À Marseille, une forte mobilisation s'organise contre le projet de loi Travail
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La loi El Khomri dite loi Travail, de son nom complet "loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels", rencontre une forte opposition à Marseille. Alors que plus d'un million de personnes ont manifesté en France, 30 000 lycéens, étudiants et salariés, ont manifesté de la Canebière au Prado pour demander le retrait du projet de réforme du code du travail.
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01 avr. 2016
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ParDocteur en Histoire contemporaine, Post-doctorant à Aix-Marseille Université
Le 31 mars 2016, une manifestation rassemble dans les rues de Marseille du Vieux-Port à la place Castellane et au-delà, environ 30 000 personnes (11 200 selon la préfecture et 100 000 selon les organisateurs), dont une part non négligeable d’étudiants et de lycéens. Le même jour défilent dans plus de deux cents villes des centaines de milliers de personnes à l’appel de syndicats de salariés (CGT, Force Ouvrière, Solidaires et FSU) et d’étudiants et de lycéens (UNEF, FIDL, et UNL). La mobilisation est en nette augmentation par rapport à la première grande journée de manifestations ayant eu lieu à l’échelle nationale le 9 mars.
Depuis le début du mois, une grogne sociale fait en effet suite à l’annonce de la présentation à venir devant le Parlement, par le gouvernement socialiste de Manuel Valls d’un « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » porté par sa ministre du Travail Myriam El Khomri. Pour ses partisans, il s’agit d’un assouplissement nécessaire du droit du travail, afin d’améliorer la compétitivité des entreprises tout en garantissant aux salariés des droits et protections supplémentaires, dans le sens notamment d’une sécurisation des parcours professionnels. Par la création d’un compte personnel d’activité, l’idée est d’attacher les droits sociaux, tels la formation, non plus au statut mais à la personne dans un monde où les individus seront amenés à changer davantage d’entreprise voire de métier au cours de leur carrière professionnelle. Cette réforme tend d’ailleurs à se référer au modèle de la « flexisécurité » adopté depuis de nombreuses années dans certains pays du Nord de l’Europe, en particulier au Danemark.
Pour ses détracteurs il s’agit au contraire d’une nouvelle atteinte au code du travail visant, dans une optique libérale, à précariser encore un peu plus les salariés du secteur privé et donc in fine à faciliter les licenciements. Patrick Rué, le secrétaire général Force Ouvrière des agents territoriaux de la ville de Marseille, exprime par ailleurs ses craintes d’une remise en cause future du statut de la fonction publique. La primauté donnée à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche (dénoncée comme une « inversion des normes ») cristallise particulièrement le mécontentement, car les syndicats y voient la perspective d’accords collectifs pouvant être moins favorables aux salariés, tout comme une volonté de les court-circuiter, étant donné la faible syndicalisation dans les petites entreprises.
Le front syndical n’est pas pour autant totalement uni. A l’inverse de la CGT, adepte d’un syndicalisme de lutte (dont la Charte d’Amiens fondatrice de 1906 préconise la grève générale comme moyen d’action), la CFDT pratique un syndicalisme davantage réformiste et n’a pas appelé à descendre dans la rue. Elle croit en effet à l’esprit de cette loi et a largement participé à son élaboration, tout en obtenant du président de la République François Hollande et de Manuel Valls l’abandon du plafonnement des indemnités accordées par les prud’hommes en cas de licenciement abusif. Les syndicats opposés à la réforme peuvent en revanche compter sur les jeunes pour massifier la mobilisation. Depuis leur mélange dans les cortèges de mai 1968, les salariés et la jeunesse ont fait plus d’une fois cause commune dans la rue, comme par exemple en 1994 pour s’opposer au contrat d’insertion professionnelle (CIP) qualifié par ses détracteurs de « SMIC jeune », puisque le gouvernement Balladur souhaitait rémunérer les moins de vingt six ans à hauteur de 80 % de ce salaire minimum. Il en a été de même en 2006 pour protester contre le contrat première embauche (CPE) du gouvernement de Villepin. La France a la particularité d’avoir un taux d’emploi des jeunes (et des séniors) inférieur à la moyenne européenne, la tentation est donc grande, pour inciter les entreprises à les embaucher, d’édicter des règles dérogatoires moins-disantes socialement, avec le risque de plonger une classe d’âge encore davantage dans la précarité.
En ce printemps 2016, la contestation n’est pas que sociale et prend des accents de défiance vis-à-vis de la démocratie représentative et plus généralement des institutions. À l’issue du défilé parisien du 31 mars des manifestants occupent pour la nuit la place de la République, donnant naissance à un mouvement citoyen original baptisé Nuit Debout, qui permet l’expression de tout un chacun sur les sujets les plus divers dans un exercice assez inédit de démocratie directe. Ces assemblées citoyennes essaiment ensuite dans de nombreuses villes françaises (et même à l’étranger), comme à Marseille sur le Cours Julien à la Plaine (avec quelques tentatives de délocalisation dans les quartiers Nord) ou à Nice sur la place Garibaldi, mais aussi dans de plus petites localités de la région.
La nécessité pour le gouvernement de sortir au plus vite de l’ornière oblige in fine Manuel Valls à avoir recours, le 10 mai 2016, à l’article 49.3 de la constitution qui permet (une fois par session parlementaire) au Premier ministre d’engager la responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale pour passer en force en faisant adopter un projet de loi sans vote. Il s’expose alors au dépôt d’une motion de censure qui, si elle est votée par la majorité des députés, conduit au renversement du gouvernement. La droite dépose une motion de censure qui n’obtient pas assez de suffrages, alors que le groupe de députés socialistes frondeurs, existant depuis 2014 à l’intérieur de la majorité présidentielle, n’arrive pas à faire signer la leur par suffisamment de parlementaires pour qu’elle soit présentée. La loi est donc adoptée et promulguée au Journal officiel le 9 août 2016.
Bibliographie
- Sophie Béroud, Elyane Bressol, Jérôme Pélisse et Michel Pigenet (dir.), La CGT, 1975-1995. Un syndicat à l’épreuve des crises, Nancy, Éditions Arbre bleu, 2019.
- Baptiste Giraud, Karel Yon et Sophie Béroud, Sociologie politique du syndicalisme, Paris, Armand Colin, 2018.
- Jérôme Porta, « Le doit du travail en changement. Essais d’interprétation », Travail et emploi, n° 158, 2019, p. 95-132.
- Stéphane Sirot, La grève en France. Une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, Odile Jacob, 2002.
Transcription
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