Paul Claudel, artisan de théâtre
Notice
Documentaire sur la collaboration entre Jean-Louis Barrault et Paul Claudel dans la mise en scène du Soulier de satin, et sur le rôle de Claudel dans la création de ses pièces au théâtre. Témoignage de Jean-Louis Barrault et extraits des répétitions du Soulier de satin et de L'Annonce faite à Marie.
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Comédie-Française
Éclairage
Le document est passionnant en ce qu'il permet d'apprécier concrètement l'apport de Paul Claudel aux mises en scène de ses pièces, ainsi que sa conception du théâtre, du jeu et de la représentation. Très grand poète, Claudel est en effet aussi un dramaturge complet, s'intéressant à tous les aspects pratiques de l'art dramatique. À l'instar d'Artaud et de Craig, avec qui il partage la volonté de réformer le théâtre à la fin du XIXe siècle, il est profondément influencé par l'art oriental qu'il découvre lors de ses longs séjours en Chine et au Japon où le mènent ses fonctions de consul et d'ambassadeur. Cette influence se fait sentir à la fois dans ses recueils de poèmes (Connaissance de l'Est, Cent phrases pour éventails), et dans son théâtre. Claudel a d'emblée une approche figurative et matérielle de la langue, d'où découle son vif intérêt pour l'art du haïku dont il s'empare, et pour le dialogue entre la poésie et la peinture, entre la lettre et la forme. Il songe par exemple, à partir de sa découverte des idéogrammes, à inventer une calligraphie propre à l'alphabet occidental. De la sorte, le texte est à ses yeux déjà dramatisé. Mais ce sont surtout les spectacles de nô et de kabuki auxquels il assiste qui lui révèlent le lien profond entre le théâtre, la danse et la musique, et l'amènent à écrire des scénarios de ballet (L'Homme et son désir, La Femme et son ombre), à travailler dans ses pièces la figure du fantôme et le motif du rêve. Il rend compte de ces expériences dans des textes critiques comme Le Nō et Le drame et la musique. Enfin, comme le rappelle Barrault dans l'entretien, le théâtre de Claudel s'inspire aussi des œuvres des tragiques grecs, à partir desquels il élabore la théorie d'une langue française accentuée, contenant des longues et des brèves, afin d'en renforcer le rythme et la musicalité ; et du théâtre de Shakespeare, dont on retrouve chez Claudel à la fois le mélange des registres, et la dimension épique et poétique.
Barrault retrace ici les grands moments de son compagnonnage avec Claudel, qu'il a connu dès 1937, et avec qui il entame une abondante correspondance à partir de 1939. Comme entre Giraudoux et Jouvet, ou plus tard entre Anouilh et Barsacq, s'établit une profonde entente entre les deux hommes. Barrault montera ou interprétera de nombreuses pièces du dramaturge, au nombre desquelles Tête d'or, L'Otage, L'Annonce faite à Marie, Le Soulier de satin, Partage de midi, Le Livre de Christophe Colomb. De son côté, Claudel, qui critique férocement l'esthétique empoussiérée de la Comédie-Française dont il déteste « l'art mort, et mortel », trouve en Barrault un homme de théâtre à sa mesure, qui partage son aspiration à un art dramatique renouvelé, mariant les exigences du texte littéraire à la poésie et à la force expressive des corps. Barrault, formé au théâtre par Dullin puis par Decroux au mime, a une connaissance approfondie du mouvement. Il est ainsi capable de créer cet équivalent respiratoire, vocal et gestuel du verbe poétique que les deux hommes appellent de leurs vœux. Tous deux sont également convaincus de la place primordiale à donner à la diction. Se faisant l'écho de nombreux autres témoignages, Barrault rappelle enfin l'attention qu'accordait Claudel à tous les éléments de la mise en scène, depuis les accessoires, ces objets symboliques qui devaient atteindre selon Claudel à un statut de personnages, jusqu'au jeu et à la parole des acteurs, en passant par les costumes, les décors, et bien sûr la composition musicale.