La bourride de Gabriel Couderc
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Résumé
La recette la plus « sétoise » de la bourride est - d’après un pêcheur - celle de Gabriel Couderc, peintre et conservateur du musée de la ville. Juliette Couderc, son épouse, se rend aux halles pour acheter une belle baudroie préparée par le poissonnier. Gabriel Couderc, secondé par celle qu’il appelle affectueusement son garçon de cuisine
, prépare la recette devant la caméra. Le film se termine par la dégustation du plat avec l’équipe de tournage.
Date de publication du document :
21 déc. 2022
Date de diffusion :
07 janv. 1966
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ParDocteur en sociologie
Bourrido. Mets provençal, soupe que l'on fait en délayant de l'aiòli dans le jus bouillant de poissons cuits, avec du sel et des jaunes d'œufs, et en versant le tout sur des tranches de pain.
Ainsi parle Frédéric Mistral dans son Trésor du Félibrige [1], sans manifester peut-être une compétence culinaire aiguë. En passant de Provence en Languedoc, la recette n’a pas manqué de se transformer, au gré des ressources locales. Madame Couderc, qui fait le marché aux halles de Sète chez son poissonnier habituel, se fait préparer une queue de baudroie (ou de lotte), en veillant bien à la présence du foie.
Au domicile modeste des Couderc, le peintre qui travaillait dans son atelier, abandonne le pinceau pour le tablier de cuisine, et face caméra, détaille sa recette qu’il exécute avec l’aide de son épouse dans le rôle peu gratifiant du « garçon de cuisine ». Sa démonstration, très pédagogique, n’omet ni tours de main ni astuces qui font la réussite d’une recette.
Au-delà de l’utilité gastronomique non négligeable de cette vidéo in situ, il peut être plus intéressant de s’attarder sur certains de ses aspects anthropologiques. Le prologue suit Madame Couderc au rayon poissonnerie des vieilles halles de Sète. La foule qui se presse semble surtout désireuse de figurer dans l’objectif de la caméra. Mais le dialogue de Juliette avec la commerçante illustre parfaitement le petit théâtre des relations de la vie quotidienne, où se jouent des rapports de séduction, des mises en scène de soi-même et de petits mensonges qui font le sel de l’existence. C’est pourquoi Juliette Couderc laisse entendre qu’elle va préparer sa baudroie selon la recette que la poissonnière a bien voulu lui enseigner. La réalité sera évidemment tout autre.
Le reportage place en figure centrale le peintre Gabriel Couderc, né et mort à Sète (1905-1994), conservateur du musée municipal, et très au fait de tous les aspects de la vie locale. Couderc cuisinier illustre l’une des caractéristiques majeures des modes de vie sétois, la séparation des rôles et des espaces masculin/féminin. Cette ségrégation des genres est particulièrement marquée dans le phénomène des « baraquettes » du mont Saint-Clair, variante sétoise des cabanons marseillais ou des chambrettes provençales, lieux de refuge des hommes qui se retrouvent entre eux le dimanche ou les jours de fêtes, pour chanter, raconter des histoires en occitan, éventuellement faire de la politique, et surtout manger ensemble. Ce sont donc nécessairement eux qui font la cuisine et accommodent les produits locaux apportés pour l’occasion. On dit qu’au milieu du XIXe siècle, on dénombrait sur le Saint-Clair quelque 500 baraquettes gérées le plus souvent par des associations informelles ou des groupes d’amis [2]. C’est pourquoi Gabriel Couderc peut tranquillement affirmer que À Sète, tout le monde sait faire la bourride
, mais corrige immédiatement : Je pense que tout Sétois sait faire la bourride
, en mettant l’accent sur une compétence spécifiquement masculine.
Notons enfin que la qualité rare de ce reportage doit beaucoup aux réalisateurs. Frédéric-Jacques Temple, poète et directeur de la station de radio-télévision de Montpellier, et Madeleine Attal, comédienne et journaliste, sont des figures majeures de la vie culturelle montpelliéraine après la guerre. Ce sont eux, en fin de séquence, qui entrent dans le champ de la caméra pour déguster la bourride de Gabriel Couderc, accompagnée d’une bouteille de Clairette du Languedoc.
[1] Dictionnaire de la langue provençale du XIXe siècle, publié par l’auteur de Mireille entre 1879 et 1886. Mistral en indique également l’étymologie : du provençal boulido, chose bouille.
[2] Au début du Second Empire, Sète ne comptait pas plus de 20 000 habitants ; dans ces conditions, la plupart des hommes adultes pouvaient faire l’expérience des baraquettes, et s’initier à la cuisine. Même si l’urbanisation du Saint-Clair a progressivement raréfié ces cabanons, cette initiation sociale n’a pu qu’imprégner durablement la conscience collective locale.
Transcription
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