Allocution du général de Gaulle

09 février 1967
12m 43s
Réf. 00127

Notice

Résumé :

Le 9 février 1967, le général de Gaulle prononce une allocution en vue des élections législatives à venir, les 5 et 12 mars 1967. Il expose aux Français la portée de leur vote. Dans son discours, il commence par louer la stabilité des institutions françaises, qui permet au gouvernement de gouverner, et brandit la menace d'un retour au pouvoir du régime des partis.

Type de média :
Date de diffusion :
09 février 1967
Type de parole :

Éclairage

Les élections législatives qui doivent pourvoir au remplacement de l'Assemblée élue en 1962 et dont le mandat s'achève doivent être organisées les 5 et 12 mars 1967. Or, depuis l'élection présidentielle de 1965 au cours de laquelle le Général a été mis en ballottage, l'opposition stimulée par son relatif succès s'est organisée. François Mitterrand a rassemblé autour de lui au sein de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste le parti socialiste, le parti radical et les clubs de la Convention des institutions républicaines, cependant que le centre-droit des MRP et des Indépendants a constitué derrière Jean Lecanuet un Centre démocrate. Or ces forces d'opposition entendent faire des législatives un "troisième tour" de l'élection présidentielle en privant le président élu de majorité à l'Assemblée nationale. Or cet espoir ne semble pas tout à fait vain, les sondages prévoyant un recul de la majorité, qui, de son côté s'est rassemblée autour du Premier ministre Georges Pompidou dans un Comité d'action pour la Vème République réunissant les gaullistes de l'UNR (Union pour la nouvelle République), les gaullistes de gauche et les giscardiens qui ont formé la Fédération nationale des Républicains Indépendants.

Aussi de Gaulle juge-t-il nécessaire, avant que s'ouvre la campagne électorale officielle, d'en définir les enjeux. Il présente sous le jour le plus favorable le bilan de la Vème République depuis 1958, obtenu grâce à l'appui d'une majorité soutenant le Chef de l'Etat et le gouvernement, bilan qu'il oppose à la confusion et au déclin de la IVème République. Et il affirme que l'opposition, séparée en trois tronçons, le parti communiste, la Fédération de la gauche et le Centre démocrate n'a d'autre objectif que négatif, la destruction du régime efficace de la Vème République, mais est incapable de s'unir pour former un gouvernement décidé à agir positivement, sa victoire ramenant le pays à la confusion et au désordre et lui faisant perdre son indépendance au profit d'un alignement sur l'URSS ou sur l'hégémonie américaine.

