Schweyk dans la deuxième guerre mondiale de Brecht, mise en scène de Roger Planchon

22 octobre 1961
08m 02s
Réf. 00445

Notice

Résumé :

En 1961, Roger Planchon crée Schweyk dans la deuxième guerre mondiale de Bertolt Brecht au Théâtre de la Cité de Villeurbanne. Le spectacle est ensuite présenté au Théâtre des Champs-Élysées, la même année. Interview de Roger Planchon et extraits du spectacle.

Date de diffusion :
22 octobre 1961
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )
Compagnie :

Éclairage

Brecht écrit Schweyk dans la deuxième guerre mondiale en 1943, alors qu'il est exilé aux États-Unis. Mais la genèse de cette pièce connaît des péripéties. Comme l'indique Roger Planchon dans le document, Brecht n'est pas l'inventeur du personnage principal de la pièce. Il s'inspire du chef-d'œuvre satirique du romancier tchèque Jaroslav Hasek, Le brave soldat Chvéik, dont le héros est devenu le symbole de l'absurdité de la guerre. Dans le roman de Hasek, publié entre 1921 et 1923, Chvéik est caractérisé à la fois par sa naïveté au sens voltairien du terme, par son optimisme, son humour et sa dérision, qualités qui ont fait de lui un personnage en effet très populaire en Europe Centrale. Or Brecht s'intéresse tôt à ce personnage fortement subversif. En 1927, Max Brod et Hans Reimann adaptent le roman, et le collectif Piscator, auquel participe Brecht, donne une représentation de ce travail en janvier 1928, à Berlin. Dans les années 1932-37, Brecht et Piscator conçoivent plusieurs projets de film sur Schweyk, qui n'aboutiront pas. Brecht finit par écrire seul la pièce, qui est créée en polonais, à Varsovie, en janvier 1957, puis en allemand en 1958. C'est ensuite Giorgio Strehler, au Piccolo Teatro de Milan, et Roger Planchon, au Théâtre de la Cité de Villeurbanne, qui font découvrir la pièce en Italie et en France, la même année 1961. Pour Planchon, Hanns Eisler achève d'en composer la musique.

Le prologue de la pièce, qui évoque Le Dictateur de Chaplin, montre Hitler, Goering, Goebbels et Himmler autour d'une mappemonde. Hitler affirme son projet de conquérir l'univers, mais s'enquiert au préalable de ce que « le petit homme » pense de lui. Ce petit homme va être incarné par Schweyk, que Brecht entendait mettre en scène à la fois comme individu et comme peuple. Schweyk tient un commerce de chiens à Prague, et retrouve chaque jour la compagnie de ses amis au Calice, une auberge tenue par Anna Kopecka qui tente de protéger son affaire des remous de la guerre, et de la suspicion des SS. Pour une histoire de chien volé et abattu, Schweyk est enrôlé dans l'armée allemande et contraint de marcher sur Stalingrad, tandis que l'hiver russe tombe. La pièce s'achève dans une tempête de neige, qui noie les silhouettes de Schweyk et du chien abandonné qu'il a recueilli. Elle laisse ainsi la page blanche pour imaginer la fin du personnage, mais aussi pour faire place au mythe : à ce moment intervient en effet l'épilogue, qui met en scène la rencontre historique entre Hitler et le « petit homme ». « Tout n'est que changement. [...] Les grands passent et cèdent la place aux moins grands » dit le couplet final, tandis que la folie hitlérienne se consume en une danse de pantin frénétique.

La mise en scène de Planchon fit date non seulement en raison de la scénographie originale conçue par René Allio, mais également par la liberté artistique dont Planchon fit preuve en

portant cette œuvre de Brecht à la scène. Le spectacle donna lieu à une critique détaillée de Bernard Dort dans le numéro 44 de la revue Théâtre Populaire, puis à une table ronde dans le numéro 46, qui comparait en détail les deux spectacles de Planchon et Strehler et leur fidélité à la pensée et à l'esthétique brechtiennes. Le débat eut pour principal objet la personnalité ambiguë, complexe, déroutante de Schweyk, et, par conséquent, le sens de la fable elle-même. Faut-il voir en Schweyk un naïf, ou un manipulateur ? un homme passif ou actif devant l'histoire ? un égoïste ou un généreux capable de se dévouer pour ses amis ? quelle fonction Brecht assigne-t-il au peuple, quelle image en donne-t-il à travers Schweyk ? En réalité, « Brecht, dans ses plus grandes pièces, n'enferme pas le spectateur dans des alternatives délibérément simplifiées, qui fourniraient la solution aux ambiguïtés dans lesquelles les personnages hésitent, sans même voir comment leur ruse se retourne ironiquement contre eux. Il préfère solliciter l'esprit critique en multipliant les "points de vue". » [1]

[1] Philippe Ivernel, « Brecht Bertolt (1898-1956), Encyclopedia Universalis en ligne.

