressources
Tout d'abord, par l'eau et les alluvions qu'il transporte, le cours d'eau est pourvoyeur de ressources. Ainsi, par sa nappe phréatique il alimente en eau potable les villes riveraines. Il est également fournisseur d'eau aux industries, que ce soit dans les processus de fabrication ou afin de refroidir les centrales nucléaires. Enfin, les terres limoneuses, qu'ont longtemps laissées ses crues, offraient un rendement agricole supérieur à la moyenne. Au XIXe siècle est apparue la volonté de tirer du Rhône une ressource d'irrigation. C'est également un des trois objectifs à l'origine de la loi d'aménagement du Rhône de 1921 (qui a donné naissance à la Compagnie nationale du Rhône). En 2007, l'eau prélevée sur le Rhône ou la Saône a permis d'irriguer 25 000 hectares dans la Drôme, 12 000 dans l'Ain, 5 000 en Isère, 4000 dans le Rhône et 3000 en Ardèche.
Le Rhône axe navigable
Pour la partie sur la navigation fluviale, se reporter au parcours sur « Les transports en Rhône Alpes ».
Le Rhône, fleuve énergie
Du XIXe siècle date également une autre vocation du fleuve : afin de tirer parti de la force motrice des cours d'eau, on aménage les premiers barrages couplés à des usines sur le Haut-Rhône - précurseurs en la matière - pour alimenter les sites industriels voisins. L'aménagement du barrage et de l'usine hydroélectrique de Cusset à Vaulx-en-Velin, réalisé en 1899, sert alors de référent.
En 1921 la loi dite « loi d'aménagement du Rhône » se donne pour objectifs de mettre en place des aménagements permettant d'améliorer la navigation sur le fleuve, d'irriguer des terres agricoles et de produire de l'électricité issue de la force motrice de l'eau. Le fleuve est donc mis à grande échelle au service de la nation afin de produire de l'électricité. Le programme d'aménagement mené par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) débute dès 1934 par le chantier du barrage hydroélectrique de Génissiat, achevé en 1946.
Après la Seconde Guerre mondiale, les considérables besoins en énergie du pays associés à la nécessité de faire redémarrer l'outil de production et à la volonté de faire de la France un pays « moderne à niveau de vie élevé » engendrent la mise en place d'une politique volontariste de développement de la production électrique. C'est d'ailleurs un des objectifs des plans de modernisation et d'équipement qui sont mis en place à partir de 1947 (le « plan Monnet » (1947-1952), fait d'ailleurs de l'électricité un des six secteurs prioritaires de l'économie française). Une seconde vague d'aménagements débute (dont l'imposant chantier du barrage hydroélectrique de Donzère Mondragon de 1950 à 1954) et s'échelonne jusqu'au milieu des années 1980. Aujourd'hui 19 ouvrages (barrages, centrales électriques et canaux de dérivation) ponctuent le fleuve, de la frontière suisse jusqu'à son débouché maritime.
Le nucléaire, dont les centrales ont été mises en service dès 1966, est lui aussi bien représenté dans la vallée du Rhône : le fleuve fournit l'eau nécessaire au refroidissement des centrales de Bugey dans l'Ain, Saint-Alban en Isère, Cruas en Ardèche et Tricastin dans la Drôme. Cependant, la question de l'avenir de ces structures nucléaires se pose : la durée de vie d'une centrale étant de 40 à 50 ans, le système nucléaire rhodanien devrait être remplacé entre 2020 et 2030.
Débat sur l'implantation des centrales nucléaires au Conseil régional
Au Conseil régional, un débat sur l'implantation des centrales nucléaires a eu lieu. Si l'aspect dangereux a été évoqué, les conclusions ont porté sur la nécessité de conserver cette énergie. Il a été décidé de l'implantation d'une nouvelle centrale à Saint-Maurice l'Exil.
Au total, les aménagements à vocation énergétique installés le long du Rhône dans la région font de Rhône Alpes une région énergétique majeure du pays : celle-ci produit en effet près de 120 térawatt-heure, soit 21% de la production totale d'électricité française. Seule la moitié de cette production est consommée dans la région.
Du « fleuve au service de la nation » au « fleuve patrimoine »
Cependant, la valeur du Rhône ne se limite pas aux bienfaits que les populations tirent de ses aménagements. Depuis la fin du XXe siècle, le cours d'eau est de plus en plus investi de valeurs culturelles et patrimoniales nouvelles. Cette redécouverte du fleuve est liée à de multiples prises de conscience : constat du fait que bon nombre d'aménagements se sont révélés préjudiciables à l'environnement (que ce soit en matière de paysage, de protection des espèces végétales et animales ou de qualité écologique des milieux aquatiques) et qu'il n'a pas pour vocation de servir de déversoir aux eaux usées, urbaines ou industrielles ; constat d'une coupure physique de plus en plus forte avec le cours d'eau (du fait de la correction du lit du fleuve dès le XIXe siècle afin de lutter contre les inondations ou afin de favoriser la navigation ; des aménagements productifs mis en place dans la deuxième moitié du XXe siècle ; de la migration de certains ports en dehors du centre de la ville, comme à Valence ou Lyon ; de l'occupation du lit majeur par des zones industrielles ou des axes de transport...), constat de la perte de mémoires autour d'activités liées à l'exploitation économique du fleuve et qui ont progressivement disparu...
