La Sécurité sociale dans le parcours d'une vie

Vincent Poubelle - Ancien responsable de la direction Statistiques, Prospective et Recherche de la Cnav

Introduction

La Sécurité sociale, bien que née avec les ordonnances de 1945, n'est qu'au début de son existence. Les nombreux documents présentés dans la fresque relatent les principaux événements et évolutions au cours de cette «vie». Certains dispositifs de protection sociale préexistaient, mais leur « couverture » était très partielle, en termes de « risques » et de population bénéficiaire. De même, la cellule familiale - au sens plus large du terme qu'actuellement - permettait de répondre à certaines situations (orphelins, vieillards, malades, etc). Ces « protections » reposaient donc le plus souvent sur les principes de charité ou de solidarité inter-générationnelle. La profonde transformation de la société du XIXe siècle avec l'industrialisation, l'exode rural, a rendu ce type d'aides encore plus insuffisantes et inadaptées au développement social et démographique en marche, et au parcours de vie des individus et des familles.

Ce parcours propose de raconter la vie d'une personne en la mettant en relation avec la Sécurité sociale.

Nul, ou presque, ne peut se prévaloir de n'avoir jamais, au cours de sa vie, bénéficié de prestations, d'aides, d'une assurance (« couverture ») de la part d'un organisme de Sécurité sociale.

Imaginons la vie d'une personne qui aurait été en parfaite santé, protégée de tout aléa, malheureux ou bénin - et même heureux telle la naissance d'un enfant -, aléa qui n'aurait généré aucune action de la Sécurité sociale, et qui aurait bénéficié de revenus suffisant pour subvenir à ses besoins matériels. Cette personne a néanmoins bénéficié d'une « couverture » maladie, d'une assurance que les dépenses élevées d'une hospitalisation génère le plus souvent. Cette personne a également bénéficié de cette assurance, avant et au moment de sa propre naissance, par une surveillance médicale en plus des allocations. Mais il s'agit sans nul doute d'un cas rarissime.

Prenons plutôt alors l'exemple, toujours théorique, d'une vie qui n'aurait rien d'exceptionnel en termes d'événements et d'aléas, celle d'Annie.

L'enfance et l'adolescence

Arrivée en 1960 et deuxième enfant, Annie apprend bien plus tard, évidemment, que sa naissance permet à ses parents, en plus des allocations prénatales, de voir leur ressources complétées, certes modestement, par des prestations familiales, pour aider à l'entretien des enfants depuis leur plus jeune âge et tant qu'ils sont à charge. Annie a la chance d'avoir une enfance sans problème de santé, hormis les maladies communes de son âge, dont les frais sont remboursés.

 La revalorisation des prestations familiales

La revalorisation des prestations familiales

Le volet “Famille” de la Sécurité sociale est un élément important de solvabilité des familles pour la santé et l'éducation des enfants. Les prestations familiales font l'objet de revalorisations, le plus souvent annuelles, pour tenir compte - entre autres - de l'inflation.

14 nov 1961
02m 25s

Annie atteint la majorité, fait 3 années d'études, qu'elle finance en partie en exerçant des "boulots" d'étudiant pendant les vacances de ces 3 années de formation.

L'entrée dans la vie active et familiale

La chance continue de lui sourire car elle trouve un emploi facilement, malgré les premiers effets de la crise économique des années 1970. Elle vit alors maritalement avec Jean-François avec qui elle a un premier enfant en 1985, Elsa. Examens prénataux, allocations liées à la naissance sont l'occasion des premiers contacts d'Annie avec la Sécurité sociale. Le premier changement de logement est également l'occasion pour la famille de bénéficier d'une allocation logement. Elsa peut s'initier à la vie en collectivité grâce à une place en crèche, obtenue suffisamment vite pour permettre à Annie de retravailler très rapidement. Les parents d'Elsa ignorent que la crèche bénéficie d'une subvention (« prestation de service », financée par le fonds d'action sociale des Caf).

 Le premier hôtel maternel en France

Le premier hôtel maternel en France

La création de crèches, de garderies, la garde d'enfant à domicile se sont développés grâce aux aides accordées, collectives ou individuelles. Ce mouvement a sans nul doute facilité l'activité professionnelle des femmes et favorisé le choix d'une double activité au sein des familles.

