Les supporters comoriens réunis au Merlan pour la coupe d'Afrique des Nations

Le 10 janvier 2022, de nombreux supporters de l’équipe nationale de football des Comores sont réunis au quartier du Merlan, dans le 14e arrondissement de Marseille, pour assister à la télévision au premier match de l’histoire de leur sélection en phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) face au Gabon. Dix mois plus tôt, en mars 2021, grâce à un match nul 0 à 0 face au Togo, obtenu à Moroni, la capitale comorienne, l’équipe nationale avait en effet acquis son billet pour participer à la CAN 2021 au Cameroun, reportée d’une année en raison de la pandémie de Covid-19. C’est un véritable exploit pour une sélection, dont la fédération n’est affiliée à la FIFA que depuis 2006, et cela rappelle les qualifications historiques du Cap Vert en 2013 et de Madagascar en 2019 pour la même compétition.

La République fédérale islamique des Comores est un petit archipel d’à peine 850 000 habitants, situé en Afrique australe entre la côte du Mozambique et l’île de Madagascar. Ancienne colonie française, ayant seulement acquis son indépendante en 1975, elle se compose de trois îles. La quatrième île de l’archipel, Mayotte, a en effet fait le choix de demeurer française.

Ces liens historiques entre la France et les Comores, couplés à la crise politique et socio-économique du jeune État, expliquent l’essor, ces cinquante dernières années, d’un fort courant d’émigration en direction de l’ancienne métropole. En France la communauté comorienne est certes présente en région parisienne et en région lyonnaise, mais son épicentre est sans conteste Marseille, grand port ouvert sur la Méditerranée. Avec 80 000 à 100 000 personnes d’origine comorienne, soit environ 10% de sa population, la cité phocéenne est souvent considérée comme la cinquième île de l’archipel. La cité Félix Piat dans le quartier de Saint-Mauront ou les cités de la Savine ou du Plan d’Aou dans le 15e arrondissement, sans oublier le Panier, sont autant de lieux symboles de leur implantation dans la ville. Des fan zones ont ainsi été aménagées dans les quartiers nord de Marseille pour permettre à cette importante communauté de suivre les exploits des Cœlacanthes, surnom des joueurs de l’équipe nationale des Comores en référence à un poisson des profondeurs, dont une des deux espèces connues vit dans le détroit du Mozambique. Les supporteurs sont d’autant plus proches de leurs joueurs favoris que ces derniers sont pour la plupart des binationaux ayant grandi en France, dont la moitié à Marseille. Ces derniers sont donc des personnes leur étant apparentées ou leurs amis contre lesquels ils ont parfois joué au cours de l’enfance ou l’adolescence, et auxquels ils peuvent facilement s’identifier voire rêver d’être demain à leur place.

L’émergence des Comores sur la scène du football africain doit beaucoup à son sélectionneur Amir Abdou, né en 1972 à Moroni mais arrivé à l’âge de trois ans à Marseille. Nommé au poste de sélectionneur en 2014, il fait passer en huit ans les Comores de la 193e à la 130e place au classement FIFA, notamment en convainquant des joueurs de la diaspora de jouer pour l’équipe nationale du pays de leurs parents, comme par exemple le gardien toulousain, natif de Martigues, Ali Ahamada ou le milieu de terrain guingampais Youssouf M’Changama, natif de Marseille et un des principaux artisans de la qualification. Lors de cette CAN, les Cœlacanthes perdent certes leurs deux premiers matchs 1 à 0 contre le Gabon et 2 à 0 contre le Maroc. Mais ils s’imposent lors de la troisième rencontre 3 à 2 face au Ghana. Cette première victoire historique en phase finale de la CAN est fêtée à Marseille toute la nuit avec une grande ferveur par les Comoriens des quartiers nord jusqu’au Vieux-Port, lieu traditionnel de célébration des exploits sportifs et centre symbolique de la cité. Qualifiés pour les huitièmes de finale, les Comoriens sont battus 2 à 1, avec les honneurs, par la sélection du pays hôte camerounais. Les Coelacanthes ont fait vibrer et redonné de la fierté aux Comoriens de l’archipel, mais aussi à leurs compatriotes de la diaspora. À l’instar de l’extrême popularité du rappeur marseillais d’origine comorienne Soprano, le parcours de l’équipe nationale, et de ses nombreux Marseillais d’origine, contribue à promouvoir une image positive de la communauté, parfois abonnée médiatiquement à la rubrique des faits divers violents sur fond de trafic de drogue.   

Bibliographie

• Karima Direche-Slimani, Fabienne Le Houérou, Les Comoriens de Marseille : D’une mémoire à l’autre, Paris, Autrement, 2002.  
• Paul Dietschy, David-Claude Kemo-Keimbou, Le football et l'Afrique, Paris, EPA, 2008. 
• Katharina Fritsch, The Diaspora of the Comoros in France : Ethnicised biopolitics and communitarisation, Londres, Routledge, 2023. 
• Émile Témime (dir.), Histoire des migrations à Marseille, Marseille, Éditions Jeanne Laffitte, 2007.