Marion Chénetier-Alev

Transcription

Présentateur
L’évènement théâtral du mois, ce sont incontestablement les représentations du théâtre de la cité de Villeurbanne, au théâtre des Champs Elysées. Un nom qui nous est déjà familier, celui du metteur en scène, Roger Planchon. Un nom qui doit nous devenir, j’en suis sûr, familier, celui du comédien Jean Bouise, Jean Bouise a déjà été un admirable Falstaff, le voici, non moins étonnant dans Schweik, Schweik dans la deuxième guerre mondiale . Schweik de Bertolt Brecht. Roger Planchon, vous voici pour combien de temps à Paris ?
Journaliste
Et bien, nous sommes installés au théâtre des Champs Elysées pour à peu près trois mois, nous y présenterons quatre spectacles. Edouard II qui est une pièce que nous avons tiré de Christopher Marlowe, qui est une pièce collective faite par les comédiens. Puis, nous présenterons George Dandin, classique qu’on espère justement dans une présentation pas trop classique. Et ensuite une reprise des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, et enfin Schweik dans la Seconde Guerre mondiale, la pièce de Bertolt Brecht, dont le texte français a été fait par André Gisselbrecht et Joël Lefebvre.
Présentateur
Mais avant de parler de la pièce, il faut dire que ce spectacle a frappé par l’utilisation systématique d’un plateau tournant.
Roger Planchon
Oui. C’est-à-dire que nous avons utilisé le plateau tournant de façon moins traditionnelle que d’habitude. Vous savez d’habitude le plateau tournant sert surtout à changer les décors, ici on a essayé de l’utiliser d’une façon nouvelle, comme une caméra en quelque sorte, comme un acteur dans le spectacle. C’est l’équivalent d’une caméra au cinéma. C’est-à-dire que nous réussissons à faire des mouvements qui ne ressemblent pas du tout d’ailleurs à ceux du cinéma, mais nous, on n’a pas de vocabulaire pour les dire, alors il faudrait dire que ça ressemble à des travelings avant-arrière, à des surimpressions, à des champs contre champs, des panoramiques, je ne sais quoi.
Présentateur
Schweik de Brecht a emprunté le personnage, au romancier tchèque Hašek.
Roger Planchon
C’est un héros populaire d’Europe Centrale, ça correspond un peu à notre Guignol lyonnais, beaucoup plus subversif que le Guignol Lyonnais. Et Brecht a pris ce grand héros populaire très connu en Europe centrale et l’a plongé dans les aventures ; enfin, dans les aventures, bien tristes aventures de la Deuxième Guerre mondiale et le héros populaire connaît tout ce que les français ont pu connaitre ; c’est-à-dire, les ennuis que l’on a sous l’occupation, les histoires autour du marché noir, le service de travail obligatoire et même, partant de son petit café tranquille, il finira à Stalingrad en train de défendre la civilisation et il marchera sans arrêt dans cette neige, et il finira tristement dans cette neige. C’est une pièce extrêmement comique qui est une des dernières oeuvres de Brecht, et, dont le ton surprendra car c’est une grande pièce baroque et ce qui est extraordinaire c’est qu’elle est à la fois, totalement comique et Brecht ne se renie pas du tout, vu que sans arrêt elle garde un sens très, très profond.
Présentateur
Et tout part ?
Roger Planchon
Tout part d’une petite histoire. Tout part d’une petite histoire, le personnage principal Schweik, est surpris avec un paquet mystérieux par la Gestapo.
Jean Bouise
Mon adjudant, j’ai l’honneur de vous rendre compte que je peux tout éclaircir. Le paquet, et ben il est à personne d’ici, je le sais parce que c’est moi qui l’ai posé là.
Jean Leuvrais
C’est toi ?
Jean Bouise
Ouais mon adjudant. Je le tiens de quelqu’un qui est sorti et qui me l’a donné à garder. Il est sorti à ce qu’il m’a dit pour aller au cabinet. C’est un monsieur ni grand, ni petit avec une barbe plutôt claire et …
Jean Leuvrais
Dis donc, t’es un peu débile non ?
Jean Bouise
Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous faire remarquer mon adjudant j’ai été réformé pour idiotie. C’est même pour ça qu’on m’a flanqué dehors au service du travail obligatoire.
Jean Leuvrais
Mais pour faire du marché noir tu ne manques pas d’intelligence hein, attends un peu, à la banque Petschek on te fera comprendre que tu pourras bien avoir 36 certificats, on s’en moque !
Jean Bouise
Houhou je comprends parfaitement qu’on s’en moque mon adjudant, vu que depuis que j’étais tout petit, ben j’ai toujours eu des embêtements, surtout quand j’étais prêt à rendre service à tout le monde. C’est comme le jour où à [incompris], j’ai voulu aider la concierge de l’école à étendre sa lessive. Hahahaha, si vous venez avec moi dehors ben je vous dirai comment ça s’est terminé. Houhou, le marché noir moi ? Mais c’est mon métier comme d’être évêque !
Jean Leuvrais
Je sais pas pourquoi je continue à te, pas appeler maintenant que, sans doute, que c’est la première fois que je rencontre une crapule dans ton genre et que j’en suis comme hypnotisé.
Jean Bouise
Donc, ça doit être ça mon adjudant, ou bien comme quand vous rencontrez un lion dans la rue Saint Charles. Un endroit où c’est pas très courant. Ou bien comme ce facteur de [Rotbourg], un jour en rentrant chez lui, il a pincé sa femme avec le concierge. Pzzii, il les poignarde tout les deux, et puis il court tout de suite au commissariat pour se dénoncer. Et ben, en arrivant là-bas ils lui ont demandé ce qu’il avait fait après. Et bien il a dit qu’en sortant de chez lui il avait vu un type tout nu qui tournait le coin de la rue. Ils ont cru qu’il était dérangé le facteur, ils l’ont relâché. Et ben, deux mois après on s’est aperçu qu’au même moment, il y avait un fou qui s’était échappé de l’hôpital voisin en costume d’Adam ! Personne n’ a voulu le croire le facteur, et pourtant il disait la vérité.
Jean Leuvrais
Et dire que je t’écoute toujours. Je ne peux pas m’arracher d'ici. Je sais bien ce que vous pensez tous au fond de vous-même. Que le troisième Reich durera peut être une année, ou dix mais pas plus, eh bien nous resterons longtemps au pouvoir, dix mille ans. Qu’est ce qu’on parie ? haha, ah c’est toi qui en fais une drôle de tête hein, maintenant.
Jean Bouise
Oh, ben maintenant c’est pour longtemps. Comme disait le bedeau après son mariage avec la patronne du [Cygne] en la voyant coller son râtelier dans un verre d’eau pour la nuit.
Jean Leuvrais
Tu pisses chaud ou tu pisses froid ?
Jean Bouise
Mon adjudant j’ai l’honneur de vous rendre compte que je pisse tiède.
Jean Leuvrais
Et maintenant suis-moi, même si certaines gens mettent leur main au feu pour toi.
Jean Bouise
Parfaitement mon adjudant, il faut de l’ordre. Le commerce clandestin et ben, c’est un mal. Et ça ne cessera que le jour où y aura plus rien à vendre. Mais ce jour là au moins, et ben y aura de l’ordre !
Roger Planchon
Comme beaucoup de pièces de Bertolt Brecht, celle-ci a une partition musicale très importante, aussi longue que celle de l’Opéra de Quat’Sous, et la musique en est de Hanns Eisler et la chanson qui vient en ce moment est une chanson dans laquelle Pia Colombo parle de toutes les conquêtes et de tous les cadeaux que le soldat allemand envoie à sa femme restée en Allemagne.
Pia Colombo
Qu’a-t-elle reçu la femme du soldat, qui lui venait de Prague ? Des mots gentils dans un carton des chaussures fines à très hauts talons. C’était le cadeau venu de Prague. Qu’a-t-elle reçu la femme du soldat de la grande ville lumière ? La voisine en bavera d’envie, une robe en soie à la mode de Paris. Un souvenir de Paris, ville lumière. Qu’a-t-elle reçu la femme du soldat des lointains déserts de Lybie ? Une chaîne en argent blanc massif, une bague ancienne avec motifs. Un bijou de Tripoli l’africaine. Qu’a-t-elle reçu la femme du soldat de l’immense Russie ? De la Russie, un voile de deuil, pour suivre en noir cercueil du soldat. Un souvenir de Russie.