05 oct 1965
53s

La même année, le frère d'Annie a moins de chance avec son deuxième enfant atteint d'un handicap sérieux qui oblige sa mère à rester auprès de lui. Une allocation d'éducation spéciale est attribuée par la Caf. Les conséquences de la parenthèse professionnelle de la mère sur les droits à retraite sont compensées par une validation de trimestres de durée d'assurance (au titre de l'Assurance vieillesse des parents au foyer). Une fois majeur, cet enfant bénéficie de l'Allocation aux adultes handicapés.

 Une loi importante pour les personnes handicapées

Une loi importante pour les personnes handicapées

La loi du 30 juin 1975 sur le handicap est une avancée sociale importante, car elle reconnaît les droits des personnes handicapées dans la société et leur procure des aides favorisant une certaine indépendance et de meilleures chances d'insertion professionnelle. Pour les personnes âgées, les hospices seront transformés en maisons de retraite médicalisées.

28 sep 1974
01m 29s
 Une loi pour les handicapés

Une loi pour les handicapés

Le projet de loi d'orientation en faveur des handicapés (loi votée par la suite le 30 juin 1975) détaille les deux aides en faveur des personnes mineures et majeures, qui visent d'une part à aider les familles et à financer leur séjour en établissement, pour les mineurs, et d'autre part à assurer une certaine indépendance financière et de meilleures conditions d'insertion professionnelle.

13 déc 1974
02m 26s

L' « âge mûr »

En 1988, Annie et Jean-François ont leur deuxième enfant, Vincent. Jean-François hésite à arrêter de travailler une année pour élever les enfants - la situation professionnelle d'Annie est trop risquée pour oser une interruption momentanée de son activité. L'allocation parentale d'éducation permet en effet au conjoint qui choisit de s'arrêter pour élever un ou des enfants - jusqu'aux trois ans de l'enfant - de bénéficier d'une allocation. Mais finalement ils décident d'acquérir un logement plus adapté, d'arrêter leur location, et de conserver deux salaires pour le financement de leur projet. Contrairement à ce qu'ils pensaient, ils peuvent continuer à percevoir une allocation logement - en tant qu'accédant à la propriété, cette fois.

 Une nouvelle allocation logement : l'APL

Une nouvelle allocation logement : l'APL

Une réforme du logement va avoir lieu prochainement. Son objectif : permettre à tous de se loger dans de bonnes conditions. Une nouvelle allocation, l'aide personnalisé au logement, sera mise en place.

18 juil 1977
02m 40s

Ils n'ont pas pas pu avoir de place en crèche pour Vincent, et font appel à une nourrice. Les cotisations sociales pour cette dernière sont prises en charge au titre de l'allocation de garde d'enfant à domicile (Aged, créée en 1987).

Si l'enfance et l'adolescence d'Elsa et de Vincent se déroulent sans accident ni maladie notable, les frais courants concernant leur santé, prévention et suivi médical, soins dentaires et optiques, par exemple, font l'objet d'une prise en charge par la Sécurité sociale.

En 2008, Elsa doit aller à la métropole régionale pour commence ses études universitaires, sa colocation donne droit à une allocation logement étudiant.

En 2010, Annie reçoit de la Carsat un relevé de carrière. Elle découvre avec surprise que les petits boulots effectués 35 ans auparavant comptent dans le décompte de trimestres, 4 trimestres, en tout. En y regardant de plus près, ses deux enfants lui ajoutent 16 trimestres supplémentaires. Elle qui pensait qu'elle allait devoir partir en retraite à 70 ans, et/ou qu'elle n'aurait pas de retraite - préjugé déjà fréquent à l'époque, après les réformes de 1993 et de 2004 -, la voilà un peu rassurée... Même si elle sait que d'autres réformes viendront, comme celle qui est en discussion à l'Assemblée nationale fin 2010.

 La réforme de 2010 d'Eric Woerth

La réforme de 2010 d'Eric Woerth

La principale mesure de la loi de réforme des retraites du 9 novembre 2010, portée par le Ministre Eric Woerth, recule l'âge de la retraite de 60 ans à 62 ans. Elle contient également des dispositions visant à rapprocher différents régimes (fonction publique, régimes spéciaux) du Régime général et des régimes alignés.

16 juin 2010
02m 03s

En 2012, le père d'Annie décède. Depuis de nombreuses années, avec des hospitalisations régulières, il était atteint d'une maladie chronique dont les frais médicaux très élevés ont été couverts au titre d'une « affection de longue durée » (ALD). Sa femme, n'ayant qu'une très faible retraite, se voit attribuer une pension de réversion, calculée sur les droits à retraite de son mari par les différents régimes auxquels il a cotisé. Elle change de logement pour se rapprocher d'Annie et de Jean-François.

