Francesco Rosi évoque son film Carmen, d'après Bizet

10 novembre 1983
03m
Réf. 01061

Notice

Résumé :

Interrogé par Eve Ruggieri, le cinéaste Francesco Rosi parle de son travail pour tirer un film de la Carmen de Bizet. Il parle de sa tentative de donner une interprétation visuelle de l'opéra intégrant sa dimension musicale. Il parle aussi de la personnalité de Carmen. Quelques images du tournage avec Julia Migenes et Ruggiero Raimondi illustrent ses propos.

Date de diffusion :
10 novembre 1983
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Éclairage

Les rapports entre le cinéma et l'opéra existent depuis les origines du septième art, puisque le cinéma muet s'inspirait souvent des titres les plus populaires de la scène lyrique. On recense d'ailleurs quatorze films inspirés de Carmen entre 1905 et 1914. Au fil des développements technologiques, l'opéra-film aura une certaine postérité par intermittence, mais il restera toujours marginal.

Dès la fin des années 70, il semble connaître un regain de faveur. Si le metteur en scène et cinéaste Franco Zeffirelli y prend part, avec La Traviata et Otello, c'est surtout le producteur français Daniel Toscan du Plantier, grand lyricomane, qui enrichit le genre. Il parvient en effet à convaincre plusieurs cinéastes majeurs de livrer leur version d'un chef d'œuvre du répertoire lyrique. Après Joseph Losey pour Don Giovanni, avant Andrei Zulawski pour Boris Godounov et Luigi Comencini pour La Bohème, il intéresse Francesco Rosi à Carmen. Le film qui en résulte constitue l'un des plus grands succès commerciaux du genre. Et d'un point de vue artistique, l'entreprise est aussi une réussite.

La qualité de l'interprétation musicale a en effet été aussi soignée que la dimension visuelle. Sous la baguette de Lorin Maazel, une version intégrale (avec dialogue) de Carmen a été enregistrée avec les artistes choisis pour l'occasion, en l'occurrence deux chanteurs d'opéra extrêmement populaires (Placido Domingo dans le rôle de Don José, Ruggiero Raimondi dans celui d'Escamillo) et une chanteuse hors-norme, qui a mené une carrière entre Broadway et le Volksoper de Vienne: Julia Migenes Johnson. Cette dernière compose une Carmen plus vraie que nature, sensuelle et charismatique. Le succès du film, tourné dans des décors naturels en Espagne, va d'ailleurs faire de Migenes une véritable star, qui chantera encore quelques années sur les scènes d'opéra avant de privilégier les tours de chant et le «cross-over».

Le film-opéra, pour sa part, connaîtra encore quelques réussites isolées, comme une Madame Butterfly réalisée par Frédéric Mitterrand, et une Tosca filmée par Benoît Jacot, avant de mourir de sa belle mort, sans doute éclipsé par le développement des captations télévisées de spectacles scéniques, dont la diffusion ira grandissant avec la popularisation du DVD.

Alain Perroux

Transcription

(Bruit)
Eve Ruggieri
Est-ce que vous êtes musicien ?
Francesco Rosi
Non.
Eve Ruggieri
Non ?
Francesco Rosi
Malheureusement pour moi, je ne suis pas musicien. Mais comme j’ai une bonne oreille, et j’écoute beaucoup de musique, je siffle, je siffle très bien.
(Musique)
Francesco Rosi
Dans un film d’opéra, la musique, c’est la chose la plus importante qui existe comme référence continuelle. Mais comme j’ai voulu donner, j’ai respecté la dignité de la musique de Bizet. Mais j’ai voulu même respecter ma dignité, la dignité de ma profession à moi, qui est le cinéma. Donc, j’ai beaucoup travaillé pour comprendre comment, la façon dans laquelle j’aurais pu rendre une interprétation visuelle de l’opéra, pas seulement du livret de l’opéra, mais de la musique, des notes ; c’est-à-dire faire de façon à ce que chaque note tombe sur quelque chose qui n’est pas le hasard.
Eve Ruggieri
Sur la bonne image ?
Francesco Rosi
Voilà, sur l’image qui doit être évoquée par la musique.
(Musique)
Francesco Rosi
La soif de vivre, ce qu’a le personnage Carmen, cette envie de vivre, ce besoin de vivre, je le trouve très, très beau. Pas seulement beau, c’est une femme moderne, c’est une femme qui défend sa dignité, qui défend sa liberté. Donc, c’est un personnage universel qui n’a pas d’âge. Il y a seulement une histoire, l’histoire de la femme. Et donc, la nécessité pour une femme d’être un être humain qui se réalise dans sa propre autonomie. C’est ça qui me plaît beaucoup dans ce personnage. Et donc ce film, c’est aussi un hommage aux femmes, si vous voulez.
(Musique)