Serge Berstein

Transcription

(Musique)
Charles de Gaulle
Françaises, français, avant que ne s'ouvre officiellement la compétition que tranchera le vote du pays, je dois vous dire quel est l'enjeu. Je ne le ferai pas en m'en prenant à telle ou telle personne, ni en alignant les chiffres, ni en invoquant des promesses ou des théories, Cela remplira inévitablement les joutes oratoires de la campagne électorale. Mais comme l'histoire, la constitution, le suffrage du peuple m'attribuent la mission de garantir le destin national, l'obligation de maintenir la continuité de l'Etat, La charge d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs de la République, comme d'autre part l'assemblée qui va être élue par vous toutes et par vous tous, sera nécessairement pour beaucoup dans ce destin, cette continuité et cette régularité, J'ai le devoir de vous indiquer ce qui revêt à cet égard une importance essentielle pour la France. Il s'agit que l'assemblée future soit capable de soutenir une politique, sans quoi, tout le monde me comprend, les affaires de la Nation risqueraient fort d'aller à vau-l'eau dans la confusion et les crises. Or une politique, c'est une action, qui comme toutes les actions, ne vaut qu'à la condition d'être cohérente et constante. Sans doute le régime, que nous avons institué en 1958 et complété en 1962 décide-t-il que la politique de la France procède du chef de l'Etat - élu lui par la Nation dans son ensemble - et de son gouvernement. Mais en même temps, le parlement existe, qui légifère et qui contrôle. Il lui faut donc une majorité, et que cette majorité soit elle aussi cohérente et constante. Pour la première fois, depuis tantôt cent ans, cette majorité existe. Elle a fait ses preuves, au point qu'on vient de voir, pendant toute une législature, sans crise ministérielle et sans dissolution, le gouvernement et le parlement de la cinquième République poursuivre en commun une oeuvre intérieure et extérieure immense. Cette oeuvre se résume ainsi. Au-dedans, un régime stable et efficace ; une avance économique et sociale évidente ; Un progrès éclatant du pays à tous les égards ; une monnaie solidement établie et garantie. Au dehors, la paix complète dans l'indépendance recouvrée, la colonisation faisant place à une amicale assistance, le marché commun en vigueur, La France jouant un rôle digne d'elle en Europe pour la détente et la coopération, et dans le monde pour le droit et le progrès de tous les peuples. Certes, tout ce qui est actuellement accompli ne va pas sans lacunes à combler, erreurs à corriger et retards à rattraper, certes il nous restera toujours énormément à faire, parce que nous devons aller beaucoup plus haut et beaucoup plus loin. Mais par rapport à la situation institutionnelle, économique, sociale, monétaire, où le régime d'antan nous avait mis, par rapport aussi à l'état de guerre en Afrique, de subordination extérieure, d'inorganisation et de tension européennes, D'effacement international qui était alors le nôtre, l'ensemble de ce que nous avons réalisé depuis neuf ans apparaît à tous comme de bonne foi, et est reconnu partout dans l'univers comme une grande réussite de la France. Dans tout ce qui a été fait, pour combien a compté la majorité parlementaire de la cinquième République, dans tout ce qui devrait être fait demain, pour combien comptera celle que le peuple élira sous ce nom, afin qu'à son tour elle se consacre à servir la Nation, Qu'elle m'aide à accomplir ma tâche et qu'elle soutienne mon gouvernement. De toute façon il serait donc extrêmement équitable et souhaitable que cette majorité l'emporte. Mais, dans les conditions d'aujourd'hui, C'est absolument nécessaire, car les trois formations partisanes qui prétendent à remplacer, et par là à imposer leurs politiques à la République, ne pourraient, si elles y parvenaient, soit chacune en particulier, soit par combinaison de deux d'entre elles ou de toutes les trois, Ne pourraient aboutir qu'à des ruines désastreuses. Juxtaposée pour détruire, elles seraient comme elles l'étaient naguère, incapables de construire. Pour ce qui est du régime que la volonté du peuple a donné à la République, le but commun que visent ces trois formations c'est que l'Etat n'ait plus une tête agissante et dirigeante. Mais s'ils y réussissaient, par hasard, et quelles que puissent être alors leurs fallacieuses recettes, Comment s'accorderaient-elles pour empêcher que le pouvoir ne soit jeté automatiquement et de nouveau à la discrétion des partis, autrement dit à l'impuissance de leur jeu et combinaison. Et quant à la politique, c'est-à-dire à l'action de la cinquième République, on voit tous les opposants dresser contre elles les reproches les plus divers, Mais comment remplaceraient-ils les résultats acquis et les perspectives ouvertes alors que tout en additionnant pour le temps d'un scrutin leur malveillance négative, Ils ne sauraient s'unir positivement sur aucun des sujets essentiels, ni sur la liberté, puisque les uns prétendent la maintenir, et que les autres visent à établir leur dictature totalitaire, Ni sur les voies et moyens du progrès à propos desquels ceux-ci ne font que brandir des griefs à défaut de solutions, tandis que ceux-là veulent faire table rase de tout, ni sur l'indépendance, car si tous s'entendent pour la sacrifier, c'est dans deux sens contradictoires, ou bien l'obédience soviétique, ou bien l'hégémonie américaine. Le mois prochain, ce qui va être en jeu, c'est donc la cinquième République. Or nous voyons après expériences et par comparaison avec les troubles qui l'ont précédée, et avec la grande confusion qui prétend lui succéder, Nous voyons quel est, par ses institutions, par son esprit, par son action, le régime qu'il faut à la France, pour assurer son progrès, son indépendance et sa paix. Nous voyons qu'à mesure qu'elle dure, et qu'elle s'affermit, rassemblant un nombre grandissant de citoyens de toute tendance, Les profondes querelles qui, semées de drame en drame et attisées par les partisans, divisaient gravement les Français, vont désormais en s'atténuant, bref nous voyons que sous l'égide de la République nouvelle, notre peuple s'élève, et reserre son unité. Françaises, français, voilà pourquoi le vote de chacune et de chacun de vous va compter dans le destin. Oui, dans le destin de la France. Vive la République, vive la France !