Boivin et Laguna : deux Carmen à la Biennale de Lyon

La musique archi connue de la Carmen de Bizet a inspiré bien des chorégraphes. Pour n'en citer que les plus important : la Carmen de Roland Petit créée par Zizi Jeanmaire à Londres en 1949, celle très populaire dans les anciens pays pro-soviétiques du Cubain Alberto Alonso sur la musique de Bizet arrangée par Rodion Shchedrin et créée par Maïa Plissetskaïa au Bolchoï de Moscou en 1967. Alicia Alonso en fit un de ses chevaux de bataille jusqu'à un âge très avancé. La Carmen de John Cranko, musique de Bizet adaptée par Fortner pour la grande tragédienne de la danse Marcia Haydée à Stuttgart en 1971.Celle magistrale d'Antonio Gadès qui se déroule dans un studio de danse flamenco, et celle du Ballet Theatre Espagnol de Rafael Aguilar avec des musiques de Bizet, et Sarazate, du Flamenco et des chants populaires espagnols, montée au Palais des Sports en octobre 1992. Enfin celle très provocante de Matthew Bourne Car man sur des musiques de Bizet, Shchedrin et Terry Davies, transposée en 2000 au sein de la communauté italo-américaine d'une petite ville américaine, avec coups de théâtre et de colts, spectacle invité à la Maison de la Danse de Lyon en 2002.

A Lyon toujours, Guy Darmet choisit pour thème de la Biennale de la Danse 1992 le thème de l'Espagne. Du 12 septembre au 4 octobre se succéderont un nombre incroyable de compagnies en quatorze lieux différents, sans oublier la grande féria populaire dans les rues de Lyon qui sert de toile de fond au début de ce documentaire diffusé par FR3.

A cette Biennale le public peut applaudir quatre Carmen différentes : celle de Roland Petit par l'Opéra de Paris, celle dansée par Alicia Alonso à 71 ans avec le Ballet de Cuba, celle « drôlement humaine, corrigée par Dominique Boivin » le 23 septembre au Radiant de Caluire, et celle captivante de Mats Ek affichée le lendemain avec Ana Laguna et le Ballet Cullberg au TNP à Villeurbanne.

Le montage de FR3 fait alterner la Carmen de Dominique Boivin, en pantalon à pattes d'éléphant, et celle d'Ana Laguna, en robe à volants rouge. Un reportage vivant et coloré, où l'on peut mieux saisir l'humour et l'esprit de dérision de Dominique Boivin que le climat hautement dramatique d'un chef d'œuvre de Mats Ek.

Dominique Boivin, co-fondateur de la compagnie Beau Geste qui regroupe six danseurs et chorégraphes formés à Angers par Alwin Nikolaïs, s'est fait connaître par un délicieux solo La Danse, une histoire à ma façon qui raconte avec un minimum d'accessoire toute l'histoire de la danse, des origines à nos jours. Il a également signé un charmant Casse-Noisette pour le Ballet de l'Opéra de Lyon en 2001. Pour lui, « Carmen est une séductrice insouciante... Elle n'est pas timorée ou insidieuse, mais franche ». Première qualité de sa fausse espagnolade : il ne se prends pas une minute au sérieux !

Sublime, la Carmen de Mats Ek créée à Stockholm en mai 1992, présentée un mois plus tard au Théâtre de la Ville à Paris avec ses créateurs, Ana Laguna, Marc Hwang en José et Yvan Auzely en Escampillo, est entrée au répertoire du Ballet de l'Opéra de Lyon en 1998. Le drame commence sur José vu de dos, face au peloton d'exécution, qui avant de mourir, revoit et revit sa fatale passion pour Carmen. Un autre moment d'un réalisme terrible est celui de Carmen qui crache son cigare sous la violence du coup mortel que lui porte José.

Comme à son habitude, Mats Ek utilise un vocabulaire qui n'appartient qu'à lui, moderne, humain, provoquant parfois, mais psychologiquement si juste qu'il prend le spectateur à la gorge.

« Carmen obtient d'elle- même une sorte de liberté, comme les hommes » nous dit ici le chorégraphe suédois. « Elle prends des amants quand elle veut, elle a un travail à l'usine, elle est totalement responsable de sa vie. De son côté José veut le mariage, le bonheur, porter l'anneau au doigt. Il est plus à cheval sur les conventions. Autrement dit, de façon symbolique, il est la femme, elle l'homme ».

Et Dominique Boivin de conclure « Je pense qu'on est tous à un moment Carmen ! »