La montée en puissance des préoccupations écologiques et l'émergence de nouvelles valeurs liées au Rhône (notamment autour des loisirs ou du souci de la beauté paysagère) concourent à faire de ce « fleuve-patrimoine » un vecteur nouveau de développement économique, social et culturel. Le cours d'eau est en effet devenu l'incarnation d'un patrimoine naturel en danger et, partant, à protéger : opérations de réhabilitation des lônes (bras morts du fleuve, participant à l'écoulement des eaux en crue et favorables à la biodiversité), protection des forêts alluviales, protection des îlots de nature au sein du lit du fleuve... Mais il est aussi porteur d'un patrimoine culturel lié à la persistance d'aménagements anciens : croix de mariniers, tours de bacs à traille, épis, digues et barrages anciens (résultant pour certains des travaux menés au XIXe siècle par l'ingénieur Girardon). Ce double patrimoine est porteur d'un nouveau rapport au cours d'eau fait de nouvelles fréquentations : multiplications des sentiers de découverte, itinéraire vélo du Léman à la mer (Viarhona, en cours d'achèvement), centres d'observation de la nature, pratiques sportives (comme sur le site de Saint-Pierre-de-Boeuf, à 20 kilomètres au sud de Vienne, qui s'est doté d'une rivière artificielle alimentée par les eaux du Rhône et qui propose sur une longueur de 700 mètres une rivière naturelle torrentielle pour des activités d'eau vive ; ou sur la base de Condrieu les-Roches, lieu de téléski nautique) et de baignade (à l'exemple du Grand Parc de Miribel-Jonage), développement de la croisière de plaisance (le port de l'Epervière à Valence est le plus grand port fluvial de ce type)... Ce nouveau rapport au fleuve est assez éloigné de la culture mythique du Rhône qui était celle inspirant écrivains et artistes aux siècles précédents.
L'aménagement du port de Valence
Le transport fluvial est en plein développement. Le port de Valence, longtemps cantonné au transport des céréales mise sur la diversification pour accroître son activité. Ceci entraîne la mise en place de nouveaux équipements, pour le chargement comme pour le stockage. Ils seront inaugurés vendredi.
Dans cet ordre d'esprit, de nombreuses communes ont mis en place des opérations de réappropriation des rives. C'est le cas à Lyon où, depuis 2007, une voie verte de 5 kilomètres a été créée le long des berges de la rive gauche du Rhône en plein centre ville. Ancien lieu de parkings, de circulation ou de quais de déchargement, ces berges sont devenues un espace privilégié pour la pratique des loisirs et des déplacements « doux » ainsi qu'un couloir végétal (espaces verts et plantations). Elles sont également un lieu de vie festif puisqu'elles hébergent de nombreuses péniches-guinguettes et un ensemble de manifestations ludiques.
Par cet aménagement, le Grand Lyon a concrétisé son souci de recréer du lien avec le fleuve. On peut cependant dater de 1991 l'affirmation d'une telle prise de conscience avec l'adoption par la Communauté Urbaine d'un « plan bleu » visant à protéger la ville des risques liés aux fleuves d'une part et à valoriser le paysage fluvial et ses milieux naturels d'autre part.
Les installations portuaires de Lyon
Le rôle industriel de Lyon génère de nombreuses activités dans les deux ports de Lyon, Rambaud et Herriot. Si le premier ne peut être agrandi, le deuxième est en voie d'extension. Le futur barrage de Pierre Bénite y aura aussi un impact important.
A un niveau plus global, de nombreux acteurs institutionnels, partagent désormais le souci de la protection de la valorisation du patrimoine fluvial. Ceci s'est matérialisé, dans les années 1990, par l'élaboration d'un premier « plan Rhône ». Celui-ci, désormais intitulé « Plan Rhône » (2007-2013), prend la forme d'un contrat de projet interrégional regroupant l'Etat, les cinq Conseils Régionaux riverains du Rhône et de la Saône et la CNR. Il a pour triple ambition de concilier la prévention des inondations, de respecter et d'améliorer le cadre de vie des habitants et d'assurer un développement économique durable de ce territoire. Son rôle ne doit pas être confondu avec celui du SDAGE (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux, élaboré par le Comité de bassin – organe regroupant les élus, l'Etat et les usagers) qui s'occupe de la gestion de la ressource en eau et des milieux aquatiques à l'échelle du bassin hydrographique Rhône-Méditerranée. Ces leviers sont aujourd'hui les deux principaux outils stratégiques de gestion du fleuve.
Enfin, l'existence de la Maison du fleuve Rhône témoigne de la volonté de valoriser ces nouveaux rapports au cours d'eau. Installée à Givors depuis sa création à la fin des années 1980 (elle s'appelait alors « Centre pour une Anthropologie du Fleuve ») elle s'est donné pour objet de traiter de l'histoire des relations de l'homme avec le fleuve et de le restituer au grand public sous forme d'expositions, ateliers...Elle se veut ainsi un lieu de constitution de la « mémoire » de ce « fleuve-patrimoine ».