Pour en finir avec le jugement de Dieu, émission radiophonique conçue et réalisée par Antonin Artaud
Notice
Le 28 novembre 1947, Antonin Artaud enregistre avec Paule Thévenin, Maria Casarès et Roger Blin une émission radiophonique intitulée Pour en finir avec le jugement de Dieu. Il s'agit de la dernière création d'Artaud, quelques semaines avant sa mort.
Éclairage
Né en 1896 à Marseille, Antonin Artaud est l'écrivain et l'homme de théâtre français dont l'apport artistique, poétique et théorique est le plus déterminant pour la modernité théâtrale. S'érigeant contre la notion d'œuvre qui dissocie l'homme de sa création, il choisit le théâtre, seul art qui les fonde en un. Il assigne à la représentation théâtrale l'objectif de matérialiser les forces obscures de l'esprit, les constructions de l'inconscient, et lance le théâtre en guerre contre l'esthétique et la pensée bourgeoises qui emprisonnent l'homme entre les bornes pauvres du connu. Il attaque donc en premier lieu les textes emblématiques de cette société hypocrite, dans un article intitulé « Pour en finir avec les chefs-d'œuvres », et se lie avec les surréalistes dès son arrivée à Paris en 1920. Il fait ses débuts au théâtre avec Lugné-Poë, Dullin et les Pitoëff, avant de fonder le Théâtre Alfred Jarry en compagnie de Roger Vitrac et Robert Aron, qui présentera quatre séries de spectacles entre 1926 et 1928. Parallèlement, Artaud se passionne pour le cinéma, dont les ressources techniques font un merveilleux instrument pour exprimer la réalité intime du cerveau, fondre les plans du rêve et du réel. Il joue dans des films d'Autant-Lara, Gance, Dreyer, Tourneur, et écrit des scénarios, parmi lesquels La Coquille et le clergyman réalisé par Germaine Dulac.
En 1931 Artaud a la révélation de ce que pourrait être ce langage propre au théâtre qu'il appelle de ses vœux, en assistant à un spectacle du Théâtre Balinais. Il découvre un art qui, mêlant la danse, le chant, et la musique au texte, parvient à une synthèse des sens et invente un langage hiéroglyphique, à la fois gestuel, vocal et verbal, qui joint le concret au symbolique. C'est alors qu'il commence à rédiger les manifestes du Théâtre de la cruauté et d'autres textes qui formeront la matière du recueil capital qui paraît en 1938 sous le titre Le Théâtre et son double. Le théâtre de la cruauté, comme la peste, doit provoquer chez le spectateur une commotion visant à lézarder l'édifice social qui lui sert de repère, et à lui faire découvrir un sens renouvelé de la vie en restituant à l'expérience dramatique sa dimension sacrée et métaphysique.
C'est cette expérience du sacré et de la transe qu'Artaud va chercher au Mexique, chez les Tarahumaras. Il s'initie aux rites du soleil et du peyotl dont il rend compte dans Pour en finir avec le jugement de Dieu. Sa vie connaît alors un tournant, avec les aggravations de son état mental. Il est arrêté en 1937 à Dublin, remis aux autorités françaises qui le font placer en hôpital psychiatrique, à Rouen, à Paris, enfin à l'asile de Rodez dont il ne sortira qu'en 1946, physiquement anéanti. De retour à Paris où il est hébergé dans une clinique à Ivry-sur-Seine, il enregistre en novembre 1947 Pour en finir avec le jugement de Dieu, émission radiophonique programmée pour le 1er février 1948, mais dont la diffusion est finalement retardée et restreinte, le directeur de la Radio l'ayant jugée scandaleuse. L'émission est créée avec Roger Blin, Paule Thévenin, et Maria Casarès dont on perçoit la voix dans l'extrait, après celle d'Artaud. On y entend les glossolalies qui envahissent les cahiers d'Artaud à la fin de sa vie, mises en musique et psalmodiées par lui-même. Artaud avait en effet élaboré à la fois une théorie et une pratique du souffle et de la voix, et avait travaillé la sienne jusqu'à maîtriser les différentes tessitures qu'il emploie dans l'extrait. Le document témoigne aussi de l'expressivité de la diction qu'Artaud avait développée, où la matérialité des voix et des sons est utilisée comme moyen dramatique à part entière. Après avoir opposé la civilisation de l'ersatz et de la destruction, symbolisée par l'Amérique, au savoir chamanique des Tarahumaras, Artaud dénonce violemment le mythe chrétien qui a instauré le divorce entre la chair et l'esprit, et formule à nouveau sa vision d'un autre ordre possible du monde.