La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux, mise en scène de Jean Vilar
Notice
En 1962 au Festival d'Avignon, puis en 1963 au Palais de Chaillot et à nouveau en Avignon, Jean Vilar met en scène La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux. Interview de Jean Vilar et extraits du spectacle.
Éclairage
Jean Giraudoux est une éminente figure artistique et intellectuelle de la première moitié du XXe siècle. Né en 1882, il a suivi une double carrière de diplomate et d'écrivain. Blessé en 1914, chargé de mission au cabinet d'Édouard Herriot en 1932, puis nommé commissaire général à l'information par Édouard Dalladier en 1939, il est acteur et témoin de premier plan des événements historiques, dont l'expérience nourrit son œuvre littéraire. S'il commence par écrire des romans et des nouvelles, sa rencontre avec Louis Jouvet infléchit de façon décisive sa production. Le succès de sa première pièce, Siegfried, adaptée de son roman Siegfried et le Limousin et mise en scène par Jouvet en 1928, l'engage à continuer dans la voie dramatique. Tout en poursuivant la rédaction de romans et d'essais, il publie alors une quinzaine de pièces, dont la plus grande partie est créée par Jouvet au Théâtre de l'Athénée, et qui retentissent singulièrement pour le public parisien en ces années noires de montée du nazisme, de guerre et d'occupation : Amphitryon 38 (1929), Intermezzo (1933), L'Impromptu de Paris et Électre (1937), Ondine (1939), La Folle de Chaillot (1945). Jean Giraudoux, qui meurt en janvier 1944, ne verra pas cette dernière création, triomphale.
La Guerre de Troie n'aura pas lieu est la pièce de Giraudoux qui fait le plus explicitement référence à l'actualité historique. Elle est créée par Jouvet en 1935, servie par une distribution exceptionnelle : avec Jouvet jouent Renée Falconetti, Madeleine Ozeray, Paule Andral, Marie-Hélène Dasté et Pierre Renoir. Il faut ensuite attendre 1962 pour que la pièce soit à nouveau mise en scène, par Jean Vilar, au Palais des papes. La distribution est brillante, qui réunit Vilar, Judith Magre, Maria Mauban, Daniel Ivernel (Hector), Jean-Louis Trintignant (Pâris), Christiane Minazzoli. Devant le succès rencontré, la pièce est reprogrammée au TNP et en Avignon en 63, Pierre Vaneck et Robert Etcheverry interprétant alors les rôles d'Hector et de Pâris. Les décors et costumes renvoient à l'esthétique dépouillée et structurée des mises en scène de Vilar.
Composée de deux actes, La Guerre de Troie n'aura pas lieu met face à face les Grecs et les Troyens dans l'imminence d'une guerre déclenchée par l'enlèvement d'Hélène. Tour à tour, Hector et Andromaque interviennent auprès de Pâris et d'Hélène pour persuader cette dernière de retourner en Grèce, tandis qu'une délégation grecque se porte à la rencontre d'Hector. Avant la rencontre des deux chefs, plusieurs scènes déclinent l'opposition entre le camp des pacifistes et celui des belliqueux. Au terme d'un long dialogue entre Hector et Ulysse, qui témoigne de la volonté des deux hommes de conjuguer leurs efforts pour faire barrage à la guerre, une querelle entre Hector, l'envoyé grec Oiax et le poète troyen Démokos, tous deux représentants du parti de la guerre, fait basculer la situation : la guerre de Troie aura lieu. À travers cette pièce, Giraudoux, lui-même ardent pacificiste, tente d'élucider les causes qui mèneront à la Seconde Guerre mondiale, et plus encore d'analyser pourquoi, la guerre étant parfaitement prévisible, les hommes se montrent incapables d'en arrêter le cours. Il est ainsi conduit à mettre en avant le cynisme des dirigeants politiques autant que la bêtise, l'aveuglement et l'obstination des hommes. Mais il fait aussi la part à une forme de fatalité. Elle s'incarne soit dans les pulsions meurtrières qui meuvent les bellicistes, et qui sont la figure inversée de la maîtrise et de l'abnégation dont font preuve Hector et Andromaque tout au long de la pièce ; soit dans le personnage d'Hélène, personnage ambigu dont les motivations échappent à la raison, et dont Giraudoux fait « l'otage du destin ». C'est elle qu'on voit dans l'un des extraits, tandis que dans l'autre Hector clame son mépris de la solution par la guerre et son rejet de la poursuite du combat au nom de ceux qui sont déjà morts.