Les Paravents de Jean Genet, mise en scène de Roger Blin
Notice
En 1966, Roger Blin crée un spectacle qui suscite une forte polémique en mettant en scène la pièce de Jean Genet, Les Paravents, à l'Odéon-Théâtre de France, avec Maria Casarès dans le rôle de la Mère. Interview de Maria Casarès et extraits du spectacle.
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Éclairage
Publiée dès 1961, la dernière grande œuvre dramatique de Jean Genet, Les Paravents, dut attendre 1966 avant d'être présentée à Paris, grâce à l'intervention d'André Malraux. C'est à Roger Blin que Jean-Louis Barrault, alors directeur de l'Odéon-Théâtre de France, confie le soin de monter la pièce, qu'interprètent entre autres Maria Casarès, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Marie-Hélène Dasté, Tania Torrens, Jean-Pierre Granval, Jacques Alric. Le spectacle fait scandale par l'ampleur et la violence des réactions qu'il suscite. De fait Les Paravents, où s'exprime une cinglante satire du colonialisme, ne se contente pas de raviver les plaies de la guerre d'Algérie. Elle fait vaciller, comme l'ensemble de l'œuvre de Genet, tous les piliers de l'ordre, de la morale et de l'esthétique bourgeois. Cette fresque foisonnante en seize tableaux, où apparaissent une centaine de personnages, met en scène des destins croisés où s'entremêlent hommes et femmes arabes, familles de colons français, prostituées, officiers, soldats et légionnaires, peuple des morts revenus parmi les vivants. Loin de s'en tenir au cadre historique du conflit algérien, Genet généralise son propos. Sans opposer les Arabes aux Européens, les pauvres aux riches, les vertus aux vices, il poursuit sa réflexion sur l'hypocrisie des sociétés, l'omniprésence de la misère, la sanctification par le mal, l'érotisme, et réitère son apologie de la révolte contre l'oppression.
Voici le résumé du spectacle que publie alors Bertrand Poirot-Delpech, critique au Monde : « Scènes et répliques rivalisent d'horreur. On a écouté les prostituées vanter vertement leurs travaux. On a entendu l'amour parler le langage de la haine et du mépris. On a vu les plus déshérités vautrés dans leur pouillerie ou s'abandonnant avec jubilation à la rage de tuer. On a surpris des officiers parlant de la guerre comme de la plus haute volupté, rêvant tout haut à la virilité de leurs soldats et salués à leur mort par un concert de pétomanes [...]. Les cris obscènes se sont mêlés aux gestes réputés les plus nobles et aux mots les plus respectés. » [1] On comprend que la pièce, programmée par un théâtre officiel et subventionné, ait choqué le public de l'époque (voir ce document). C'est Jean-Jacques Gautier, le célèbre critique du Figaro cité dans le documentaire, qui se fait le porte-parole des indignés, en traitant le style de Genet de « langue excrémentielle » et en émettant cet avis définitif : « Une œuvre n'a pas le droit au titre d'œuvre d'art lorsqu'elle est coulée dans une forme si incivile et si fétide. » [2]
Car Genet ne se contente pas d'attaquer sur le fond, il bouleverse aussi la forme, s'en prenant à tous les codes de la représentation théâtrale, rejetant toute illusion réaliste. Les paravents qui donnent leur titre à la pièce sont manipulés à vue, et servent à symboliser un lieu ou à remplacer un récit. Genet joue également du théâtre dans le théâtre, du travestissement, de l'exhibition des conventions. Les comédiens doivent porter des masques ou des maquillages excessifs, les costumes sont conçus comme des décors permettant de situer les personnages : les colons sont juchés sur des cothurnes et les Arabes sont vêtus de haillons magnifiques. L'auteur porte en effet une extrême attention à la mise en scène, et accompagne la création de la pièce de commentaires qui paraissent sous le titre Lettres à Roger Blin en marge des « Paravents ». Ce texte constitue un apport fondamental à la théorie du théâtre contemporain.
[1] Bertrand Poirot-Delpech, Au soir le soir, théâtre 1960-1970, Paris, Mercure de France, 1969, texte daté du 23 avril 1966.
[2] Jean-Jacques Gautier, Théâtre d'aujourd'hui, Paris, Julliard, 1972, texte daté du 24 avril 1966.