Son état de santé, fragile, et son âge, rendent utile de vérifier ses capacités à exercer de manière autonome les actes de la vie courante, pour envisager ou non une aide. Annie fait donc les démarches auprès du service d'action sociale de la Carsat pour obtenir une évaluation (grille Aggir). Une aide sous forme de chèques emploi-service est accordée, pour financer quelques heures d'aide-ménagère par semaine, son autonomie restant à ce stade de niveau suffisant.

En 2015, année de ses 55 ans, Annie analyse l'estimation indicative globale (EIG) qui lui a été envoyée et qui reprend les différentes composantes de sa retraite (Régime général, régimes complémentaires). Elle devrait pouvoir atteindre le nombre de trimestres requis pour pouvoir partir à l'âge légal, 62 ans, en 2022, sous réserve que sa carrière continue de ne souffrir d'aucun arrêt, et si la prochaine réforme ne durcit pas trop les règles.

 Réforme des retraites de Marisol Touraine, loi du 20 janvier 2014

Réforme des retraites de Marisol Touraine, loi du 20 janvier 2014

La loi du 20 janvier 2014 « garantissant l‘avenir et la justice du système de retraite » augmente la durée d'assurance requise pour une retraite à taux plein à l'âge légal et diffère de six mois la revalorisation annuelle des pensions. En contrepartie, elle maintient la date de revalorisation du minimum vieillesse et améliore les conditions d'acquisition des droits retraite pour les personnes à faibles revenus et les jeunes.

26 nov 2013
01m 45s

Et si la vie se révèle plus difficile...

A 55 ans, il lui reste de très nombreuses années à vivre, compte tenu de l'allongement de l'espérance de vie. Il s'agit d'un parcours théorique, sans accident notable : la Sécurité sociale est néanmoins intervenue à certains moments clés. Le parcours d'Annie est sans doute rare, également.

Si, par contre, elle avait connu des périodes de chômage, selon le moment dans la carrière, tout ou partie des périodes de chômage auraient généré des périodes validées pour les droits à retraite. Si - le pire arrive trop souvent - elle s'était retrouvée seule à élever ses enfants, au cours d'une période où elle était contrainte de travailler à temps partiel, elle aurait pu bénéficier de l'Allocation de parent isolé (API). Ou si elle avait un grave problème de santé, avec un arrêt de longue maladie, elle aurait touché des indemnités journalières de maladie, validant également des durées pour la retraite. Si son état de santé ne pouvait alors plus être compatible avec son activité professionnelle, le dispositif d'invalidité aurait pris le relais jusqu'à la liquidation de sa retraite.

 La condition féminine : les parents isolés

La condition féminine : les parents isolés

L'allocation de parent isolé garantit un revenu minimum à des personnes, chargées de famille, essentiellement des mères, qui sont célibataires, séparées, divorcées ou veuves. C'est une allocation (temporaire) différentielle, c'est-à-dire qui vient compléter jusqu'à un revenu minimum les ressources de la personne.

23 mar 1977
02m 06s

Pour terminer, et même si Annie n'a pas été dans ce cas, il convient d'évoquer des dispositifs mis en place pour venir en aide aux plus démunis, et leur permettre de toucher un minimum vital, ainsi que d'avoir accès aux soins : le RSA et la CMU.

 Le revenu de solidarité active

Le revenu de solidarité active

Le revenu de solidarité active (RSA) est instauré pour remplacer des minima sociaux existants, comme le RMI. Cette allocation permet une meilleure prise en compte, dans le calcul des droits, des situations où la ou les personnes ont un revenu d'activité.

25 avr 2008
02m 10s
 La création de la CMU

La création de la CMU

Une des plus grandes lois sociales est la loi CMU. Ses deux principaux aspects sont la CMU de base et la CMU-C. La CMU de base est le point final à l'abandon du système assurantiel bismarckien. Désormais pour être pris en charge par l'Assurance maladie la seule condition requise est de résider en France. La CMU-C est une assurance santé complémentaire offerte aux plus pauvres qui peuvent ainsi se faire soigner sans jamais rien débourser.

10 déc 1999
01m 53s

Certes, ces divers mécanismes ne compensent qu'en partie la baisse ou la perte des revenus d'activité et ne peuvent réparer ou faire oublier entièrement les effets d'une maladie, d'un accident, d'un décès, etc. Mais la Sécurité sociale joue alors ce rôle essentiel d'amortisseur des conséquences de ces aléas de vie.